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Réédition de Mein Kampf : faux combat politique, mais occasion de débat historique (1/2)

Par Khider Mesloub

Projet à plusieurs reprises reporté en raison des controverses soulevées à propos de l’utilité pédagogique et politique de sa réédition, la maison d’édition Fayard s’est finalement résolue à publier Mein Kampf (« Mon Combat »), le livre programmatique et autobiographique d’Adolf Hitler.

Depuis l’annonce de sa reparution en 2016, date de son entrée dans le domaine public, Mein Kampf ne cesse de défrayer la chronique, de faire l’objet de nombreux débats.

Rédigé par Adolf Hitler entre 1924 et 1925 pendant son incarcération à la suite de l’échec du putsch de la Brasserie de Munich du 8 novembre 1923, Mein Kampf constitua initialement un mémoire d’une soixante de pages pour sa défense lors de son procès. Mais, rapidement, le manifeste se métamorphosa en livre de plus 700 pages, dans lequel sont consignés des éléments biographiques, le programme politique de son organisation, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). L’ouvrage fut destiné initialement à ses militants.

Certes, Mein Kampf est un livre animé par la haine et le racisme, mais pas uniquement à l’encontre des juifs, comme le véhicule l’idéologie dominante occidentale. L’antisémitisme de Hitler le dispute à son aversion des Chinois, des Noirs et surtout des Slaves qu’il vouait aux gémonies, à son exécration des communistes qu’ils assimilaient aux juifs rendus responsables de tous les maux de l’Allemagne, notamment de sa défaite lors de la Première Guerre mondiale.  (L’historiographie dominante occidentale, imprégnée par l’idéologie sioniste, a toujours réduit la Deuxième Guerre mondiale impérialiste qui a décimé 60 millions d’individus de toutes nationalités et confessions, à une opération de massacre des « juifs », plus connue sous le nom de la Shoah. De même, Hitler a toujours été présenté comme uniquement un antisémite, alors qu’il était foncièrement xénophobe et raciste, vouant une haine génocidaire aux Noirs, Slaves, Arabes, etc.)

Hitler ne fut ni un écrivain, ni véritablement un penseur. Ce fut un simple tribun bavarois. Dans son livre, Hitler prêcha un violent darwinisme social, entendit substituer la lutte des races à la lutte des classes, promouvoir un antisémitisme virulent et un anticommunisme scélérat.

Mein Kampf est un livre ultranationaliste. Dans cet ouvrage, Hitler prônait certes l’exclusion des Allemands ou immigrés de confession judaïque de la vie politique et publique, mais jamais il ne fit référence à quelque projet d’extermination des « juifs allemands » (encore moins des autres pays). Cela pose ainsi la question de la Shoah. L’extermination fut-elle prévue dès l’intronisation démocratique de Hitler à la chancellerie du Reich, voire dès la rédaction de son manifeste politique ? Ou fut-elle « improvisée » dans le feu de l’action de la guerre totale menée par l’Allemagne nazie ?

Comme le reconnaissent les historiens fonctionnalistes, le nazisme, notamment sa version génocidaire, ne fut pas la concrétisation d’un programme politique rédigé dans le soporifique opuscule Mein Kampf, mais l’aboutissement de mesures incohérentes prescrites dans le contexte de guerre totale lancée par Hitler. Ni les camps de la mort ni les escadrons meurtriers nazis ne figurent dans Mein Kampf.

Pour autant, la réédition du pamphlet d’Hitler, Mein Kampf, donne de nouveau lieu à des empoignades entre les tenants de sa publication et les partisans du maintien de son interdiction. La polémique enfle au point de déborder les frontières. Toujours est-il que la controverse fait rage entre les deux tendances aux orientations politiques divergentes mais aux conceptions historiques confluentes.  Dans les deux camps, les arguments convoqués pour analyser et décrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de l’hitlérisme sont fallacieux.

L’Occident impose sa vision de l’Histoire

Sur le premier chapitre de l’histoire, l’appréhension de la question est très réductrice. Autant sur la genèse que sur les finalités de la Seconde Guerre mondiale.  En effet, depuis la fin de la guerre, le camp des vainqueurs, incarné par l’Occident, réussit le tour de force de procéder à une double falsification. Une chose est sûre : l’Occident imposa sa vision de l’Histoire, son paradigme historiographique.

Premièrement, les vainqueurs dépeignent, depuis la fin de la guerre, la Seconde Boucherie Mondiale sous les couleurs d’une épopée moderne dans laquelle l’héroïsme du monde libre le disputa au patriotisme sacrificiel pour sauver l’humanité de la bête immonde nazie (comme actuellement avec la guerre en Ukraine, où l’Occident proclame se battre, au nom de la défense de la démocratie, contre l’autocratie russe). Les vainqueurs accréditent le récit historique d’une guerre glorieuse et légitime entreprise par le camp du Bien contre le camp du Mal, dans un combat prométhéen de la démocratie contre le fascisme.  Bien évidemment, les alliés (les USA, l’Angleterre, L’URSS, etc.) représentaient le camp du Bien. Tandis que le camp de l’axe constituait le Mal. Selon cette grille d’écriture de l’histoire bourgeoise, les Alliés symbolise la civilisation, l’Axe incarne la barbarie (comme aujourd’hui, dans l’optique occidentale Israël incarne le Bien (car « c’est le pays démocratique dans cette région du Moyen-Orient »), les Palestiniens, le Mal (car « ils incarnent l’islamisme et le terrorisme »); Israël fait figure de victime, les Palestiniens présumés coupables, condamnés sans autre forme de procès par le tribunal médiatique présidé par le lobby pro-israélien).

Du point de vue de ce paradigme historique idéologique dicté par le camp des vainqueurs, les Alliés se battirent pour la démocratie, les droits de l’Homme, la défense de la civilisation, des valeurs humaines, de la liberté. Une imposture. Car nul n’ignore qu’à la même époque tous ces pays piétinaient allègrement, de manière factuelle, ces droits, ces principes, ces valeurs, ces libertés.

La France et l’Angleterre par leur colonialisme asservissaient des centaines de millions d’ « indigènes » réduits en esclavage. Les USA, pays de l’esclavage et du racisme institutionnalisé, déniaient tout droit civique aux Noirs américains. L’URSS, pays stalinien, avec ses goulags, n’avait rien à envier à l’Allemagne hitlérienne en matière de répression politique, de déportation des opposants et d’oppression des minorités ethniques. Enfin, tous ces pays étaient fondés sur le mode de production capitaliste (d’État pour l’URSS) dans lequel l’exploitation, l’oppression, l’aliénation sont érigés en mode de fonctionnement « naturel », l’asservissement du prolétariat institutionnalisé par le salariat sur fond d’une répression « démocratique » assurée par le bras armé et le droit coercitif des classes possédantes :  la police et la justice.

D’autre part, seconde falsification : l’historiographie dominante occidentaliste confine toujours cette Deuxième Guerre mondiale, par une focalisation psychologisante ou démonologique de l’histoire, à la seule personne d’Hitler, censé être l’unique responsable de la guerre, du fait sa présumée personnalité pathologique, de son supposé esprit démoniaque (rhétorique psychologisante incriminante réutilisée actuellement contre Poutine, présenté comme un fou, un psychopathe à abattre).

En réalité, la Seconde Guerre mondiale constitua une véritable guerre impérialiste préparée de longue date par l’ensemble des pays belligérants en lice pour le repartage du monde. Hitler ne fut que le pantin du grand capital allemand. Hitler n’était ni un Génie ni un Malade mental, comme le propagent de nombreux historiens, adeptes de la personnalisation de l’histoire.

En réalité, n’était l’accélération de la crise économique mondiale à partir 1929, son ascension et son accession démocratiquement au pouvoir en 1933 n’aurait jamais pu se réaliser. Force est de relever que, avec ou sans Hitler, la Seconde Guerre mondiale aurait éclaté : elle était inscrite dans l’agenda impérialiste depuis 1918, date de la fin de la première mi-temps interrompue par le surgissement inattendu du prolétariat sur le théâtre des opérations belliqueuses mais actionnés sur son terrain de classe, notamment en Russie avec la révolution soviétique. Car la guerre constitue l’ADN du capitalisme. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. Il est né dans la boue et le sang et se perpétue dans la fange et par le dégorgement des hémoglobines. Comme on le constate tristement actuellement avec la guerre en Ukraine menée par les puissances impérialistes, prélude à la confrontation militaire généralisée.

Quoi qu’il en soit, il ne faut jamais perdre de vue que cette Seconde Guerre mondiale, tout comme la Première, se produisit au sein du mode de production capitaliste, au cœur du monde impérialiste, dans le giron européen, au sein de l’univers « civilisé », berceau de la « démocratie », pour résoudre militairement les contradictions inhérentes à ce système confronté en permanence aux crises économiques. Cette Boucherie mondiale ne se déroula pas dans un man’s land socio-économique, politique et idéologique.

Les deux guerres mondiales ne surgirent pas ex nihilo. Elles furent enfantées par un système de production déterminé, baptisé et nommé capitalisme. Encore une fois : ce ne fut pas Hitler qui provoqua la Seconde Guerre mondiale, mais la Première Guerre mondiale qui enfanta la Seconde Guerre mondiale, avec les frustrations politiques suscitées par la redistribution des cartes géopolitiques sur fond d’une crise économique exacerbée. Hitler, en bon soldat du capital allemand, ne fut qu’un dirigeant propagandiste, catalyseur des foules, puis meneur de troupes de choc.

Au demeurant, force est de constater que tous les pays belligérants étaient impérialistes, colonialistes (France et Angleterre) totalitaires (URSS), ségrégationnistes (États-Unis). Qui plus est, contrairement aux pays Alliés, l’Allemagne n’occupait aucun pays. N’opprimait aucun peuple.

Le peuple algérien subissait le nazisme tricolore depuis 1830

Par conséquent, il n’y avait à défendre aucun des deux camps en guerre. S’il fallait prendre position, comme le proclama Lénine lors de la Première Guerre mondiale, c’eût été d’appeler, comme dans le Projet de résolution de la gauche de Zimmerwald du 2 septembre 1915, à « transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l’expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ».

D’aucuns rétorqueront qu’il fallait lutter contre le fascisme pour sauver la démocratie, « système politique plus humain » (on vient de démontrer l’inanité de cet argument : les fameux pays dits démocratiques, la France, l’Angleterre et les États-Unis, exploitaient, opprimaient, asservissaient des centaines de millions « d’indigènes », notamment la France avec son système colonial instauré en Algérie, avec son lot de massacres de masse, d’expropriation territoriale, de spoliation des richesses nationales, de ségrégation sociale et spatiale appliquée contre le peuple algérien réduit à vivre sous le code de l’indigénat. Le peuple algérien subissait le nazisme tricolore depuis 1830, tout comme les peuples de l’Inde et de l’Afrique sous domination britannique, des Afro-américains aux États-Unis).

Pour justifier et légitimer ses guerres, la classe dominante recourt constamment à tous les subterfuges. Comme il sied aux plumitifs de service, les intellectuels organiques contemporains lui emboîtent le pas pour cautionner cette boucherie par des arguties selon lesquelles la démocratie bourgeoise représenterait le modèle et l’idéal de gouvernance le plus « accompli », popularisé au sein d’un système capitaliste le plus performant, au-delà duquel aucun autre mode production ni de gouvernance inédite ne pourrait triompher. Le capitalisme serait ainsi l’horizon indépassable de l’humanité parvenue enfin à la fin de son histoire. Et la démocratie de marché, le modèle de gouvernance le plus parfait.

À la vérité, la démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du Capital. Dans l’histoire, Démocratie et Dictature, deux modes de régulation politique au sein du même mode production capitaliste, se succèdent alternativement, au sein du même État, au gré des conjonctures économiques et sociales, c’est-à-dire de l’exacerbation ou de l’assoupissement de la lutte des classes. D’aucuns diraient que l’Occident est fondé sur la liberté. Les travailleurs sont libres et indépendants. Depuis quand un salarié est-il indépendant de son employeur ? En vérité, dans le système capitaliste, tout salarié est asservi à son patron, autrement dit c’est un esclave rémunéré, et à ce titre ne dispose d’aucune liberté au cours de sa phase d’exploitation, c’est-à-dire son temps de travail aliéné. Il est corps et âme dévoué à son patron à qui il doit docilité, obéissance, soumission. Une fois franchi le portail de l’entreprise (camp de concentration professionnel, goulag salarial), tout salarié perd sa liberté (de pensée, de conception, d’élaboration, de programmation, de décision : facultés totalement monopolisées par Son patron). Il est dépossédé de soi. Il appartient corps et âme à son employeur qui lui impose le planning de production, lui dicte le rythme de travail, lui prescrit les tâches à exécuter, lui assigne les objectifs commerciaux, lui ordonne de fournir une rentabilité toujours performante. Heureux l’esclave d’antan qui ne s’enorgueillissait pas de sa condition sociale servile, conscient de son assujettissement forcé. Aujourd’hui, l’esclave-salarié est fier d’exhiber son contrat d’asservissement professionnel, sa fiche de paie d’aliéné heureux, fier de ses quatre semaines de vacances octroyées par son patron, par ailleurs employées à enrichir les capitalistes du secteur de loisirs par ses dépenses consuméristes

Certes, depuis 1945 les pays occidentaux vivent, pour la première fois de leur histoire jalonnée de perpétuelles guerres séculaires sanglantes, dans une « période de paix » (du moins jusqu’à février 2022, date du déclenchement de la guerre en Ukraine, prodrome de la Troisième Guerre mondiale). Mais à quel prix ? Au prix de l’exportation de Leurs Guerres dans les pays périphériques (au Moyen-Orient, en Afrique), au plus grand profit de l’industrie de l’armement occidental (mais aussi russe et chinois, ces deux pays féodaux devenus, par une transition violemment accélérée, capitalistes). En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a jamais eu autant de guerres aux quatre coins de la planète. Autant de massacres. De morts, majoritairement civils (c’est une caractéristique du capitalisme : les principales victimes des guerres sont toujours des civils – la preuve par Israël qui massacre la population civile palestinienne avec des moyens militaires hautement sophistiquée, notamment par le largage des bombes, le lancement des missiles). D’exodes. De génocides quotidiens provoqués par les malnutritions et les maladies. D’Holocaustes perpétrés à petit feu, autrement désignés sous l’euphémistique terme « famine ». Quelle est la différence entre les massacres massifs perpétrés par le nazisme et les famines occasionnées par le capitalisme mondialisé contemporain ? Aucune. S’il y a une différence, elle est de degré et non de nature. Dans le cas des famines contemporaines, le capitalisme massacre à petit feu, dans l’indifférence générale.  Et non à l’échelle industrielle et massive comme l’exécuta le système hitlérien dans ses camps de concentration et de travail, et sur les fronts de guerre. Aux yeux du « monde libre » occidental, avec sa morale à géométrie variable, seule l’horreur nazie est apparemment condamnable. L’horreur démocratique capitaliste est humainement tolérable.  Les massacres perpétrés au nom de la démocratie sont bénis, auréolés de vertus politiques et de caution morale (comme il le prouve actuellement avec son soutien indéfectible accordé à Israël dans sa guerre d’extermination du peuple palestinien, hier avec les guerres menées contre l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, la Libye, etc., et, depuis le 24 février, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine).

 

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