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Après le tourisme exotique, les vacances lubriques, le capital donne congé aux voyages de masse toxiques (2/2)

Par Djeha

Désert touristique algérien

Quant à notre cher pays l’Algérie, il a toujours été en délicatesse avec le tourisme. Assurément, en Algérie le tourisme ne décolle pas. Pourtant le pays recèle des trésors touristiques splendides. En dépit de ses multiples atouts enchanteurs, l’Algérie n’attire pas les investisseurs dans le secteur du tourisme. Donc les touristes.

Pourtant, pourvue d’un littoral de 1600 kilomètres, l’Algérie constitue une destination idéale pour le tourisme. Sans oublier d’autres merveilles, telle les vestiges romains, les gravures rupestres, le majestueux désert. Néanmoins, le tourisme sommeille sous le soleil ardent réchauffant et irradiant uniquement les habitants algériens, sous le ciel bleu azur réservé aux seuls citoyens algériens. Et pour cause.

Nombre d’Algériens intéressés, notamment la corporation affairiste sévissant dans le commerce, déplore l’absence d’investissement dans le secteur du tourisme. En effet, l’activité touristique en Algérie ne parvient pas à se réveiller de sa léthargie économique. Actuellement, en Algérie, ce secteur touristique fait l’objet d’un immense investissement verbal politique par les acteurs de la représentation nationale et commerciale pour redynamiser le tourisme. Toutes les solutions sont proposées par les affairistes du secteur touristique, ces requins financiers pressés de transformer les côtes balnéaires algériennes en complexes bétonnés lucratifs pour eux, mais écologiquement et architecturalement répulsifs aux yeux des Algériens.

D’aucuns suggèrent, pour booster le tourisme en Algérie, de favoriser le tourisme cynégétique ou chasse touristique. Rassurez-vous : il ne s’agit pas de « tourisme génésique », à la manière du voisin de l’ouest, autrement dit chasse de la chair fraîche humaine.

Le tourisme cynégétique, destiné à une clientèle fortunée, permet aux richissimes de se livrer à la chasse du gibier. Mais ces lubriques touristes, se livrent souvent aux deux formes de tourisme : cynégétique et génésique.

Une chose est sûre : l’activité touristique n’est pas près de décoller. Pour preuve, ces vingt dernières années, l’Algérie n’a attiré que 3 000 touristes par an. Chiffre ridiculement dérisoire comparé aux autres pays voisins, la Tunisie et le Maroc. En 2018, le nombre de touristes venus en Algérie n’a pas excédé 2 000 visiteurs. Le secteur du tourisme a été négligé sous le règne de Bouteflika, en particulier par ses acolytes ministériels et affairistes écornifleurs, occupés à exporter leurs richesses spoliées vers les pays étrangers, expatrier leurs progénitures et familles dans les contrées riches.

À cet égard, il est utile de relever que, sur la carte touristique mondiale, l’Algérie demeure toujours inexistante, inconnue du système GPS des voyagistes. Depuis 30 ans, l’Algérie est absente sur la carte touristique internationale. Pourtant, ces dernières années, à la suite de la baisse du prix du pétrole, dans le cadre du projet de diversification de l’économie algérienne principalement tributaire des hydrocarbures, l’activité touristique a été inscrite dans le programme de réorientation de l’économie. En dépit de la volonté affichée par le pouvoir de promouvoir et de relancer l’activité touristique, on assiste à aucun redémarrage de ce secteur déserté par les investisseurs. Outre l’indigence de la politique de promotion du tourisme en Algérie, vient se greffer le problème de l’obtention du visa algérien pour les nombreux voyageurs désireux de visiter l’Algérie.

Aujourd’hui, au plan des infrastructures touristiques, l’Algérie ne dispose que de 60 000 lits en bord de mer dont moins de 10% correspondent aux normes internationales. À l’échelle nationale, l’Algérie compte seulement un peu plus de 110 000 lits. En outre, pour des raisons de sécurité, de nombreux sites touristiques, tel le Hoggar, sont fermés aux étrangers.

Au reste, au plan rapport qualité/prix, en termes d’attractivité tarifaire, l’Algérie demeure parmi les destinations les plus onéreuses de l’Afrique du Nord. Le prix du billet d’avion à lui seul est prohibitif. De même le coût du séjour est très onéreux, comparé aux autres pays voisins.

Néanmoins, eu égard à notre analyse critique du tourisme, en général, décrite plus haut, contrairement aux thuriféraires du libéralisme, partisans de l’ouverture de l’Algérie au tourisme, on peut conclure que la décision de fermer les frontières au tourisme international dans les années 80 a été un choix politique légitime.

En effet, à la faveur de l’augmentation considérable des recettes pétrolières, dès les années 1990 / 2000 l’Algérie avait tourné le dos au tourisme exogène, le tourisme réceptif international, pour promouvoir et investir dans le tourisme endogène, destinés aux seuls citoyens algériens.

En outre, ce choix de se détourner du tourisme international avait été motivé par des raisons de préservation des traditions algériennes susceptibles d’être corrompues par l’invasion des touristes occidentaux porteurs de cultures étrangères dissolvantes (sic). Cette crainte du saccage du patrimoine culturel algérien par les hordes touristiques occidentales et/ou orientales est fondée.

De même, la peur de la pollution immorale de l’Algérie par ses multitudes occidentales / orientales libidineuses est motivée.

L’Algérie a eu raison de refuser de transformer le pays en dépotoir « déculturatoire » touristique, en bordel des Occidentaux ou des Orientaux, en contrée exotique exploitée par le capital financier international.

Le tourisme est le colonialisme contemporain de l’Occidental pauvre, cet idiot heureux appartenant à la petite et moyenne bourgeoisie, infatué de son aliénation, qui, l’espace de quelques jours, pétri de relents colonialistes et paternalistes, peut se croire riche dans un pays pauvre, se comporter en territoire conquis par la grâce de ses dollars ou euros amassés par son esclavage salarié.

Par ailleurs, le secteur touristique est très aléatoire, entièrement tributaire des caprices des touristes, des effets de mode, et, aujourd’hui, des vicissitudes géopolitiques ou sanitaires. Un pays dépendant des recettes du tourisme s’expose aux retournements de situation géopolitiques et sanitaires, au basculement des habitudes des consommateurs de voyage.

De toute évidence, comme nous l’avons souligné plus haut, sous le mode de production capitaliste, le tourisme est le cheval de Troie des intérêts du capital, de la finance internationale. La grande porte d’entrée à la contamination culturelle, la corruption morale, l’avilissement national.

L’ère du congédiement des voyages de masse

Après la fastueuse longue période de tourisme exotique, la brève ère des vacances lubriques, voilà venu le temps du congédiement des voyages de masse.

À la faveur de la pandémie apparue depuis 2020, nous sommes rentrés dans la nouvelle phase des confinements, de l’assignation à résidence, des restrictions de déplacement, de la fermeture des frontières, de la raréfaction des visas. Voire de la fin des congés payés programmée par le capital en crise. « Adieu veau, vache, cochon, couvée », comme dirait notre ami le sage Jean de la Fontaine, qui a l’art de faire voyager le lecteur dans le monde des animaux dotés de parole moralisante, sans sortir de sa chambre. La fin des voyages se traduira-t-elle par la résurgence de la lecture, ce tourisme livresque à la portée de toutes les bourses ?

Quoi qu’il en soit, depuis l’apparition de la pandémie flanquée de mesures restrictives de déplacement et de confinements, l’économie du tourisme traverse une crise d’une ampleur inédite à travers le monde. Tous les continents sont impactés par la baisse du nombre d’arrivées de touristes internationaux. Un rapport publié conjointement par l’ONU et l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le 30 juin 2021, évaluait, au niveau international, les pertes financières pour le tourisme à près de 4 000 milliards de dollars sur les années 2020-2021 par rapport au niveau de 2019.

Pourtant, jusqu’en 2019, comme on l’a analysé plus haut, le tourisme était un secteur qui, depuis un demi-siècle, n’avait jamais connu de crise. Bien au contraire, il avait connu une croissance exponentielle. En termes de voyageurs, le monde était passé de 25 millions d’arrivées de touristes internationaux en 1950 à 1,5 milliards en 2019. Pour l’année 2021, après une saison déjà catastrophique en 2020, l’OMT estimait la baisse à 75 % par rapport à 2019. Pour autant, elle ne prévoit le retour au volume d’arrivées internationales d’avant la crise qu’en 2023 ou 2024, voire plus tard (ou jamais ? – du moins sous le capitalisme en crise systémique finale). Selon l’OMT, les arrivées de touristes internationaux devraient ainsi demeurer « de 70 à 75% inférieures » à celles de l’avant-pandémie.

En avril 2021, le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC) organisme mondial représentant le secteur privé du voyage et du tourisme, s’était réuni

lors d’un sommet à Cancún (Mexique) pour faire le point sur la crise du secteur du tourisme. À l’issue de la réunion le WTTC avait pronostiqué une modification de la consommation de voyages : « Les voyageurs n’iront plus vers les mêmes 20-30 destinations, ils iront plutôt vers les petites villes et les communautés rurales et renoueront avec la nature. »

En tout état de cause, tous les spécialistes pronostiquent la fin du tourisme de masse. Sous couvert de transition écologique, pour ne pas reconnaître la mort du tourisme du fait de la profonde crise économique du capitalisme, responsable de la paupérisation généralisée des populations désormais impécunieuses, afin d’éviter prétendument la dégradation de certains espaces provoquée par le tourisme de masse, ils prônent un « tourisme durable ». Un tourisme propre mais proprement onéreux, donc réservé à l’élite. Ce tourisme vert (payé chèrement en billets Verts, autrement dit en dollars) va supplanter le tourisme de masse.

La mort annoncée du tourisme de masse

Sans conteste, on assiste à la mort du tourisme de masse. Tout porte à croire que, crise économique oblige, paupérisation généralisée et basculement des habitudes de consommation réduites aux produits de première nécessité aidant, nous nous acheminons vers l’ancien temps où le tourisme était réservé à l’élite, c’est-à-dire aux classes privilégiées. Comme à l’époque de l’absence des congés payés d’avant la Deuxième Guerre mondiale, le tourisme redeviendra le privilège des élites. Et la majorité de la population, désormais insolvable, privée de voyages, pourrait se rabattre sur la lecture. Elle pourrait lire et relire gratuitement (1), par un voyage intérieur, le livre, parodie des récits de voyage : « Voyage autour de ma chambre », publié en pleine Révolution française (1794) par Xavier de Maistre.

Une chose est sûre, depuis trois ans, le tourisme international s’essouffle, étouffe sous le poids de la crise apoplectique économique. Affecté par l’inoculation du virus des mesures restrictives gouvernementales imposées durant l’épidémie, le tourisme est en fin de vie. Son pronostic vital économique est engagé. La gestion de la crise sanitaire et la crise liée à la hausse du coût de la vie ont durablement fragilisé le secteur du tourisme. Au reste, les projections dans le secteur du transport aérien sont tout aussi alarmantes que pour le tourisme international : l’AITA (Association Internationale du Transport Aérien) ne prévoit une reprise, avec un retour au niveau de 2019, que d’ici 2024, voire 2026 ou 2030.

Selon un récent rapport de l’OCDE, la reprise du tourisme est comprise par la crise de l’économie mondiale, sur fond de choc énergétique, de forte inflation et de baisse du pouvoir d’achat des ménages. En effet, les entreprises du tourisme, qui peinent déjà à sortir de la crise pandémique, doivent désormais aussi affronter la hausse des coûts de l’énergie, des produits alimentaires et autres ressources. À cela s’ajoutent les pénuries de main d’œuvre et de compétences, plongeant le secteur dans une grande incertitude, obérant la reprise du tourisme.

Les professionnels du tourisme, déjà frappés de plein fouet et floués par les conséquences catastrophiques des fermetures des frontières lors de la crise sanitaire, sont au bord du précipice, acculés à la faillite. Notamment au Maroc, ce pays d’attraction touristique néocoloniale, longtemps érigé en modèle par les thuriféraires du libéralisme libertaire et libertin, où le tourisme exotique, comme le tourisme lubrique, est en pleine débandade, faute de clientèles. Or, le tourisme représente 10% de la richesse du Maroc. Le secteur du tourisme constitue son deuxième employeur, après l’agriculture. Avec les transferts financiers des Marocains vivant à l’étranger, il est l’une des principales sources de devises du pays. Aujourd’hui, depuis trois ans, avec les fermetures des frontières et la crise économique, les professionnels du tourisme marocains assistent avec résignation au tarissement de cette source financière.

La mort du tourisme de masse planétaire  ressuscite le tourisme régional élitaire

Depuis trois ans, pour justifier la destruction planifiée du secteur du tourisme, les autorités gouvernementales auront invoqué l’urgence covidale pandémique, ensuite la guerre d’Ukraine. Désormais, au nom de la défense du climat, de la biodiversité et des sites, s’institue insidieusement l’urgence climatique, énième paravent pour porter la dernière estocade au secteur du tourisme de masse, devenu obsolète du point de vue du grand capital financier. En effet, avec les contractions planifiées des salaires et des revenus, accentuées par le renchérissement des prix, les dépenses culturelles et de loisirs vont devenir un luxe inaccessible du fait de la faiblesse du budget des foyers. (Pour prendre l’exemple de la France, selon l’institut national de la statistique et des études économiques (l’INSEE), depuis 1960 les dépenses des ménages pour les loisirs ont été multipliés par 5,5 contre 3,2 pour l’ensemble de la consommation. Or, cet accroissement en volume est supérieur à tous les autres postes de dépense, exception faite de la santé – elle est également dans le viseur du capital, résolu à réduire considérablement les budgets alloués à ce poste de dépense « improductif », autrement non rentable. Cette augmentation exponentielle de la consommation en matière culturelle, touristique et attractive a été favorisée par les Trente Glorieuses et l’accroissement exponentielle des « classes moyennes » – différentes catégories de la petite bourgeoisie, actuellement en voie de paupérisation et de prolétarisation. Aujourd’hui, crise économique oblige, le grand capital occidental, en voie de déclassement, réadapte sa stratégie pour récupérer la moindre plus-value générée par la force de travail afin d’éviter son effondrement. C’est dans ce cadre de restructuration de l’économie orientée vers une consommation restrictive circonscrite aux produits essentiels que s’intègre la politique de destruction des secteurs dits non-essentiels (restaurants, cafés, cinémas, théâtres, salles de sport, et Filières Touristiques), devenus superfétatoires du point de vue du grand capital en proie à une crise multidimensionnelle systémique.)

Actuellement, pour renforcer le tourisme élitaire, d’aucuns militent, sous couvert de la transition écologique, pour « l’écotourisme », le « tourisme durable », respectueux de l’environnement. Un tourisme de proximité, épargné par la promiscuité. Un tourisme local, loin de la foule banale. Un tourisme écologique particulièrement onéreux car soumis à des normes drastiques, programmes d’absorption des émissions de CO2, Écolabel (qui impose des mesures d’économie d’eau et d’énergie, le tri des déchets en interne, l’utilisation de produits d’entretien écologiques ainsi qu’une offre de restauration bio ou locale à des prix prohibitifs).

Un tourisme écologique qui privilège le Train plutôt que l’avion. Les avions, cloués au sol durant toute la période de la pandémie de Covid-19, ne sont pas près de décoller. Les liaisons internationales, impactées par les restrictions de déplacement et, désormais, par les contractions des revenus des consommateurs, ne sont pas près de renouer leurs liaisons avec les touristes confinés à une existence casanière dans une société devenue une caserne à ciel ouvert régie par des lois d’exception et la tyrannie des interdits. À plus forte raison les vols intérieurs sont menacés de disparition. En effet, de nombreux pays, dans le soi-disant cadre de la transition écologique mais, en vrai, du fait de la profonde récession économique, ont annoncé la suppression de certaines lignes aériennes intérieures. Ils recommandent l’interdiction des vols intérieurs en cas d’alternative ferroviaire directe de moins de 4 heures.

Ironie de l’histoire, la majorité des touristes, souvent en proie au spleen, voyagent pour oublier le (leur) monde plus que pour le découvrir. Au final, par leur pollution mentale, avec leurs impulsifs voyages dérivatifs, ils contaminent l’esprit des habitants de la planète.

En effet, comme l’a écrit l’académicien français Jean Mistler « Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux ».

Le temps de chacun chez soi, permettant de voyager à l’intérieur de son Moi pour le découvrir, constitue-t-il la dernière salubre forme de tourisme personnel imposé par la crise du capitalisme ?

Rien ne remplace le voyage autour de son Être exploré avec passion, sa raison, dans sa maison, source de tonification morale, pour mieux admirer le monde, aimer la vie et autrui, loin des tribulations touristiques par ailleurs tarifées, et des aliénations protéiformes !

Khider MESLOUB

  1. 1. https://fr.m.wikisource.org/wiki/Voyage_autour_de_ma_chambre

Lire: https://algerie54.dz/2023/02/19/tourisme-reflexion/

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