A la une, Contribution

La férocité de l’appareil sécuritaire français (5ème partie)

Par Mohamed Belhoucine*

Mater et écraser les populations post-colonisées.

« Durcir la cuirasse policière, là où les français aiment la voir dans l’espace public, pour économiser le glaive. Généraliser les polices de choc et intensifier le harcèlement social » (et raciste (n.d.m)).  Charles Pasqua, 28 juillet 1994, table ronde à la préfecture de police.

Il faut aussi savoir que cette généralisation de la lutte anti-insurrectionnelle urbaine est liée de prés à l’essor de l’armement sublétal, indissociable du marché de la coercition en particulier et de la sécurisation en général (pare-balles lourds et légers, maglight, outils de perquisition (pince monseigneur, pied-de-biche), voitures banalisées et très puissantes, flash-balls, Cougars, Tasers , de gazeuses, de pistolets, de fusils à pompe, grenades de désencerclement etc.).

Une police gâtée qui expérimente de nouvelles armes sur les populations pauvres (ex : clefs d’étranglements), en exige l’achat, suscite de diversification de produits et consomme des munitions et de l’entretien.

Les sociétés impérialistes occidentales importent dans leur système de contrôle, de surveillance et de répression des dispositifs qui viennent des répertoires militaires coloniaux (la Bataille d’Alger a inspiré et a servi de dispositif d’instruction pour les généraux américains en Irak).

A l’époque où l’Algérie était une colonie de peuplement française, celle-ci était sujette et ouverte de façon poussée à un vaste champ d’expérimentations de différents modèles de gestion militaire de la population colonisée (colonel Schoen, les bureaux Arabes), où furent développés des répertoires d’encadrement qui vont influencer en permanence, depuis 1830, la restructuration du contrôle de la population non seulement  « en métropole » pour ficher et suivre nos émigrés, nos frères asiatiques mais aussi les compagnons de Messali Hadj et de l’agrégé en physique Hadj Ali (originaire de Bordj (Mascara) décédé en 1932, ces mêmes répertoires seront enseignés et appliqués beaucoup plus tard pour d’autres pays colonisés et plus particulièrement ceux de la Palestine occupée par l’entité sioniste.

L’application de ces mêmes dispositifs déjà expérimentés en Algérie, le seront sur les populations émigrés en métropole directement désignées comme étant la continuité des indigènes en Algérie (c’est le langage de la police coloniale française de l’époque), c’est-à-dire principalement les opprimés et les dominés dans la mappemonde coloniale.

Le marché de la coercition et de la sécurisation alimente l’armement sublétal de la police française. Du matériel d’exception.

Abdelmalek Siad (1933-1998) où les concepts de la suraccumulation de puissance et la pacification du territoire.

Abdelmalek Siad considère que le corps des policiers comme un accumulateur humain de violence d’Etat. Le corps du policier colonial est dressé techniquement pour produire de la coercition. Le policier français est formé idéologiquement à la violence d’Etat pour être un rempart contre la ‘’barbarie’’ tel que stipulé par la propagande officielle. Les policiers les plus malléables et dotés d’une mentalité féroce, vont accumuler les frustrations et les pulsions violentes et prédatrices que les classes dominantes déposent dans ces institutions.

Le sociologue Algérien Abdelmalek Siad (1933-1998), relevait déjà, que les répertoires particuliers de violences appliqués aux colonisés dans les colonies, vont inspirer « en métropole » la police du régime colonial français, tels les rituels permanents produits par la domination policière qui en fera un usage régulier sur le corps sacrifiable du damné : techniques de vexation, attitudes de défiance, agressivité et arrogance à l’égard des classes dominés, fixer dans les yeux de manière insistante et agressive ceux que l’on veut provoquer, provoquer la rébellion et le refus d’obtempérer pour justifier une arrestation, provoquer la fuite et tirer sur le dos.

« Sécurisation par le vide » (interpellations très rapides confinant à l’enlèvement et à la disparition, qui résonnent avec les techniques contre-insurrectionnelles).

Traquer la misère basanée, abattage, produire les menaces qu’elle est censée réduire, produire des affaires, vengeances, brimades, pratiques de coercition, de brutalités, participation aux séances d’entrainement de tirs pour sentir l’odeur de la poudre et le fracas des détonations qui procurent aux policiers une sorte d’ivresse qui va alimenter leur férocité.

La fabrication gratuite de désordre pour réprimer ; provoquer, narguer, menacer, obsession pour la traque, entretenir les humiliations ritualisées et d’infériorisation, nourrir constamment la tension, normalisation de l’utilisation des sirènes et gyrophares comme technique d’action psychologique, le son produit est une torture sociale eu égard à sa singularité spectrale exclusivement dédiée aux espaces populaires non blancs.

L’industrialisation de l’excitation policière pour la chasse et la capture, les techniques d’immobilisations physiques, les plaisirs sadiques, pervers et charnels que procure cet acharnement sur la population post-colonisée, les viols de femmes dans les commissariats, rafles d’assassinats, de disparitions, des tortures pratiquées longtemps bien même avant la guerre d’Algérie et de manière continue (les années 1920, 1930, 1940 , 1950 et 1960, et même jusqu’à nos jours, ces 10 dernières années plus de 230 assassinats perpétrés dans les commissariats par la police française). Toutes ces techniques sont à la connaissance et sous les ordres de l’Etat français pour légaliser la violence, validée institutionnellement.

J’ai relevé dans le magistral cours d’Histoire de Mahfoud Khadache, ‘’ l’Algérie des algériens’’, l’Algérie était déjà encadrée dans les années 30 par une police qui s’appelait Brigade de surveillance des Nord-Africains (BNA) qui était donc une police opérant sous critères racistes, chargée par l’utilisation de la coercition pour encadrer les français indigènes de souche nord-africaine. Ces répertoires vont se transmettre. La continuité de l’Etat français, veut dire la continuité des personnels, des administrations et des bureaucraties. Et à travers la restructuration des unités de police, se transmettent des systèmes de discours, d’imaginaires, d’idéologies, et de pratiques qui puisent dans les pratiques coloniales qui avaient comme lame de fond les préjugés de l’église sur les sauvages (les noirs africains) et les barbares (les musulmans) à coloniser, à aseptiser prophylactiquement, et à domestiquer, mission dévolue à la fille ainée de l’église (la France).

Bien même avant le 17 octobre 1961, la police française disposait de tous ces répertoires qui appartiennent à l’arsenal de l’encadrement normal et quotidien des arabes à Paris depuis le début de l’émigration algérienne du XIXe siècle.

Les doctrines de contre-insurrection coloniale expérimentées en Algérie durant toute la période coloniale, dominaient la pensée militaire de l’époque, ont été importées et réagencées après leur application industrielle pendant la guerre d’Algérie, notamment à partir de 1956  pour passer du répertoire militaire et colonial dans le répertoire policier de l’écrasement des arabes en Algérie et à Paris [les Français depuis la colonisation de l’Algérie ont toujours utiliser à leur profit  les rivalités séculaires entre les différents groupes ethniques et plus précisément celle opposant les Arabes et les autres minorités , c’est l’opération ‘’oiseau bleue’’ , ou ‘’opération k’’  ou ‘’force k’’ au printemps 1956].

[Ce procédé est repris aujourd’hui en Algérie, notamment en Kabylie, par la DGSE, Le Mossad et les services marocains sous les oripeaux du MAK Kabyle].

Et tout ceci s’est passé à travers tous les cribles des strates de la bureaucratie policière, depuis le sinistre figure emblématique de Maurice Papon, mais aussi à des « étages » moyens et inférieurs, tel le Colonel Schoen des bureaux Arabes en Algérie, de la police, les CRS, les gendarmes mobiles…

Plusieurs générations de jeunes français font leur séjour en Algérie pendant la guerre en tant que policier en formation ou pour servir puisqu’on avait utilisé la plupart des effectifs militaires et policiers disponibles à l’époque pour faire la guerre d’Algérie. Il y a donc déjà une masse de policiers et de gendarmes qui ont été faire la guerre aux colonisés pour casser le bougnoule (selon le jargon popularisé de l’époque) et ils se sont appropriés le modèle de contre-insurrection, le modèle de terreur d’Etat (qui a court toujours dans l’administration sécuritaire française).

Et puis à coté, il y avait tout le contingent des « appelés », toute une génération de jeunes mâles qui vont se construire – certains, en opposition dès fois en insubordination, mais cela concerne une très petite minorité – dans cette guerre d’Algérie, et à travers toute l’économie psychique que cela suppose, les peurs et la férocité que ça va engendrer dans toute une génération qui prendra ensuite les manettes de la Cinquième République française.

Ce que j’essaye de montrer donc, et que l’on voit bien dans le discours de Maurice Papon à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) en 1960, c’est que lui en tant que IGAME, c’est-à-dire super préfet itinérant en Algérie, se forme à la contre-insurrection – c’était déjà un spécialiste des mécanismes de purges, il s’était illustré par la déportation des juifs de Bordeaux pendant l’occupation – et donc, assez logiquement, est nommé super préfet en Algérie pour organiser l’écrasement de la révolution algérienne.

Maurice Papon sera largement inspiré par les travaux du Lieutenant-Colonel David Galula (un juif d’origine tunisienne de Sfax, naturalisé français avec sa famille en 1929) qui pour lui l’insurrection n’est pas une fatalité ni une finalité : en s’adaptant à la situation, le gouvernement de contre-insurrection peut s’assurer du soutien de la population, qui est la clef du succès.

Il faut noter que l’approche de Galula est avant tout politique, sans recours, systématique à la violence en privilégiant les actions psychologiques. Galula tire les leçons de sa longue pratique de ce type de conflit, où il séjourna en Chine, jusqu’à la Chute de Tchang Kaï Chek et en Algérie durant la guerre d’Algérie.

Galula est devenu une référence majeure pour la génération d’officiers de l’US Army aux prises avec les insurrections modernes, disparaitra prématurément à l’âge de 48 ans (1919-1967). Le chef des forces américaines en Irak, David Petraeus, le décrira comme le principal stratège français du XXe siècle, « Le Clausewitz de la contre-insurrection ».

*Dr en Physique, DEA en économie

Lire: La férocité de l’appareil sécuritaire français (4ème partie)

Et: La férocité de l’appareil sécuritaire français (3ème partie)

La férocité de l’appareil sécuritaire français (2ème partie)

La férocité de l’appareil sécuritaire français (1ère partie)

 

Partager cet article sur :

publicité

Dessin de la semaine

Articles similaires