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Le président Tebboune au journal Le Figaro: « La France doit se libérer de son complexe de colonisateur

Dans un entretien accordé au journal français Le Figaro, le président de la république Abdelmadjid Tebboune a  évoqué plusieurs questions nationales internationales, ( les relations algéro-françaises, la mémoire, les visas, le rapatriement des sans-papiers, la décontamination des sites des essais nucléaires français dans le sud algérien, l’avenir de la langue française en Algérie, le gaz, le Sahel et la position de l’Algérie à l’égard du conflit ukrainien).

Pour ce qui est de la question du visa et la décision de Paris de rétablir le flux habituel qui était d’environ 200.000 en 2019, le président Tebboune la considère que un retour à la normale des choses et le respect de l’application de la clause de  la circulation  des personnes entre les deux pays contenue dans les accords d’Evian de 1962 et l’accord  de 1968. Pour mieux illustrer la spécificité de l’Algérie par rapport à ses voisins maghrébins, le président Tebboune cita une anecdote pour répondre à l’instrumentalisation de ce dossier par les autorités françaises. « Je me permets de paraphraser un ami qui, de manière  anecdotique et ironique, me déclarait récemment que les Algériens devraient avoir des visas  d’une durée de 132 ans (ndlr : le temps de la colonisation française en Algérie). Ce serait  effectivement un échange de bons procédés !  »

S’agissant des laissez-passer consulaires que ne cessent de revendiquer les autorités françaises pour expulser des sans-papiers et des personnes jugées indésirables dans l’hexagone, le président Tebboune mettra l’accent sur le concept de l’indésirable, en soulignant la nécessité de faire la différence entre que les binationaux qui sont des ressortissants français, et des autres.
Pour le président Tebboune, les binationaux ne sont nullement concernés par les laissez-passer , pour les autres que la France qualifie de radicaux, il notera que ce qualificatif n’est pas algérien

Et d’ajouter » Il y a enfin ceux qui sont partis  de France ou de Belgique et qui se sont radicalisés en Syrie ou ailleurs. De ceux-là, l’Algérie ne  peut être tenue pour responsable. Je souligne que seuls 250 Algériens partis d’Europe ont rejoint  Daech. Pour répondre à votre question, le volume de laissez-passer consulaires a augmenté,  mais ce n’est pas le nombre qui compte, c’est le respect des principes. Il n’y a pas un seul autre  pays que l’Algérie avec lequel la France a une pareille intensité d’échanges. De 75 à 80 vols  quotidiens, soit 400 vols par semaine, relient nos deux pays dans les deux sens et ils sont pleins  à l’aller comme au retour. »

Interrogé si la France en contrepartie du retour à la normale en matière de la délivrance des visas, avait demandé des quantités supplémentaires en gaz algérien, le président Tebboune dira » Nous ne sommes pas dans ces comptes d’apothicaires. Quand on a des surplus, on en fait profiter  les autres. L’Union européenne et la France ne sont pas des adversaires. Nous sommes tenus à  des relations de bon voisinage. Donc, si la France nous demandait d’augmenter nos exportations  de gaz, nous le ferions. Elle ne l’a pas encore fait. L’Italie, elle, l’a demandé. Nous avons engagé  la construction d’un deuxième gazoduc entre nos côtes et la Sicile, afin de passer le volume de  nos livraisons, bon an mal an, de 25 à 35 milliards de m3 et de faire de l’Italie un hub vers le  reste de l’Europe, notamment centrale.

Questionné sur un éventuel apaisement entre les deux capitales, le président Tebboune a critiqué cette attitude et psychologie françaises liées à la colonisation « La France doit se libérer de son complexe de colonisateur et l’Algérie, de son complexe de  colonisé. La France est une puissance mondiale et indépendante. L’Algérie est une puissance  africaine qui ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était en 1962. Si les gens connaissaient mieux  l’Algérie, il y a beaucoup de choses qu’ils ne diraient pas. Nous sommes victimes de préjugés  tenaces, qui relèvent plus de l’ignorance que de la malveillance. Il est urgent d’ouvrir une  nouvelle ère des relations franco-algériennes. Plus de soixante ans après la guerre, il faut passer  à autre chose. Si la mémoire fait partie de nos gènes communs, nous partageons aussi bon  nombre d’intérêts fondamentaux, même si nos points de vue peuvent diverger.

Au sujet de la question mémorielle, le président Tebboune rappellera la décision commune prise à l’occasion de la dernière visite d’Emmanuel Macron en Algérie et la création de commissions de cinq historiens de chaque pays pour aborder ce volet. « C’est une décision que nous avons prise ensemble. Une partie de la colonisation doit être  dépolitisée et remise à l’histoire. Il faut prendre en compte les 132 ans d’occupation, car tout ne  commence pas avec la guerre d’indépendance. Il y a des faits avérés, archivés, documentés,  qu’on ne peut pas cacher, des écrits les attestent. Oui, au 19ème siècle, il y a eu des massacres,  des spoliations foncières… Puis les Algériens ont participé aux deux guerres mondiales au côté  de la France. Dans la seconde, 4000 Maghrébins ont été tués pendant la seule campagne d’Italie,  et près de 16000 ont été blessés, dont Ben Bella. Contre la libération de la France, la promesse  de l’indépendance n’a pas été tenue, d’où le soulèvement de 1945 à Sétif et les massacres qui  ont suivi.

Dans le même contexte, le président Tebboune réclame la nécessité pour la France de nettoyer et de décontaminer les sites ayant abrité des essais nucléaires à savoir ceux de Reggane et Tamanrasset, où  la pollution est énorme. « Nous souhaitons aussi qu’elle prenne en charge les soins médicaux dont  ont besoin les personnes sur place » insiste le président Tebboune.

S’agissant de la langue française, le président Tebboune, que l’Algérie forte de sa souveraineté et son indépendance, ne fait pas partie du Commonwealth  linguistique, allusion implicite à la francophonie, en soulignant que le Français n’a pas à être imposé aux Algériens, jugeant que l’anglais  est la  langue universelle, estimant que  les  Anglo-saxons ont pris le  dessus sur les Latins.

Au sujet d’une éventuelle visite d’Etat en France, le président Tebboune confirme qu’il se rendra au cours de l’année 2023 en France, et souhaitera la tenue d’un match de football Algérie-France en Algérie, suite à une question du journaliste du Figaro.

Interrogé sur la question du Sahel, plus précisément la situation au Amali, le président Tebboune insista sur la nécessité de mettre en oeuvre les accords d’Alger. « Tout le monde le reconnaît, la dislocation de la Libye a facilité le transfert d’armes lourdes dans  la bande sahélienne. Le règlement de la situation sur place passe évidemment par l’Algérie. Si  on nous avait aidés dans l’application de l’accord d’Alger de 2015 pour la pacification de cette  zone, on n’en serait pas là. Dans cette crise, l’Algérie a un raisonnement de voisin, elle ne fait  pas de géopolitique, comme d’autres. Nous vivons en bonne entente avec nos frères maliens  depuis plus d’un siècle. Pour ramener la paix, il faut intégrer les gens du nord du Mali dans les  institutions de ce pays. Il est regrettable que la France, à un certain moment, n’ait pas voulu que  l’Algérie exerce son ascendant. Le terrorisme n’est pas ce qui me préoccupe le plus, nous pouvons le vaincre. Je suis beaucoup plus inquiet par le fait que le Sahel s’enfonce dans la  misère. Là-bas, la solution est à 80% économique et à 20% sécuritaire » souligne le président Algérien.

Au sujet des relations algéro-russes, et sur la position de l’Algérie à l’égard du conflit ukrainien, le président Tebboune indique qu’il se rendra prochainement en Russie à l’invitation de son homologue russe Vladimir Poutine. « Je peux simplement vous dire que je vais aller en Russie prochainement. Je n’approuve ni ne  condamne l’opération russe en Ukraine. L’Algérie est un pays non aligné, et je tiens au respect  de cette philosophie. Personne ne pourra jamais satelliser l’Algérie. Notre pays est né pour être  libre. Par ailleurs, il serait bon que l’ONU ne condamne pas uniquement les annexions qui ont  lieu en Europe. Qu’en est-il de l’annexion du Golan par Israël ou du Sahara occidental par le  Maroc ?  » fera-t-il rappeler.

Au sujet des liens de la question sahraouie avec la décision de de la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, le président Tebboune fera savoir » Pas pour cette seule raison. C’est une accumulation de problèmes depuis 1963 et l’agression des  forces spéciales marocaines pour prendre une partie de notre territoire dans l’extrême sud qui  explique cette rupture. Nous avons rompu pour ne pas faire la guerre et aucun pays ne peut se  poser en médiateur entre nous. En 60 ans d’indépendance, la frontière algéro-marocaine est  restée fermée pendant 40 ans en réaction à de perpétuels actes hostiles du voisin. Mais,  attention, c’est le régime marocain qui cause des problèmes, pas le peuple marocain. 80000 de  ses ressortissants vivent d’ailleurs chez nous en très bonne intelligence ».

Pour ce qui est de la prestation de la sélection marocaine au mondial qatari, le président Tebboune n’a pas manqué l’occasion de la saluer,  en répondant à la question du journaliste « Bien sûr ! Les Marocains ont honoré le football arabe et surtout le football maghrébin. Ils nous  avaient aussi applaudis quand nous avions gagné la Coupe d’Afrique des nations ».

Questionné au sujet du Hirak,le président Tebboune salue la maturité du Peuple Algérie réclamant pacifiquement le changement, revenant sur la grande sagesse de l’ANP, et les intentions de Paris de soutenir une période de transition au lieu des élections, comme solution constitutionnelle; en indiquant » Les Algériens ont fait preuve à cette occasion d’une grande maturité. Ils réclamaient  pacifiquement du changement et ne voulaient pas que l’entourage du président Bouteflika – paix  à son âme – leur impose quoi que ce soit. Dans ces circonstances, l’armée a été d’une grande  sagesse et a bien géré la situation. La France disait qu’il fallait instaurer une période de  transition, mais le peuple algérien, lui, voulait des élections. D’une certaine façon, mon élection  a marqué, en décembre 2019, le début du changement que j’avais moi-même demandé deux ans  plus tôt. Cela m’avait valu d’être limogé de mon poste de Premier ministre à mon retour d’un  rendez-vous en France avec Edouard Philippe. Pour ce qui de son avenir politique, le président Tebboune dira « Vous comprendrez que je réserve ma décision aux Algériens !  » en réponse à une question concernant s’il compte se présenter pour un second mandat.

Questionné au sujet du poids de l’islamisme sur l’échiquier politique algérien, le président Tebboune notera que « L’islamisme est derrière nous, il ne représente plus un danger politique même s’il subsiste  quelques reliquats. Il est dommage que les services étrangers refusent de le constater et  présentent toujours notre pays comme infesté par l’islamisme. Je le déplore » conclut-t-il.

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