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ANALYSE

Tordre le cou à la supposée surreprésentation des musulmans dans les prisons françaises

Dans notre précédente contribution (1), nous avions démystifié le narratif propagandiste qui attribue la flambée de la criminalité en France à l’islam. Dans cette présente contribution nous allons tordre le cou à l’autre narratif qui propage le mythe xénophobe selon lequel 70% de la population carcérale française pourrait être considérée comme de « culture ou de religion musulmane ». Preuve donc, selon les dirigeants et médias français, que « l’islam est criminogène ». Les musulmans potentiellement des criminels.

Par Khider Mesloub

Dans notre précédente contribution (1), nous avions démystifié le narratif propagandiste qui attribue la flambée de la criminalité en France à l’islam. Dans cette présente contribution nous allons tordre le cou à l’autre narratif qui propage le mythe xénophobe selon lequel 70% de la population carcérale française pourrait être considérée comme de « culture ou de religion musulmane ». Preuve donc, selon les dirigeants et médias français, que « l’islam est criminogène ». Les musulmans potentiellement des criminels.

Or, de prime abord, il convient de rappeler que, le fichage ethnique et religieux étant strictement interdit en France, il n’existe par conséquent aucun chiffre officiel établissant le nombre de musulmans dans les prisons françaises. 

Le seul chiffre officiel fourni par l’administration pénitentiaire est celui des détenus qui s’enregistrent pour le ramadan. Selon l’administration pénitentiaire, ces dernières années en moyenne 18 000 se sont enregistrés pour solliciter le plateau-repas spécial ramadan, soit 25 % de la population carcérale.

Le nombre de 70%, cité fréquemment par les politiciens et journalistes est donc fallacieux. Pourtant, les partis de droite et d’extrême droite continuent d’exhiber ce chiffre de 70% pour établir insidieusement une corrélation entre islam et criminalité. Entre délits et crimes et musulmans. 

Pour autant, selon plusieurs études, en matière d’incarcération de la population de confession musulmane, il existe un écart significatif entre la France et les pays européens. En effet, comparé à l’ensemble des pays européens, la France brille par sa surreprésentation des musulmans dans les prisons. 

Comment expliquer cette surreprésentation carcérale de la population musulmane dans les prisons françaises ?

À la fois pour des raisons sociologiques et discriminatoires.

Crise économique et climat xénophobe aidant, ces dernières décennies beaucoup d’immigrés, arrivés en France dans une situation financière précaire, trouvent difficilement un emploi. Cette précarité précipite certains d’entre eux, notamment les sans-papiers, dans la « délinquance vivrière ».

Par ailleurs, pour ce qui est des populations immigrées établies de longue date, nombre d’études soulignent la responsabilité des autorités publiques françaises qui isolent, par la politique de discrimination résidentielle, systématiquement les musulmans dans des banlieues affectées par un chômage endémique, affligées de logements sociaux et d’écoles publiques de qualité médiocre. Selon les statistiques, une majorité de la population française et immigrée de confession musulmane réside dans les villes populaires ou les banlieues défavorisées accusant un taux de chômage plus élevé que la moyenne. 

Plus de 50 % des « Maghrébins » vivent en France dans des zones périurbaines. Cependant, dans ces zones périurbaines, il y a un policier pour 510 habitants contre un pour 119 à Paris intra-muros. En d’autres termes, il y a quatre fois plus de policiers par habitant dans un arrondissement de Paris que dans une banlieue comme Aubervilliers. 

Aussi, n’est-il pas étonnant de relever que le taux de criminalité, et donc de risque d’arrestation et d’incarcération, quand la police décide d’opérer dans ces quartiers abandonnés, est quatre fois plus important dans les communes du 93 que dans les arrondissements de Paris.

Comme les populations françaises ou immigrées de confession musulmane sont surreprésentées dans les banlieues par ailleurs dépourvues d’infrastructures culturelles et sportives, privées de présence de forces de l’ordre régulières dans l’espace public, il est logique qu’elles le soient aussi dans les prisons, puisque certaines catégories de ces populations, notamment les jeunes livrés à eux-mêmes, ont quatre fois plus de risques de sombrer dans la délinquance que l’habitant, massivement français de souche, de Paris. 

Statistiquement, il est par conséquent logique que ces jeunes musulmans représentent un cinquième au moins de la population carcérale. Aussi est-il malhonnête d’invoquer la religion islamique pour expliquer la surreprésentation des musulmans dans les prisons françaises. L’explication est purement d’ordre sociologique. Mais également d’ordre raciste. Comme l’exemple étasunien le démontre. Dans ce pays pourtant chrétien les Afro-Américains sont également surreprésentés dans les prisons. 

Autrement dit, ni l’islam ni le christianisme ne peuvent être considérés comme criminogènes. En revanche, le système capitaliste occidental est criminogène et raciste. En particulier les États-Unis et la France. Les sociétés capitalistes américaine et française, longtemps fondées sur l’esclavage et le colonialisme, continuent à fabriquer, du fait de l’inégalité sociale intrinsèque, et la criminalité et le racisme. 

Qui dit racisme, dit arrestation plus régulière des personnes discriminées, les Arabes (musulmans) en France, les Noirs aux États-Unis. Qui dit arrestations régulières des personnes discriminées, dit incarcérations récurrentes de ces personnes discriminées. 

Assurément, en France la politique pénale est socialement discriminante. Comme le reconnaît du reste Laurent Mucchielli, sociologue à l’université d’Aix-Marseille : « La délinquance de rue, celle des miséreux, mène en prison ; la délinquance des riches, comme la fraude fiscale ou l’escroquerie, se conclut sur des transactions ou des amendes. » Notamment en matière d’évasion fiscale à l’étranger, « la cellule de Bercy ne saisit la justice que lorsque la négociation avec le délinquant a échoué ». 

La politique pénale étant socialement discriminante, il n’est donc pas surprenant que la répression de la délinquance de rue (vols à l’arraché, cambriolages, violences, petits trafics de stupéfiants, etc.) soit plus répandue que la répression de la délinquance en col blanc.

Conjuguée au durcissement de la répression judiciaire des petits délits, la politique pénale discriminatoire entraîne inéluctablement l’accroissement des condamnations et, corrélativement, du nombre de détenus. 

De manière générale, en France, plus que le statut social défavorisé du délinquant, intervient comme facteur explicatif du motif d’incarcération l’origine ethnique arabe, l’appartenance religieuse musulmane. Pour preuve. La population carcérale de confession musulmane est surtout présente dans les maisons d’arrêt (réservées à la détention provisoire et aux peines inférieures à deux ans) et dans les établissements pour mineurs, où la proportion atteint 30 %. En revanche, dans les maisons centrales, c’est-à-dire les prisons pour longues peines réservées aux criminels et au grand banditisme, seuls 14 % des détenus s’inscrivent pour les repas aménagés pendant le ramadan. Autrement dit, les délinquants musulmans sont plus massivement incarcérés pour des « larcins ». 

Contrôles au faciès systématiques obligent, il est plus facile pour la police, à délits équivalents, de contrôler et d’appréhender les jeunes basanés et noirs commettant des larcins. Pour les courageux policiers français il est plus normal et facile de contrôler et d’arrêter des jeunes basanés ou noirs qui consomment du cannabis au pied de leur immeuble que les nantis blancs qui se droguent dans leur spacieux appartement où ils peuvent recevoir aisément leurs amis consommateurs de drogues dures. Ainsi, police et justice de classe obligent, en France il est culturellement plus toléré de pourchasser et réprimer la délinquance des classes populaires que celle des riches.

En tout cas, un adolescent basané ou noir a plus de probabilité d’être appréhendé qu’un adolescent blanc. Et plus de risque d’être incarcéré. À plus forte raison, si le jeune basané ou noir est né à l’étranger. Car il est systématiquement jugé selon la procédure de comparution immédiate. Et la détention provisoire à son encontre est décidée 5 fois plus que pour un prévenu né en France. Par ailleurs, dans le cadre de procédure expéditive, à délit équivalent, le risque de peine de prison ferme est huit fois plus lourd. 

Aussi, la relative surreprésentation des jeunes issus de l’immigration dans les maisons d’arrêt s’explique tout à la fois par des raisons sociologiques (relégation résidentielle, pauvreté, échec scolaire, défaut de titre de séjour), policières (jeunes ciblés par des contrôles au faciès), discriminatoires (arrêtés systématiquement pour des délits mineurs), judiciaires (comparution immédiate). 

Autre inégalité : les personnes d’origine étrangère, du fait de leur impécuniosité les privant de recourir à un avocat de leur choix, sont moins bien représentés et conseillés par des avocats commis d’office. Autre inique inégalité : une fois la peine prononcée, contrairement aux condamnés blancs qui bénéficient souvent d’aménagement de peine, le basané ou le noir est contraint d’exécuter sa peine en prison. Y compris pour une courte peine. 

Or, la prison est la meilleure école du crime (ce n’est certainement pas la cellule familiale qui produit la délinquance, comme le propagent actuellement les politiciens et les médias stipendiés français). Une chose est certaine, la prison n’offre aucune chance de réinsertion, en particulier pour les courtes peines. En effet, une peine courte ne permet pas d’initier quelque projet d’insertion ou de bénéficier d’une formation en détention. Et ces « sorties sèches », de surcroît sans aménagement ni accompagnement, prédisposent à un risque plus élevé de récidive. Donc à un cercle vicieux.

Quoi qu’il en soit, avec l’outrancière criminalisation des populations de confession musulmane, il n’est pas étonnant de relever que, en matière d’arrestation et d’incarcération, les musulmans soient, quoique moins massivement que ce que laissent entendre les partis de droite et d’extrême droite (25% et non 70%), surreprésentés dans les prisons françaises. 

Cette relative et discriminatoire surreprésentation carcérale des français et immigrés de confession musulmane ne s’explique pas autrement que par la relégation sociale et le racisme institutionnel, et surtout leur criminalisation institutionnalisée. 

Contrairement à ce que laisse entendre la propagande médiatique et politique xénophobe, les Français ou immigrés musulmans ne sont pas plus délinquants ou criminels que le reste de la population. Ils sont tout simplement, racialement, plus criminalisés, donc plus massivement appréhendés. Et leurs forfaits sont plus amplement visibilisés et délibérément médiatisés. Et pour cause. 

Cette visibilisation et cette médiatisation permettent de criminaliser l’ensemble de la population française et immigrée de confession musulmane, de la jeter en pâture. De détourner la colère sociale vers la population musulmane. De justifier la militarisation de la société. Le recrutement massif de policiers. Des policiers destinés en vérité à renforcer les bataillons de répression des mouvements sociaux, mais jamais à lutter contre la délinquance. Car « l’insécurité populaire visibilisée » – la délinquance et la criminalité – est un gage de sécurité pour la bourgeoisie : elle lui permet de légitimer l’encadrement policier permanent de l’ensemble de la population. De justifier, pour employer une terminologie usitée par les nazis, la « Gleichschaltung » (« mise au pas ») de la population. 

Du fait du fonctionnement raciste de la justice qui condamne plus injustement les Arabes et les Noirs, ils sont plus systématiquement incarcérés. 

D’ordinaire, la justice de classe blanche française, à crime égal, punit, déjà, plus sévèrement un prolétaire qu’un bourgeois. À plus forte raison, de nos jours elle sévit plus durement contre les prolétaires de confession musulmane. 

Pour conclure. Une chose est sûre : de nos jours, en France les prisons ne souffrent pas d’une surreprésentation musulmane, mais d’une surpopulation carcérale. Et les prisons françaises vont se remplir encore davantage. Car, crise économique oblige et résurgence du néofascisme aidant, la bourgeoisie française belliciste, via son État fondé sur la terreur, par sa politique répressive tous azimuts, s’apprête à embastiller à tour de bras tout dissident politique, tout militant pro-palestinien, tout délinquant en herbe, y compris des jeunes mineurs à peine pubères.

Khider MESLOUB 

1) Lire notre article Aux origines sionistes de la stigmatisation des musulmans et de la criminalisation de l’islam, publié dans La Nouvelle République le 2 mai 2024.

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