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Bis repetita.Encore, la « folie furieuse » des critiques de Kamel Daoud ?

Par Abdellali Merdaci

J’ai lu, avec consternation, la chronique d’un collaborateur du « quotidien du soir qui sort le matin » sous l’intitulé générique des « Constances » (« La France, Kamel Daoud et la folie furieuse », 29/08/2022). Le diariste peut relever non sans cynisme : « il [Kamel Daoud] a fraîchement accédé à la nationalité française comme le font tous les jours beaucoup d’Algériens ». Cela devrait l’exonérer ? Mais l’épidémie est bel et bien là et il ne reste qu’à en dénombrer les contagions quotidiennes. Bientôt, si les choses continuent à ce train, les Algériens, qui entendent le rester, raseront les murs dans leur propre pays et auront honte d’avouer leur algérianité. Mais qu’importe, voilà un mal ordinaire, qui s’empare des âmes, sans remèdes. Alors, reprenons…

Une histoire coloniale française oubliée

L’Algérie n’est ni le Luxembourg ni la Belgique, pays d’Europe, ni le Lesotho et le Burundi, pays d’Afrique, encore moins le lointain Pérou, en Amérique centrale. Des pays où la construction nationale n’a pas été un chemin de souffrances. L’histoire, la plus immédiate de l’Algérie, est celle d’asservissements successifs, de la régence turque  (1515-1837) à la colonisation française (1830-1962). Si la France a libéré ses anciennes possessions coloniales subsahariennes d’Afrique équatoriale et occidentale, sans un seul coup de feu, ni hécatombe de morts, elle n’a permit aucune voie négociée de sortie pacifique de l’orbite colonial pour les Algériens.

Le mouvement national algérien, lent à se structurer au lendemain des dernières escarmouches de la résistance à la conquête française, vers la fin du XIXe siècle, composant toutes les palettes politiques et idéologiques, entrait selon le concept du sociologue Abdelkader Djeghloul dans le cycle de la « résistance-dialogue ». De l’assimilation (Jeunes Algériens, Fédération des Élus), à l’association (associations religieuses, partis de Mohamed-Salah Bendjelloul et Ferhat Abbas, jusqu’à la veille du second conflit mondial, communistes) à la dissociation (nationalistes indépendantistes de l’ENA, du PPA-MTLD, du FLN, rejoints après le 1er Novembre 1954 par divers courants doctrinaux (y compris l’UDMA de Abbas, les Oulémas et le PCA) autour d’un unique objectif, la fin de la colonisation française et l’indépendance de l’Algérie. Jusqu’au mitan des années 1940, avant la crise politico-militaire des mois de mai et juin 1945, avec ses milliers de morts dans la population indigène, Ferhat Abbas défendait la possibilité d’un État algérien associé à la France, qui en garderait la tutelle militaire (Défense) et diplomatique (Affaires étrangères). Cette prudente décolonisation, ne modifiant ni le peuplement de la colonie ni ses fondamentaux sociaux, économiques et culturels, était recalée par la représentation politique coloniale française autant à l’Assemblée algérienne qu’à l’Assemblée française.

Les Français d’Algérie refusaient un État égalitaire où ils exerceraient le pouvoir avec les Indigènes, progressivement intégrés dans la nationalité française. Cet État, dont tous les membres seraient Français et Algériens, jouissant des mêmes droits et libertés « de Dunkerque à Tamanrasset », avait reçu l’onction, non seulement de Ferhat Abbas et de ses amis, mais aussi des messalistes et de leur chef tutélaire Messali Hadj. Sans doute, cette option aurait permis une autonomie territoriale, politique, économique et financière graduelle de l’Algérie, sans heurts et malheurs pour ses communautés indigènes et européennes. La classe politique française, en France et en Algérie, jusqu’au-boutiste, excluait tout changement dans l’ordre de la conquête française du XIXe siècle : l’altérité coloniale (colon VS colonisé) et son mode de domination au profit du peuplement européen étranger n’était pas amendable. La culture populaire indigène a toujours témoigné de cette inéluctable soumission par un adage monté des profondeurs des Hauts-Plateaux : « ’Arbi oualouken colonel Bendaoud » (« Arabe, tu es, arabe, tu restes, même si tu es le colonel Bendaoud »). L’Algérie française était un pays où un soldat du rang pouvait gifler un officier supérieur indigène et une société où les tribunaux acquittaient systématiquement  les assassins d’Indigènes.

Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la colonisation française de l’Algérie prolongeait la déstructuration de la société algérienne entreprise depuis le XIXe siècle : dépossession des terres, éclatement des lignages, dépersonnalisation  par l’appauvrissement culturel (les Indigènes qui perdaient la langue des médersas et des mcids n’accédaient pas à la langue du colonisateur), transferts massifs de populations, prolétarisation de la paysannerie, constitution de périphérie urbaines et ghettoïsation de larges pans de la population indigène. Voici le bilan de plus d’un siècle colonial qui accentuait la misère et les méfaits de la conquête militaire française de l’Algérie. Le 1er Novembre 1954 était une réponse aux injustices de l’Algérie française coloniale. Une longue guerre de libération avec son infini cortège de morts, qui n’était plus évitable. Jamais, au grand jamais, les Algériens ne reparleront de « la France, de Dunkerque à Tamanrasset ». Elle mourait dans les brasiers de la guerre. Pourtant, contre toute attente, elle revit dorénavant et elle a à Paris et à Alger ses officiants zélés et son gourou, le « Français du futur » Kamel Daoud. Le passé revient comme un boomerang.

À Paris et à Alger, fortunes de la double nationalité franco-algérienne

Le chroniqueur du « quotidien du soir qui sort… etc. » n’ignore précisément rien du passé colonial de son pays. Il sait que sa liberté, celle de ses parents, de ses grands et arrières grands-parents a été obtenue par le sacrifice des martyrs et des combattants de la Guerre anticoloniale (1954-1962). Mais, l’Algérie est un pays jeune de soixante ans d’âge, qui a raté sa décolonisation, qui a emporté dans la vague de saisons désespérées la conviction de beaucoup de ses citoyens, qui ont mille raisons d’être déçus par les pouvoirs politiques qui se sont succédé de 1962 à 2022. C’est principalement une question d’angle d’attaque : j’ai, personnellement, défendu et fait valoir que la période boumedieniste a été un grand moment de la construction de l’État algérien moderne et, surtout, d’un développement culturel inouï, que les Algériens ne retrouveront jamais. Bien entendu, ça se discute avec d’amples analyses ; mais passons.

Les Algériens qui prennent la clé des champs et des herbes plus vertes incriminent la rigidité des mœurs de la société et, en grande partie, son carcan politique. Cependant, quoiqu’il en soit de l’incurie politique de leur pays, ils n’ont jamais été capables, cela a été le cas du hirak, en 2019, d’aller vers une mobilisation démocratique autour des urnes pour hâter le changement. Ils ont toujours disqualifié le jeu politique, boudant les élections depuis l’aggiornamento d’Octobre 1988. Ils auraient pu tourner la page, ils ne l’ont pas fait et ils ne le feront plus. Si une frange d’Algériens viscéralement révoltés espère les chars de l’OTAN à Alger, beaucoup d’entre eux n’ont attendu et n’attendent toujours que le moment propice pour quitter définitivement le pays et retourner chez l’ancien colonisateur au titre de la « réintégration dans la nationalité française », lorsqu’ils sont nés avant le 3 juillet 1962, et de la naturalisation  pour ceux qui sont nés après.

Le saut de frontières et de nationalités est toujours problématique. Le choix d’autres sociétés et nationalités que font certains en Algérie, particulièrement, ceux qui rejoignent la France, parce qu’ils sont à l’étroit dans leur pays, n’est-il pas sans effets, souvent pernicieux ? Pourtant, personne n’a le droit de leur enlever cette liberté. S’ils assument pleinement leur choix de la francité, sans faire de prosélytisme auprès des Algériens et, aussi, sans prétendre retourner dans le pays quitté pour en prendre les hautes fonctions et les honneurs. Pourquoi ne seraient-ils pas sincèrement Français ? C’est bien cette ambigüité qui persiste, de 1988 à nos jours. Officiellement, la double nationalité n’existe pas dans la loi algérienne, les seuls cas qui sont observés sont ceux d’enfants de couples mixtes traités dans les représentations consulaires sur lesquelles ne pèse aucune charge politique et idéologique.

Mais qu’en est-il des retours volontaires à la France dans le cas des conventions politiques et juridiques ? Un exemple : lorsque l’écrivain et dramaturge Slimane Benaïssa (né avant 1962) est exfiltré d’Algérie au cœur de la décennie rouge par les « services » de l’ambassade de France et, aussitôt, « réintégré » dans la nationalité  française à Paris, il ne devrait s’agir que d’une démarche de conviction personnelle. Car au même moment des Algériens ont fait le choix de demeurer, coûte que coûte, en Algérie et beaucoup d’entre eux en sont morts. Notamment dans le monde du théâtre, Abdelkader Alloula à Oran, Azzeddine Medjoubi, à Alger, victime de la barbarie islamiste. Beaucoup de comédiens dans le pays endeuillé entraient dans un cercle de dénuement tout autant matériel que psychique, en ces funestes années 1990 de guerre civile menée contre les Algériens par les islamistes. Ils en sont sortis traumatisés.

Slimane Benaïssa était replié en France, sous la protection de l’État français, et toute honte bue, c’est ce même Benaïssa, citoyen français, qui reviendra dans une Algérie apaisée prendre le poste de commissaire général du Festival international du théâtre de Béjaia, un pôle de la vie culturelle  nationale. Autre exemple : le cinéaste Merzak Allouache a été le premier Algérien à se naturaliser au tout début des années 1990, avant les premières échauffourées islamistes. Pour des raisons strictement professionnelles, au nom d’une liberté de créateur pour lequel il n’y a pas de frontières dans le monde. Il représentera, non sans cynisme la France au Festival international du cinéma de Haïfa, en Israël. À ceux qui le lui reprochaient à Alger, au nom de l’Algérie et de ses engagements antisionistes, il exhibait dans une éloquence toute gestuelle son passeport français. C’était en 2015… Deux années après, il recevait la Médaille du mérite national, la plus haute distinction de l’État algérien pour ses citoyens. Et, peu de temps après lui, le comédien français d’origine algérienne Sid Ahmed Aggoumi. Simple remarque : cette consécration n’a été accordée à aucun homme et aucune femme du théâtre et du cinéma nationaux, qui sont restés debout face au terrorisme islamiste. C’était sous le règne de la fratrie Bouteflika.

Relativement à la France, la bi-nationalité algéro-française ou franco-algérienne posera toujours un problème insurmontable de loyauté. Lorsqu’un Algérien se fait Français, il a rompu le pacte de fidélité avec les martyrs et les combattants de la Guerre anticoloniale qui lui ont donné un pays, un nom et une dignité. Aucun homme, aucune femme de ce pays ne peut se lever chaque aube pour saluer le drapeau des Martyrs et celui de leurs assassins. Il ne sera jamais temps pour que l’histoire coloniale de la France en Algérie évolue favorablement, sans que la mémoire de nos résistances soit souillée : aucune commission d’historiens délégués par les hommes politiques n’en cautérisera les blessures et n’en exorcisera les douleurs.

Entre la France et l’Algérie, rien n’est si aisé. Aucun président d’un côté comme de l’autre, avec la meilleure volonté, ne pourra effacer la souvenance des morts et des errances d’un peuple. Je comprends, cependant, l’impatience des élites francophiles du pays,  dépitées par ce qu’est devenue l’Algérie sans la France, qui n’attendent que de regagner ses luxuriants rivages. Il s’agit moins de le leur reprocher que de les exhorter à s’y tenir. Qu’ils aient le courage de devenir Français en toute conscience et responsabilité, qu’ils prennent la mesure de leur  pleine francité et restent chez eux dans le pays qu’ils ont choisi, leur pays de cœur. Ces Algériens, désormais Français par choix personnel, ne devraient  plus retourner en Algérie pour exercer une pression française, agir les agendas de leur patrie dans le pays qu’ils ont abandonné, en toute volonté et sans regret.

L’irrésistible rabaissement de la France de Macron

Le chroniqueur du « quotidien du soir, etc. » note qu’il est de tradition qu’un président  français en visite en Algérie, prenne dans sa délégation des nationaux de son pays dont le souvenir reste vivace pour les Algériens : « Il en a — toujours ou presque — été ainsi : quand un président français est en visite d’État en Algérie, il met toujours dans sa délégation, ses valises diront d’aucuns, un homme ou une femme dont le parcours ou l’œuvre, souvent les deux, peut constituer un lien entre les ‘‘deux rives’’, d’avoir incarné une double appartenance à un moment ou un autre, dans tel ou tel domaine de l’activité humaine avec de différents niveaux de réussite ». En fait de liens entre les « deux rives », de Français qui peuvent parler aux Algériens, qui seront toujours les bienvenus, il n’y en a plus : morts André Mandouze, Jacques Berque, Jacques Derrida, Pierre Bourdieu, André Nouschi… ; morts Jacques Charby, René Vautier… ; morts Jean Pélégri, Emmanuel Roblès, Jean Daniel, Jean de Maisonseul, Jacques Peyrega… Il reste, peut-être, dans le tumulte de l’histoire franco-algérienne, ces « pieds-rouges », souvent anonymes, enseignants des Université, lycées et collèges, techniciens et ingénieurs d’entreprises publiques, qui ont décidé d’aider le pays indépendant dans les années 1960-1970, sans en tirer la moindre gloire, sans se réclamer d’autre doctrine que celle de l’amitié des peuples. Les Algériens les auraient retrouvés avec émotion pour de nouveaux échanges et de nouveaux partages. Voici une France que les Algériens n’oublieront jamais. Où sont-ils ces Français qui ont aimé l’Algérie et qui ont été sans calculs envers elle ? Ils valent mieux que les amis du président Macron.

Mais le président Emmanuel Macron fait petit et pitoyable lorsqu’il peut faire grand et honorable. En matière de littérature et d’écrivain, il invite dans sa délégation le Français Kamel Daoud lorsqu’il était envisageable de marquer la grandeur de la France et sa proximité toute émue d’avec l’Algérie sans froisser le sentiment des Algériens. En Algérie, Daoud n’est qu’un « khabit » (traître), un harki. Peut-être fallait-il tenter un « autre retour » de l’Oranaise Hélène Cixous en Algérie et dans sa ville natale – voir sur cet aspect « Si près » (2007). En cette période estivale, les Facultés des sciences sociales et humaines, de langues et de littérature d’Oran auraient ouvert leurs portes pour saluer un  sublime événement culturel français. Assurément, la France et la littérature d’Hélène Cixous ne sont pas celles de Kamel Daoud. Et, aux mieux, dans une connivence de piétaille, « Disco-Maghreb » est une canaillerie d’un président-chenapan.

Comment ne pas souscrire à qu’écrit le chroniqueur lorsqu’il relève l’inconséquence des présidents français à constituer des délégations lors de leur visites d’État ou officielles en Algérie ? Il rappelle ainsi : « Du côté français, on n’a pas encore fait l’effort de dépasser les choix trop évidents, par ricochet un peu trop faciles pour susciter l’enthousiasme des Algériens. Par endroits, ces choix ont même choqué. C’était ainsi quand, avant l’arrivée de M. Macron aux affaires, on a puisé dans la communauté harkie pour compléter la délégation présidentielle française en partance pour Alger. Dans le meilleur des cas, c’était un manque manifeste d’inspiration. Dans le pire, ça ressemblait drôlement à de la provocation. »

En soi, indiscutablement, l’invitation de Haïm Korsia, Grand rabbin de France, chef de file dans son pays du sionisme, qui assimile l’antisémitisme, condamnable, à l’antisionisme, qui ne l’est pas, parce que c’est une stricte position politique, est une provocation et une imposture ; et, aussi, celle de Kamel Daoud sur le même registre, qui se proclame « Français du futur », faisant le vœu de faire naturaliser beaucoup d’Algériens : « […] la bi-nationalité est une chance pour ce pays et, pour chaque individu qui en assure l’histoire. C’est une voie pour mieux comprendre et mieux expliquer, d’un côté de la frontière comme de l’autre. Binational, c’est le Français du futur là aussi. La seule possibilité peut-être de guérir la France, l’enrichir et aider les siens à sortir de la misère et de la jérémiade identitaire et de la rente du postcolonial » (« L’Obs » [Paris], 19 décembre 2019). Vider l’Algérie de ses Algériens, tuer leur foi en leur pays, certes.

Mais Macron est naturellement provocateur : on ne passe pas, en France, du général de Gaulle, à Macron, d’André Malraux à Kamel Daoud, sans dégâts préjudiciels. Macron avait déjà retenu dans sa délégation, lors d’un premier séjour à Alger, en marge de la campagne électorale présidentielle de 2017, l’écrivain Boualem Sansal et le caricaturiste Ali Dilem, amis d’Israël, posant avec kipa sur le crâne au pied du Mur des Lamentations, à Jérusalem. Ce sont donc des médiateurs entre l’Algérie et la France, des « liens entre les deux rives » ? Soyons sérieux. À l’exception des quartiers huppés d’Alger et des convives de leurs gargotes dorées, les Algériens les vomissent.

Cependant, j’accueille avec scepticisme cette défense et illustration de Kamel Daoud par le chroniqueur du « quotidien… etc. », qui écrit avec certitude : « Kamel Daoud est un écrivain à qui ses compatriotes reprochent tout mais surtout n’importe quoi. Tout, n’importe quoi mais jamais le manque de talent. » Précisons : le Français Kamel Daoud n’a pas beaucoup de « compatriotes » à sa ressemblance en Algérie, qui gardent au chaud un pays de rechange. Il est, toutefois, vrai que le seul talent de Daoud, qu’il convient de lui reconnaître pleinement, est celui du buzzeur. J’ai eu l’occasion de l’écrire et de le justifier longuement pour y revenir. La présence et le succès de Daoud en France ne sont pas redevables à l’excellence d’une œuvre romanesque. Depuis son arrivée dans ce pays, en 2014, marchant derrière la dépouille fantasmée de l’écrivain pied-noir Albert Camus, Prix Nobel de Littérature 1957, Kamel Daoud n’a écrit et publié que deux romans dont la réception critique ne fut pas égale. « Meursault, contre-enquête », publié en 2013, à Alger, par l’éditeur Barzakh n’a pas attiré les lecteurs algériens, même au SILA 2013 où il a fait un cuisant flop. Une année après, en 2014, Barzakh vend les droits du roman à l’éditeur Actes Sud, à Arles, qui le réécrit en partie sous le contrôle des héritiers Camus, lissant le texte. Et Daoud s’est rappelé qu’il est un extraordinaire buzzeur de la presse oranaise et il en fera l’éclatante démonstration lors des attaques de l’armée israélienne contre l’enclave palestinienne de Ghaza, au printemps, déclarant son « indifférence » envers les Palestiniens pilonnés. C’était une chronique inattendue dans les colonnes d’un quotidien algérien – dont la petite phrase amplifiée traversa sûrement la mer.

Un Arabe qui sait « taper » sur les Palestiniens, encore mieux que l’obséquieux Boualem Sansal, qui a en magasin des articles vénéneux sur l’Islam, le « sexe arabe », les séides de la politique orientale ? Bienvenue surprise ! Le romancier et biographe Pierre Assouline, chef du lobby sioniste du champ littéraire germanopratin, membre du jury du Prix Goncourt, allait alerter ses collègues des académies et des médias parisiens sur « cet écrivain algérien prometteur », qui trompe sa plume dans le sang des enfants palestiniens de Ghaza, conspuant les Palestiniens et célébrant le dernier grand écrivain colonial d’Algérie, Albert Camus. Le roman de Daoud, qui est une imparfaite imitation de « L’Étranger » (1942), écrit dans un idiome douteusement hallal de garçon-boucher, grandit dans l’ombre de Camus, traduit en plus de cinquante langues et vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dans le monde. Son second roman « Zabor ou les psaumes » (2017), qui dans la tradition littéraire parisienne devrait confirmer et rehausser les promesses du premier, a été un immense échec en librairie, tiré à quelques milliers d’exemplaires qui n’ont pas trouvé preneurs en France. Depuis, Daoud s’est cantonné dans son emploi au magazine parisien « Le Point », donnant des chroniques dans lesquelles il s’exprime justement en Français et en Européen, revêtu de la relique de l’auteur de « La Peste » (1947). Mesra-Mostaganem et l’Algérie appartiennent à son passé.

Le chroniqueur du « quotidien, etc. », est manifestement de mauvaise foi. Personne n’a reproché en Algérie à Daoud sa naturalisation française qu’il a soigneusement cachée aux Algériens, que je leur ai révélée. Et, sur cet aspect-là, personne n’a touché à « sa… liberté d’homme ! ». Ce qui est absurde, c’est cette banalisation de la naturalisation française des Algériens : « tous les jours beaucoup d’Algériens » passent la mer pour devenir Français. Soit. Mais, pourquoi répudier sa nationalité serait-il un phénomène si évident ? « Normal », dans la gouaille algéroise.

Le journaliste-chroniqueur en tire-t-il les conséquences ? Je lui demande d’imaginer Ahmed Zabana (1930-1957) se dirigeant à l’aurore d’un nouveau jour, qu’il ne verra pas, vers la guillotine dans la cour de sa prison coloniale française de Barberousse, à Alger, en ce 19 juin 1956. Zabana, à l’âge de tous les romantismes, a-t-il consenti au sacrifice de sa vie pour qu’il soit injurié par Daoud et ses semblables et le chroniqueur d’un quotidien national algérien ? Est-il mort pour offrir la liberté à Daoud et à tous les Algériens de se naturaliser Français ? Il s’est donc sacrifié, lui et des centaines de milliers de martyrs du combat contre la France coloniale, pour que des Algériens le renient et renient le pays qu’ils leurs ont donné. C’est le Français Slimane Benaïssa qui prophétisait devant l’historienne française Séverine Labat, que l’Algérie « deviendra française par choix individuels ». On y est, M. le chroniqueur. C’est quand votre tour ?

Il faudrait qu’après le diariste, tous les Algériens de bonne volonté, célébrant la bi-nationalité franco-algérienne de Daoud & compagnie, s’en fassent les propagateurs en Algérie-même. Peut-être que l’Algérie ne méritait-elle pas d’exister en tant qu’État indépendant et souverain, que le sacrifice de ses Martyrs et de ses Combattants soit vain ? Le fait est qu’aujourd’hui en Algérie, nos Martyrs et nos Combattants ne peuvent avoir raison contre les Français Kamel Daoud, Salim Bachi, Anouar Benmalek, Slimane Benaïssa, Abdelkader Djemaï, Senhadja Aktouf, Leïla Sebbar, Mohamed Sifaoui, Nina Bouraoui, Lilia Hassaine, Yahia Belaskri, Lahouari Addi, Akli Tadjer, Mohamed Kacimi, les Français et Françaises assimilés, Boualem Sensal, Yasmina Khadra, Kaouther Adimi et avec eux plus de deux cents harkis écrivains français d’origine algérienne. Et avant eux, les défunts écrivains et penseurs français d’origine algérienne ou assimilés Mohammed Arkoun, Ali Merad, Ali Boumahdi, Mohammed Dib, Assia Djebar, Malek Chebel et bien d’autres, qui ont fait le choix de l’autre rive, qui n’ont pas honoré l’Algérie. Voilà  la pensée profonde du chroniqueur ébahi par le succès de Kamel Daoud, porté par son copain Emmanuel Macron. Un succès et une influence factices, qui ne doivent rien au sacre de la vraie littérature.

Face à cette plaie de la bi-nationalité, du providentiel « pays de rechange », la France, quand les Algériens s’apercevront-ils de la nécessité de protéger leur propre pays – ou en accepteront-ils l’imperceptible déphasage ? L’Algérie n’est plus qu’un pays à quitter par la harga et par la traitrise sous l’emblème de la harka ? On en viendra rapidement à lui reprocher sa guerre anticoloniale. C’est, en effet, Kamel Daoud qui ne manque pas une occasion pour crier sa haine du « décolonial » et du « postcolonial ». Une raison pour lui de détester le pays qui a été longtemps le symbole respecté dans le monde des luttes anticoloniales, mais aussi, aujourd’hui, de jeter la pierre sur la Palestine et la RASD, écrasées par Israël et le Maroc, dernières colonies de l’histoire de l’Humanité. Que devrait redouter Daoud sous les voiles protectrices d’Emmanuel Macron ? Les Algériens, une partie essentielle d’entre eux, le chroniqueur du « quotidien… » en tête, n’applaudissent que la réussite « française » sans se demander d’où elle vient. Finiront-ils par en prendre conscience ?

« Ô Pharaon », une tache noire sur le front de Kamel Daoud

Le chroniqueur se félicite du « rapport décomplexé à son pays d’accueil » de son champion Kamel Daoud, protégé de son président en exercice, son invité personnel dans sa visite d’État en Algérie. Qu’est-ce que le natif de Mesra a encore à dire aux Algériens qu’ils ne sachent de ses turpitudes oranaises, de ses « CBV », de son art du couteau aussi tortueux que celui de sa phraséologie ? Mais, restons dans la littérature. Je voudrais poser une question au diariste et aux critiques littéraires professionnels de France, les premiers à le promouvoir, et d’Algérie qui les ont suivis spontanément, sans examen critique. Mais, quitte à se répéter : il est établi que tout ce qui est adoubé par la France et ses institutions a force de loi en Algérie.

Pourquoi Kamel Daoud a-t-il retiré un seul de ses ouvrages de la liste de ses œuvres dans les pages de garde de ses publications en France ? Ce roman intitulé « Ô Pharaon », publié en 2005, par l’éditeur oranais Dar El Gharb, est aujourd’hui introuvable. Français et Algériens, lisez-le pour découvrir ce que cache son auteur. Je doute, pourtant, que cet ouvrage, tiré à quelques centaines d’exemplaires à Oran, soit disponible même chez les bouquinistes d’Alger, qui ont pignon sur rue, où je l’ai recherché vainement. Je dois à l’amicale obligeance du professeur Mohamed Bouhamidi, qui a signé l’unique et éclairante critique de ce récit, de l’avoir lu. Mais, il y en a une trace : l’Université du Michigan (Etats-Unis d’Amérique) l’a numérisé en 2008. Est-il accessible aux éventuels lecteurs sans condition ?

J’attends que ses lecteurs, notamment ses protecteurs dans les médias, en France et en Algérie, découvrent ce texte et se prononcent sur ce que son auteur défend nettement, sans fioriture. Dans « Ô Pharaon », Kamel Daoud prend parti pour les Groupes islamistes armés contre les Patriotes et Groupes de Légitime défense, forces d’appui de l’Armée nationale populaire (ANP). Il y incrimine aussi l’homosexualité de leur chef dans une prose homophobe qu’apprécieront ses soutiens dans l’édition, les médias parisiens et, probablement, à l’Élysée. Beaucoup d’écrivains, en France et ailleurs, sont tombés de leur piédestal pour moins que les imputations contenues dans ce roman crapuleux. Ceci dit, que Kamel Daoud ait le courage de le rééditer et d’en assumer publiquement le contenu. On verra. Mais, pour commencer, qu’il le donne à lire à son ami Emmanuel Macron…

En Algérie comme en France, Kamel Daoud accomplit un parcours protégé. En 2014 (où était le diariste du « quotidien…, etc. » ?), il traverse la Méditerranée avec son lourd secret, entre deux feux : le soutien à l’islamisme armé (sous toutes ses formes, y compris par l’écrit) est puni par la loi en Algérie, comme l’homophobie l’est par la loi en France. Mais, il a survolé la mer sans encombre, enveloppé au nom de la sainte alliance corporatiste dans une chape de silence et couvert par la complicité de la profession, qui s’est tue sur ses engagements en faveur des Groupes islamistes armés désignés dans son récit comme des « maquisards », qualité qui n’était admise que pour les Combattants de la Guerre anticoloniale. En vérité, en écrivant « Ô Pharaon », Daoud faisait un saut en arrière dans une adolescence islamiste dont il éveillait les affinités mortelles. Le chroniqueur-diariste parle de son talent ? Mais ne s’agit-il pas de perversité : en toutes circonstances, Kamel Daoud sait manifester le culot d’un malappris de Mesra- Mostaganem. La mafieuse loi du silence de la presse en a fait un héros.

EXTRAITS D’« Ô PHARAON »,

Oran, Dar El Gharb, 2005.

Dans ce récit, Daoud indique, quitte à désarçonner bien de théories littéraires sur le réalisme, qu’il a cherché à mettre la fiction dans le réel, écrivant le récit « de faits réels, inspirés de faits imaginaires ». Allez donc retrouver votre latin dans cette formulation ! Comment dire autrement qu’il a transféré le monde réel dans une narration fictive ? Mohamed Bouhamidi (« ‘‘Ô Pharaon’’, le livre-procès des Patriotes et GLD », bouhamidimohamed.over-blog.com) a parfaitement décrit cette construction en demi-ton du récit et lui a restitué ses acteurs sans grimages (Hadj Ferguène, le maire de Relizane – «  la Cité des Mouches » – et ses compagnons patriotes et GLD, entre autres Hadj Smaïne de la Ligue des Droits de l’Homme). Ce récit est un témoignage à charge contre les volontaires algériens qui ont soutenu l’ANP en guerre contre les groupes armés islamistes dans les années 1990 et aussi une mise en scène de la délirante thèse du « qui-tue-qui ? », chère à la journaliste française José Garçon (« Libération »). L’auteur ne cache pas sa sympathie pour ceux qu’il nomme les « maquisards » et leurs « katibate », termes empruntés à la guerre anticoloniale du FLN-ALN, qui prennent le pas sur les hommes de la « Propagande », figure carnavalesque de l’État algérien. Dans cette M’dina où, derrière les crimes et les massacres impunis, les notables n’en finissent pas de faire la chasse aux jeunes éphèbes, Pharaon – « homosexuel, mais pas vraiment », selon Bouhamidi, préfère se « faire monter » aux heures pies. Mais Daoud (dans l’ombre de son narrateur et délégué textuel) peut donner libre cours à sa haine du Pharaon, sa haine de l’« homosexuel » et du « nettoyeur » de maquis islamistes. Cependant, l’Algérie était dans une terrible guerre contre l’islamisme armé. Des Algériens mouraient, par dizaines de milliers. Au-delà de ce que pouvait être son orientation sexuelle, le maire de la « Cité des Mouches », fut-il « Pharaon », était un combattant républicain et un authentique patriote algérien.

Une « énormité paysanne ». « Hassan ne parlait plus  jamais, depuis ses vingt ans d’autrefois, de la fameuse énormité paysanne de ses attributs cachés, mais c’est elle qui décida de sa carrière, un jour qu’il fit tomber son pagne dans le Hammam de la ville, face au futur homme fort des années de braise » (p. 14).

« Crimes costumés ». « La nuit, dans une sorte de folie de contes et de crimes costumés, l’on ne savait déjà plus qui d’entre les agents de la Propagande, était habillé des guenilles des maquis et qui, d’entre les maquisards en famine et les terroristes hideux, avait volé une tenue pour rendre visite aux siens ou surveiller les habitudes d’une cible et noter ses mouvements. Pour les plus honnêtes, il fallait regarder de très près pour tirer le coup de feu et cela, personne ne s’en offrait le luxe et le temps perdu » (pp. 19-20).

« La main forte qui fit main basse sur la ville ». « En vérité, plus que ces détails du mythe, le Pharaon finit par être le cinquième doigt de la main forte qui fit main-basse sur la ville dès les premières défaites des maquisards. L’on ne saura peut-être jamais, sauf lors des murmures de la foule lors du Jugement Dernier, si ce fut un hasard invraisemblable, un calcul poussé de la Propagande, un jeu malsain des laborantins de la Capitale, une guerre de tranchées entre les factions de la Propagande ou quelques tablettes maléfiques, qui réussirent à rassembler dans le même ventre de cette ville, la figure presque russe du Colonel B, celle du préfet roux, le Pharaon, le chef de Daïra de l’époque et celle du commissaire principal de ces années là, et dont on retrouva la trace de mâchoire, plus tard et dans d’autres lieux, sur quelques cadavres de présumés terroristes, abattus après avoir été blessés. Les cinq avaient fini par se reconnaître, peu à peu, par on ne sait quel signe mystérieux raturé sur le dos, par un diable quelconque. Une sorte d’âme commune les unit dans des jeux de rapacité qui allèrent plus loin que le simple appât du gain, et déboucha sur un festin nu avec des rires de profanation. La légende raconte que c’est dans un bureau sombre, qu’une ombre malsaine décida de cette politique du pire, pour la ville d’El’Mdina. Les cinq bonhommes avaient, chacun, un lourd dossier de dérives et de dépassements derrière le dos, le long de leur ancienne carrière dans la haute administration » (pp. 46-47).

– Le « nettoyage » du Pharaon. « C’est dans le même esprit que, plus tard, muté dans une autre wilaya, lorsque sa bande fut démantelée, il continua son habitude médicale de faire le nettoyage, l’arme au poing et la balle au canon, pour alléger la procédure de la Justice et expédier des cas de présumés terroristes capturés par ses soins » (p. 52).

La méthode de Pharaon. « Après avoir rasé la ville avec ses yeux, le Pharaon installa un gigantesque silence qui fit attendre tout le monde, pendant des mois, ne sachant plus de quoi allait se nourrir le Rat qui avait pacifié les parages par ses raids nocturnes. C’est de ces moments-là, après sa victoire sur les islamistes, que l’on peut dater le basculement de la ville dans la renonciation et l’infamie. Le nettoyage du Pharaon fut féroce et sans demi-mesure. Y passèrent non seulement, dit-on, ceux qui portèrent les armes contre la République, mais aussi leurs sosies, quelques proches sans raisons, les opposants au nouveau règne, ceux qui se trouvaient au mauvais endroit sous l’horloge du mauvais moment et ceux qui pouvaient encore réfléchir bruyamment à haute voix sur une troisième solution à creuser pour échapper à ce drame. La méthode du Pharaon fut, dès le début, d’une extrême violence nue. Après le déluge des lettres de menace qu’il fit pleuvoir sur la ville pour annoncer son règne, il opta très vite pour une formule qui avait fait ses preuves, lors des vieilles guerres : la destruction des maisons de ceux qui avaient sur le dos la marque de l’indécision politique ou ceux dont tes membres avaient pris le maquis ou encore ceux qui étaient en fuite pour échapper à leur mort certaine. La milice du Shérif soigna l’image de la nouvelle terreur par quelques exécutions accomplies en plein jour, au seuil de quelques cafés très fréquentés, opérant dans la fausse discrétion de quelques cagoules négligées, qui laissaient voir les visages et, à desseins, le profil de la nouvelle époque. Le Pharaon tenait à cette recette simple pour signer ses assassinats en direct et révéler à la population des Médinois, le ricochet de sa propre impuissance devant son armée de chacals bien dressés. » (pp. 90-92).

« Rire de toute la République ». « À quelques jours même de la publication de 1’information qui annoncera la fin du Pharaon, les Médinois eurent cette occasion de rire jaune, découvrant l’ampleur de leur propre isolement et la puissance de leur maître, en regardant, ébahis, dans la télévision, juste après le journal de 20 h, un groupe de femmes de leur ville dénoncer le terrorisme aveugle et pleurer sur des maris imaginaires, affirmés morts au combat juste et tombés dans les broussailles de l’honneur préfabriqué. Certaines, dont le visage était presque inoubliable au sommet du désir de leurs clients, retinrent l’attention, abasourdie, des Médinois qui connaissaient, au moins de nom, les coiffeuses de leur ville, ses prostituées et les entremetteuses qui fournissaient, en jeunes femmes, la jungle des assouvissements. Tout le monde savait qui contrôlait ce réseau discret et à quoi il servait, en temps durs et en temps libre. Les Médinois eurent un temps court pour rire de toute la République… » (pp. 100-101).

 

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