Présent à l’occasion de la tenue de la session de la Cour Internationale de Justice consacrée à la plainte déposée par l’Afrique du Sud, accusant l’entité sioniste de génocide du peuple palestinien, le journaliste de la radio Maghreb-France, Tarek MAMI, nous raconte les péripéties de cet évènement judiciaire qui a tenu en haleine la presse internationale.
Algérie54: Vous avez assisté ce jeudi et vendredi 11 et 12 janvier à la session de la CIJ consacrée à la plainte de l’Afrique du Sud, accusant l’entité sioniste de génocide du peuple palestinien. Quels sont les premiers enseignements à tirer de cette empoignade judiciaire qui tient en haleine l’opinion publique internationale ?
Tarek Mami: Au lieu d’empoignade judiciaire, je dirais qu’il s’agit plutôt d’une épopée comme on disait des grands moments de l’Histoire dans l’antiquité. Le moment était historique à plus d’un titre.
Tout d’abord, par le lieu et le climat. La CIJ est installée à La Haye, en Hollande, ou il faisait moins huit degrés. Cette ville réalise la performance d’héberger les deux tribunaux de la justice internationale. La CIJ (Cour Internationale de Justice) et la CPI (Cour Pénale Internationale). La première juge les états. La seconde juge les personnes.
Ensuite, par la présence des défenseurs de la cause palestinienne et de la cause israélienne. Côté pro-palestiniens, il y avait, à six heures du matin, plus cent cinquante personnes, devant la grille du Tribunal, venus tous avec l’espoir d’assister à l’audience. Finalement, seuls quatorze personnes, outre les journalistes, ont pu accéder à la salle d’audience. Parmi les quatorze heureuses personnes qui ont pu décrocher le fameux sésame badges-d’accès, figurent le Français Jean Luc Mélenchon, patron du mouvement politique LFI (La France Insoumise), et l’Anglais Jérémy Corbin, ancien leader du parti socialiste anglais. Ceci n’a pas empêché tous les autres de rester sur place, et de voir leur nombre s’amplifier, tout au long de la matinée, pour approcher du millier. Ils vont chanter et danser, pour soutenir leur cause, jusqu’à seize heures et la tombée de la nuit, alors que l’audience du jour, et la plaidoirie sud-africaine, s’est terminée vers treize heure trente. Côté pro-israéliens, il y avait, à dix heures du matin, une dizaine de personnes encadrée par une vingtaine d’agents de sécurité. Fait marquant, au bout d’une petite demi-heure, les défenseurs de la cause israélienne se sont retirés des environs du Tribunal.
Algérie54:Pour beaucoup d’observateurs présents à cette session, l’Afrique du Sud a axé sa plaidoirie sur le volet juridique alors que l’entité sioniste avait focalisé sur le volet politique. Y-a-t-il selon des chances que la plainte sud-africaine aboutisse à condamner l’entité sioniste?
Tarek Mami : Tout à fait. Le déroulement des audiences confirme votre lecture. Pour mettre en cause la politique israélienne et atteindre leur but, qu’est l’obtention de la présomption de l’existence d’un génocide à Gaza, et donc la condamnation d’Israël par la prononciation de mesures provisoires qui imposent la fin de la guerre, les demandeurs sudafricains ont déroulés, le 11 janvier, une plaidoirie juridique et ont évité la plaidoirie politique. C’est ainsi que le premier avocat sudafricain assène : « le gouvernement sud-africain a condamné le 7 octobre les actes commis par le Hamas en Israël. Cependant, quel que soit les horreurs commises le 7 octobre, elles ne sauraient justifier les actions génocidaires commises par Israël, à Gaza. » Cette attaque neutralise, d’entrée, la future plaidoirie de la défense des israéliens, qui faute d’arguments juridiques solides ne pouvaient procéder qu’à une plaidoirie politique. Les sud-africains insistent, donc, sur les actes militaires factuels israéliens, et sur les intentions criminelles de la stratégie israélienne et sa préméditation à base de déclarations des ministres israéliens, dont le premier d’entre eux, qui cite un verset de la Thorah qui recommande de « tuer hommes, femmes, enfants et animaux », une recommandation d’extermination totale de la population de Gaza, et non pas seulement les combattants du Hamas, mais aussi celles des députés et des militaires qui ont envahis Gaza. Avant d’enchainer sur la compétence de la CIJ, au vu de sa propre jurisprudence, pour ordonner, plusieurs décisions provisoires, dont l’arrêt immédiat de la guerre contre Gaza et le retrait de l’armée israélienne de l’enclave palestinienne.
A contrario, les israéliens vont focaliser leur défense, lors de l’audience du 12 janvier, sur les aspects politiques du conflit israélo-palestinien, faisant remonter le début du conflit au 7 octobre 2023, et non à 1948, et la Nakba (catastrophe) des palestiniens et leur expulsion de leur terre, pour justifier leur slogan « une terre sans peuple, pour un peuple sans terre ». Ce faisant, les avocats isréliens décrivent les palestiniens comme les agresseurs et les israéliens comme leurs victimes, reprenant leur récit répété depuis 75 ans. Ils qualifient les palestiniens de « nouveau Daech » et de « nouveaux nazis », sans arriver à avancer un argument juridique fort pour démonter la solide argumentation juridique sud-africaine. En fin juristes, les avocats israéliens tentent une pirouette sur la compétence de la CIJ en prétendant que l’Afrique du sud a commis des erreurs de procédure, qui doivent amener la CIJ à prononcer son incompétence, à ce titre. Et pour charger la barque et demander au tribunal de ne pas entrer en voie de condamnation d’Israël, ces avocats imputent à l’Égypte le peu d’entrée des aides humanitaires à Gaza, mais aussi que les phrases de style « animaux humains », ou « il faut balancer une bombe atomique », ne suffisent pas à « démontrer l’intention génocidaire » de l’état israélien. Le coup de théâtre de la plaidoirie israélienne intervient lorsque l’avocat anglais qui défend la cause israélienne emmêle ses papiers et déclare à deux reprises, « je ne retrouve pas l’ordre de mes papiers et je perds le fil de ma pensée », avant d’ajouter « mes papiers ne sont pas un jeu de carte de jeu, qui c’est qui les a touchés ». Ce moment, hilarant, se conclu par l’intervention du chef de la délégation israélienne qui récupère les pages de la plaoirie pour les remettre à une assistante, qui les … remets dans l’ordre avant de les remettre à l’avocat plaideur. Cette séquence incroyable traduit l’état d’esprit de l’avocat anglais, pris de panique « à l’insu de lui-même ».
Algérie54:Une issue favorable à la plainte sud-africaine, contraindrait le Conseil code Sécurité de l’ONU à exiger un cessez-le feu immédiat, et les alliés occidentaux de l’entité sioniste ne peuvent pas utiliser leur véto. Est-t-il possible selon vous d’avoir ce scénario?
Tarek Mami:Les décisions de la CIJ ne sont pas adoptées à l’unanimité, mais par une majorité fixée à un minimum de 8 juges sur les 15 juges que comptent la cour. Cette procédure en combinaison avec la solide argumentation sudafricaine et la faiblesse de la défense israélienne permet tous les espoirs et une très probable future prononciation de certaines de neuf demandes de l‘Afrique du sud, ce qui voudra condamnation (provisoire) de l’entité sioniste. Ce faisant la CIJ confortera sa jurisprudence et ses précédentes décisions, de prendre des mesures provisoires pour prévenir un génocide, notamment sa décision de janvier 2020 Gambie contre la Birmanie, et sa décision de mars 2022 Ukraine contre Russie. Si cette heureuse prévision était confirmée deux voies peuvent s’ouvrir. La première voie passe le conseil de sécurité et l’adoption d’une résolution qui ordonne un cessez le feu. Les états unis pourraient dans ce cas s’abstenir. L’opposition d’un véto américain ouvrirait le chemin à la seconde voie. Cette seconde voie passe par l’assemblée générale des nations unies qui pourrait proposer une résolution de suspension de l’adhésion d’Israël. Dans tous les cas, avant ou après la décision de la CIJ, une demande de reconnaissance de l’état palestinien pourrait être proposée à l’assemblée générale des nations unies. Cependant, quel que soit la future décision de la CIJ, sa saisine remet une pression énorme sur l’autre cour, la CPI, et sur son procureur Monsieur Khan. Ce dernier sait que l’institution qu’il dirige a été saisi par les palestiniens, dés 2009, et qu’elle n’a toujours pas engagé des actes de procédures forts, alors même qu’il a inculpé, au bout de quelques mois, le Président russe Vladimir Poutine pour des faits manifestement moins dramatiques, puisqu’il s’agissait du transfert d’une centaine d’enfants ukrainiens, en Russie, alors que dans le cas de Gaza, il s’agit de l’assassinat de 23.000 personnes, dont deux tiers sont des enfants et des femmes, outre les 7000 personnes sous les décombres, les 50.000 personnes blessées et le déplacement d’un million et demi de personnes. Toutes ces hypothèses soulignent l’importance de l’action engagée par l’Afrique du sud en trainant Israël devant la CIJ. Cette démarche sudafricaine perpétue la position du leader Nelson Mandela qui dit : « l’indépendance de l’Afrique du sud ne sera complète que lorsque la Palestine aura son indépendance. »
Algérie54: L’Afrique du Sud sort victorieuse de ce combat juridique, face au déni du droit international. Qu’en pensez-vous?’
Tarek Mami: Sur la forme, le pays de de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud, a provoqué un coup de tonnerre médiatique qui a, tout à la fois, ébranlé la Hasbara (propagande) israélienne et remué les tréfonds des médias mains-treams occidentaux, qui suivent à la lettre le récit israélien (serdiyya en arabe), produit, et constamment renouvelé, par les plus grandes agences de communication du nord global et les scénaristes de Hollywood. Sur le fond, l’action de l’Afrique du sud est très courageuse. Sur le plan juridique, elle est inédite, depuis la création de l’état d’Israël, par les nations unis, en 1948. Inédite, parce qu’elle a obligé l’entité sioniste, à se présenter, pour la première fois, comme accusée,devant une juridiction internationale, la Cour Internationale de Justice (CIJ), à La Haye,. En effet, jusqu’à cette date, Israël s’est toujours opposé à toutes les décisions prononcées par des institutions internationales. Elle a toujours refusé de se conformer aux décisions des institutions internationales, soixante-dix au total, à ce jour, y compris celles émanant du conseil de sécurité des nations unies qui l’a pourtant crée. Ce refus s’explique par l’arrogance et le sentiment d’impunité, acquis par Israël, au double motif de sa protection par le véto américain, d’une part, et d’autre part, par la douloureuse histoire du peuple juif, vécue dans l’occident chrétien, et non dans le monde arabo-musulman, à travers différents pogroms, qui ont culminés sous le nazisme avec la mise en place de camps de concentration, y compris dans le ghetto de Varsovie. Ce faisant, l’Afrique du Sud a remis le droit international au centre de la poltique internationale. Il l’a sorti du « carcan des mots et des grands principes et valeurs » brandis par le nord global contre le sud global, pour lui imposer des concepts formels vidés de leurs sens par la pratique effective du double discours, du double standard et d’une application à géométrie variable, de ces principes appliqués avec fermeté pour les opposants à l’occident , comme c’est le cas de la guerre Russie -Ukraine, et dilués pour les affidés de l’occident et de …l’Otan, comme c’était le cas avec le régime de l’Apartheid de l’Afrique du sud, hier, et comme c’est le cas de la colonisation israélienne aujourd’hui.
Entretien réalisé par M.Mehdi