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Yasmina Khadra, Omar Sy : tirailleurs au service de la cause nationale française

Par Khider Mesloub

La bourgeoisie française se met soudainement à récompenser ses anciens supplétifs militaires issus des colonies. Tout comme elle s’évertue à encenser les œuvres cinématographiques et littéraires d’auteurs issus de ses anciennes colonies.

Après plus d’un demi-siècle de vaines revendications d’indemnisation menées par les associations de harkis, curieusement en février 2022, le mois du début de la guerre en Ukraine, prélude à une confrontation mondiale généralisée, le gouvernement Macron a promulgué « la loi portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis ».

De même, les tirailleurs sénégalais survivants viennent d’obtenir l’autorisation de rentrer dans leur pays tout en percevant leur minimum vieillesse versée jusque-là sous condition de résidence d’au moins 6 mois de l’année en France. Cette mesure s’appliquera également aux maliens et aux mauritaniens, qui pourront désormais rentrer définitivement dans leur pays d’origine, tout en continuant à percevoir leur retraite. Après plusieurs années de bataille juridique vaine, l’Association pour la mémoire des tirailleurs sénégalais aura ainsi étonnamment obtenu gain de cause.

Ces mesures interviennent curieusement au moment de la sortie du film du réalisateur Mathieu Vadepied, Tirailleurs, dont le rôle principal est confié à Omar Sy. Et de la publication du livre de Yasmina Khadra, Les vertueux, dont l’histoire se déroule également durant la Première Boucherie mondiale.

Dans cette période marquée par la militarisation de la société et la caporalisation des esprits, engagée à marche forcée vers la guerre généralisée, toutes les énergies, notamment culturelles, sont ainsi mobilisées pour embrigader les populations dans l’entreprise guerrière actuellement activée.

Le film, réalisé par Mathieu Vadepied, retrace l’histoire de deux tirailleurs sénégalais, un père et son fils (le réalisateur aurait dû enrôler toute la tribu dans l’armée française pour soutenir l’effort de guerre impérialiste de la France, cela aurait été encore plus crédible et constitué un modèle sacrificiel à suivre pour nombre de familles contemporaines issues de l’immigration), embrigadés dans les troupes coloniales pour combattre dans les tranchées en 1914-18. « Bakary Diallo s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, qui a été recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille ».

Selon les informations, pour rédiger le film, Mathieu Vadepied et le scénariste Olivier Demangel seraient partis d’une hypothèse idéologiquement intéressée : « et si le Soldat inconnu, dont la tombe a été installée le 11 novembre 1920 sous l’Arc de Triomphe, était un tirailleur sénégalais (Africain, Algérien) » ? Cette hypothèse historique permettrait aux jeunes issus de l’immigration de communier dans la même ferveur patriotique avec l’ensemble des Français. De raviver l’union nationale.

Dans ce film, domine l’idée de transmission du devoir de sacrifice pour la génération actuelle, en particulier la jeunesse issue de l’immigration, invitée à s’identifier à ces tirailleurs morts pour la France. Au total, 300 000 de ces tirailleurs seront décimés durant cette guerre impérialiste menée en France. Il est utile de rappeler que l’ensemble des troupes coloniales étaient sous commandement des Blancs. La vie des Blancs et des Noirs dans les casernes était séparée. Les tirailleurs étaient logés dans des camps dédiés, encadrés par des sous-officiers indigènes. Mais l’encadrement militaire était systématiquement assuré par un Français blanc. La majorité des tirailleurs ne parlaient pas français. Ils étaient analphabètes.

Yasmina Khadra, militaire de carrière, semble avoir rédigé sa fresque littéraire afin de contribuer à l’effort de guerre idéologique actuellement requis par l’État impérialiste français, voire le camp atlantiste. En soldat obéissant, il aura rempli son devoir de mercenaire intellectuel enrôlé au service du capital occidental, en particulier français, en confectionnant une œuvre de commande. Avec son livre Les vertueux, la seule vertu mise en scène est celle du sacrifice de la vie, autrement dit de la guerre, magnifiée par l’auteur. Et pour cause. Aujourd’hui, la guerre doit avoir toutes les vertus de la normalité. La guerre est vertueuse, comme la vertu est guerrière. Yasmina Khadra ressuscite complaisamment cette macabre période où des millions de prolétaires furent envoyés comme chair à canon sur les tranchées. Yacine Cheraga, un berger (ou plutôt un mouton instrumentalisé et par un caïd indigène et par la France coloniale), personnage principal du roman, enrôlé sous un nom d’emprunt, va apprendre à la hâte le maniement des armes, puis expédier en France pour combattre dans la Marne, sous l’étendard du 2ème Régiment de Tirailleurs d’Afrique. Durant quatre années, Yacine, décrit selon un tropisme néocolonial comme un Candide algérien, va découvrir les vertus de la guerre, des combats héroïques, des tranchées. Les vertus de la mort sur les fronts de guerre. Les vertus de la solidarité entre soldats mobilisés pour défendre vaillamment la patrie française.

Un lecteur, qui a posté son témoignage dans un forum littéraire, a écrit avoir abandonné la lecture du livre au bout de 120 pages : « Après 120 pages, j’ai arrêté, lassé de lire les échanges primaires et répétés de jeunes envoyés se faire tuer dans les tranchées de 1914 ».

Un autre lecteur fustige Yasmina Khadra pour sa pornographie guerrière. Il écrit « Quelle déception. Ce roman n’est que description de violence, d’injustice et d’horreurs. Et cela traîne indéfiniment. Seuls quelques personnages vertueux tranchent dans ce climat délétère. Il faut être fort croyant et posséder une foi absolue pour admettre la morale que l’auteur nous livre dans les dernières pages. J’ai perdu mon temps en lisant ces 540 pages. Les livres de développement personnels nous livrent le même message en moins de temps ».

Une autre lectrice a exprimé sa déception une fois la lecture du livre achevée : « J’attendais une fin plus révoltante et révoltée comme un combat jamais fini, mais certainement pas ce trop politiquement correct ». Voilà, tout est résumé dans cette dernière phrase. Yasmina Khadra est un auteur politiquement correct, autrement dit homme du système. Et il travaille et œuvre pour le système dominant.

Une troisième lectrice qualifie le roman de « livre de contes pour enfants », tant l’histoire et les personnages ne sont pas convaincants, crédibles. Et pour cause. Certes, Yasmina Khadra est un prestidigitateur de la littérature. Un acrobate du verbe. Un jongleur de mots. Un bateleur de la rhétorique. Un ensorceleur littéraire. Un alchimiste romanesque. Mais il n’est pas écrivain, encore moins un intellectuel. C’est un conteur. On sent qu’il a studieusement étudié les mots. Mais pas la vie, encore moins ses maux. L’œuvre de Yasmina Khadra est une littérature encasernée, portée par une pensée enrégimentée, destinée désormais au lectorat français, friand de romans de gare, de livres à l’eau-de-rose, à l’instar des romans qui ont façonné l’esprit de Mohammed Moulessehoul durant son enfance.

Contrairement à ce que laisse entendre la critique littéraire officielle, Les vertueux n’est pas un livre d’amour, mais un catéchisme belliciste. Il œuvre à réconcilier, donc à unifier, certes les populations françaises et immigrées, mais pour la cause nationale de la France. Le combat patriotique. Comme lors de la Première Guerre mondiale.

Quoi qu’il en soit, le choix du titre du livre de Yasmina Khadra est doublement coupable. Pour ne pas dire cynique.

En Algérie colonisée, quelles vertus pouvaient-ils exister dans une société algérienne soumise aux affres de la colonisation, au racisme institutionnel incarné par le code de l’indigénat, à la négation de l’identité nationale, au génocide culturel, au massacre de masse.

En France, à l’époque du récit du roman, dans les années 1914-1918, quelles vertus pouvaient-ils exister dans un pays plongé dans une guerre impérialiste destructrice par la faute de ses dirigeants belliqueux, dans une société où la population était livrée comme chair à canon sur les champs de bataille.

Une société coloniale ou impérialiste ne recèle aucune vertu. Encore moins quelque humanité. C’est une pure vue de l’esprit, notamment de celui du conteur Yasmina Khadra, doté d’une imagination fertile qui s’évertue à embellir littérairement la sinistre réalité coloniale et capitaliste pour son lectorat français, friand de littérature aseptisée et chloroformée.

 

 

 

 

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