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Niger : Une escalade entamée : la France accusée  

Par Nedjma Baya Merabet

Le mercredi matin 9 août 2023, le CNSP a annoncé dans son communiqué n°25 : «  des événements d’une extrême gravité en cours au Niger, du fait du comportement des forces françaises sur notre territoire et de leurs complices.

En effet, ce jour, le 9 août 2023, aux environs de 6h30 du matin, la position de la garde nationale du Niger de Bourkou bourkou , à 30 km du site aurifère Samira a fait l’objet d’une attaque… Toute fois pour rappel, à travers une communication directe avec les partenaires occidentaux, le comportement des forces françaises a été fustigé pour avoir d’une façon unilatérale libéré des éléments terroristes prisonniers.

Ces derniers ont été regroupés dans la vallée du village Fitili à 28km au nord ouest de Yatagala, où une réunion de planification s’est tenue  dans l’objectif d’attaquer des positions militaires dans la zone des trois frontières. Ces chefs d’éléments terroristes libérés, au nombre de 16, ont été appréhendés dans 3 opérations dont deux en territoire Nigérien. Le 15 juin 2023, à Yaci, 38km de Bankilari, ayant conduit à l’arrestation de 3 terroristes, le 16 juin à Makarma ayant conduit à l’arrestation de 5 terroristes, le 7 juillet 2023 à Tin-atisal 15 km ouest Ouroura 45 km nord-ouest Ayerou en territoire Malien ayant conduit à l’arrestation de 9 terroristes. Toujours dans leur volonté manifeste de déstabilisation, ces forces françaises ont fait décoller ce jour 9 aout un avion militaire de type A-400M de N’djamena, à 6h01minute locale.

Cet aéronef a volontairement coupé tout contact avec le contrôle aérien à l’entrée de notre espace de 6h39 à 11h15 locale. Ces actes ci-dessus énumérés nous confortent dans notre analyse de la situation. Mais au-delà depuis la prise du pouvoir par le CNSP et dans le souci d’une nouvelle approche sécuritaire, nous assistons à un véritable plan de déstabilisation de notre pays. Ce désordre sécuritaire planifié par les forces françaises, comme ce fut le cas au Mali et au Burkina Faso , a pour but de : discréditer le CNSP et créer une rupture avec le peuple qui le soutient dans son action, créer un sentiment d’insécurité généralisé. En tout état de cause, le CNSP et les forces de sécurité rassurent le peuple Nigérien quant à leur détermination à assurer la sécurité des personnes et des biens et défendre l’intégrité du territoire. A cet effet, le président du CNSP, chef de l’état, chef suprême des armées, a ordonné les mesures suivantes : Aux FDS relevez le niveau d’alerte sur l’ensemble du territoire national, au peuple de rester mobilisé et vigilant aux autorités compétentes de saisir les juridictions et instances internationales compétentes de la question ». Fin du communiqué.
La veille, alors que les forces nigériennes ont renforcé leur présence militaire aux frontières avec le Nigeria et le Bénin, le Tchad aurait également dépêché ses troupes aux frontières avec le Niger. Rien de très étonnant étant donné que le Tchad abrite une des principales bases opérationnelles de la France, avec le Niger. L’observation de l’évolution du positionnement de ce pays ( le Tchad) dont le jeune président arrivé au pouvoir après l’assassinat de son père et qui joue déjà trouble jeu ; prend donc une grande importance. L’état d’alerte maximale a été décrété par le CNSP.  

A la veille de ces développements était prévue une visite tripartite de la Cedeao-UA-ONU au Niger. 

Il est intéressant de se pencher sur le petit accroc qu’a eu le ministère Nigérien des affaires étrangères et de la coopération, avec la CEDEAO via sa représentation à Niamey. IL semblerait que l’organisation économique ouest-africaine ait pris des initiatives seules, qui ensuite ont été déclarées sous la triple tutelle de la CEDEAO, l’UA et l’ONU.
Quoi qu’il en soit, le ministère rappelle les bonnes manières aux visiteurs. Il n’est pas acceptable qu’une telle visite soit organisée de façon unilatérale. D’autant que la colère populaire gronde à l’encontre de cette institution qui a imposé des sanctions économiques et financières drastiques qui touchent en premier lieu les populations.

Suite à ces sanctions, le ministère rappelle que les autorités nigériennes ont du fermer leur espace aérien, qu’il est donc plus compliqué d’organiser une ouverture de l’espace pour leur permettre de venir dans des conditions garantissant la sécurité requise, et qu’en ces conditions, il serait attendu de convenir d’un protocole d’usage. Qui plus est, ce type de visites doit voir son programme discuté et entendu par les parties concernées au préalable.  Ceci n’est pas sans rappeler la réponse récente du président Algérien Abdelmadjid  Tebboune à un journaliste quant à sa visite de travail en France… Les chefs d’état africains quels qu’ils soient, commencent à exprimer leur agacement de ces vieilles et mauvaises habitudes colonialistes.
C’est ainsi que la visite tripartite n’eut pas lieu. De son côté, la Cedeao ne mentionne pas tous ces détails et se contente d’annoncer qu’elle reste prête à faire tous les efforts en vue d’un retour à la légalité.
Rappelons qu’une première visite d’une représentation de la cedeao avait été reçue à l’aéroport, mais n’avait pu voir ni le leader du CNSP, ni le président déchu : L’unique exigence de la Cedeao était le retour à « l’ordre constitutionnel », et celle des « putschistes » leur refus catégorique de cette option qui pour eux signifie le retour du président Bazoum.
Entre temps, la visite de l’émissaire américaine victoria nuland , le 7 août, ne semble pas avoir eu plus de succès. Elle n’a pas plus réussi que la Cedeao à s’entretenir avec le général Tchiani ( Tiani ), président du CNSP et de la transition, ni avec Mohamed Bazoum, le président déchu. Elle a cependant rencontré le général  Moussa Salaou Barmou, un ancien qui a collaboré avec les forces spéciales états-uniennes. Selon Nuland, les dirigeants du CNSP sont très conscients du « risque qu’ils font peser sur leur souveraineté avec une invitation à Wagner ». L’administration américaine, qui ne qualifie pas encore les événements au Niger de coup d’état mais de « renversement de l’ordre constitutionnel » – histoire d’éviter de faire appliquer la loi prévoyant l’arrêt de toute coopération militaire – se contente de manœuvrer prudemment dans ce qui contient aussi des enjeux de positionnement des grandes puissances dans un contexte de rupture et de reconfiguration. Pour rappel, les états unis possèdent une importante base de drones au Niger, qui est selon certaines sources militaires, notamment françaises, à l’origine de la moitié des informations relevant du renseignement dispensées dans le Sahel. On peut y percevoir  l’enchevêtrement complexe et contradictoire de la politique américaine qui d’un côté s’appuie depuis longtemps sur la configuration Françafrique, mais qui est prête à en découdre si cela est inévitable, voire nécessaire pour eux. Cela met la France dans une position de plus en plus problématique, d’autant que la gronde populaire contre l’impérialiste France éclate partout, autant sur son territoire que sur celui du Sahel qui jusque là était sa chasse gardée, mais également un élément constitutif important dans la configuration stratégique du système mondial, avec tout ce que ça draine comme institution colonialistes telles que le franc CFA. Les premiers grands coups sont donnés pour entamer la destruction de ce bastion structurel de la colonisation moderne.
La visite de Nuland a succédé à celle du colonel Malien Abdoulaye Maïga, représentant Bamako et Ouagadougou dans l’alliance avec Niamey.
Ces mouvements politiques et diplomatiques coïncidaient non seulement avec les attaques des forces françaises, mais également avec une reprise de l’activité des groupes armés au Mali et au Burkina Faso.  Pour exemple, 17 personnes, dont cinq chasseurs dozos ont été tuées ce week end près de Bandiagara dans le centre du Mali. Attaques attribuées à des groupes terroristes a indiqué le gouverneur de la région dans un communiqué du 7 aout. .
En même temps que ces visites avortées et cette reprise plus que suspecte de l’activité terroriste ainsi que de l’attaque des forces françaises à partir du Tchad, ce 8 août, plusieurs anciens présidents premiers ministres et président de l’assemblée nationale du Niger ont adressé une lettre à Bola Ahmad Tinubu, le président du Nigeria qui est également celui actuel de la Cedeao. La lettre le prie de bien vouloir revoir ses positions quant aux sanctions financières et économiques qui sont tombées sur un des plus pauvres pays du monde, et demande leur levée, tout en mettant en garde de l’aberration de ses sanctions surtout accompagnées de menaces d’intervention militaire. Une solution que des camps de plus en plus nombreux et de moins en moins timides, estiment être plus apte à aggraver la crise qu’à n’arranger quoi que ce soit. 

Du côté politique intérieure du pays, un front de soutien au président déchu Mohamed Bazoum se constitue. A mesure que les menaces d’intervention se font moins intimidantes et que les nouvelles autorités Nigériennes affirment leur intransigeance, les réseaux et cercles qui ne trouvent pas leur compte dans ce renversement, commencent à se prononcer pour ce qu’ils nomment le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Les organisations d’avocats, de magistrats, des activistes de la démocratie et des droits de l’homme, ces représentants habituels des couches stagnantes voire réactionnaires condamnent tous avec virulence le coup d’état … Quelque chose de semblable dans beaucoup de pays noyés par les réseaux d’ingérences  aux agendas multiples et aux visées aujourd’hui évidentes pour tous. Le 8 août, des cadres dits de l’ancien régime de la « renaissance », ont annoncé la création du Conseil de la Résistance pour la République. Le mouvement est dirigé par l’ancien chef de la rébellion du Nord, et ancien ministre Rhissa Ag Boula. Après avoir valsé de nombreuses années entre rébellion sécessionniste et fonctions régaliennes, il a eu sa période d’émissaire de la paix. Aujourd’hui, il revient en force dans le camp des va-t-en-guerre, n’hésitant pas dans la déclaration de naissance du conseil à qualifier le CNSP de traitres, ni à appeler la Cedeao à opérer une intervention ferme pour rétablir dans ses fonctions celui qui, selon ce conseil, représente le choix du peuple.
L’étau se resserre. Les alliés de l’occident paniquent au spectacle d’un élargissement naturel du front pro-CNSP. Dès le début déjà, les dignitaires religieux, les grandes centrales syndicales, de nombreux partis politiques ou organisations panafricanistes, au Niger ou ailleurs dans le Sahel, ont appuyé le putsch tout en le mettant en garde contre une quelconque dérive dont on attend d’eux qu’ils la combattent.
La déclaration des évêques catholiques d’Afrique de l’Ouest ne condamne à aucun moment le renversement politique et se contente de répéter à la Cedeao de tout faire pour éviter la solution militaire et favoriser le dialogue et les solutions de paix. On peut envisager que ces évêques, en contact direct avec la population, perçoivent clairement la volonté de celui-ci de se débarrasser des régimes anciens devenus caduques et inopérants y compris dans les intérêts inavouables qu’ils défendaient. Il est vrai que même de loin, on peut percevoir la popularité manifeste qu’obtiennent ces mouvements politiques et militaires au Sahel, et qui traduisent des dynamiques profondes aux implications à long terme. 

Nedjma Baya Merabet 

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