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 «Ce qui se passe en Tunisie n’est pas un coup d’État mais un sursaut républicain»

Par Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur de Tunisie à l’Unesco

À l’issue d’une journée de manifestations massives de Tunisiens exaspérés par les turpitudes d’Ennahdha, en ce jour mémorable et hautement symbolique, la fête de la proclamation de la République le 25 juillet 1957, grâce à la lutte menée par le père de l’indépendance Habib Bourguiba, le président Kaïs Saïed a pris des décisions qui feront date dans l’histoire du seul et dernier pays arabe encore gouverné par des théocrates déguisés en démocrates, que certains idiots utiles de l’islamo-gauchisme en France considèrent comme des islamistes «modérés», ou des démocrates musulmans, ou encore des «islamo-conservateurs».

Autant de casuistiques terminologiques pour récuser un fait historique, idéologique et politique incontestable, à savoir que l’islamisme, des Frères musulmans jusqu’à Daech et en passant par al-Qaida, puise dans la même doctrine théocratique, totalitaire et terroriste dont la naissance remonte à 1928 en Égypte.

Comme l’avait si bien dit ici même dans Le Figaro le président Al-Sissi, «un daéchien est un Frère musulman en phase terminale»! C’est que, dans leur finalité intrinsèque, les deux principales décisions prises par Kaïs Saïed le 25 juillet, à la suite d’une réunion d’urgence du Conseil de défense, visent précisément et essentiellement à mettre un terme à l’emprise islamiste sur la Tunisie et aux manœuvres sournoises et conspiratoires d’Ennahdha pour bloquer les réformes et les mesures vitales que le président élu au suffrage universel avait promises à ses électeurs en 2019.

Notamment la lutte effective contre la corruption endémique et l’ouverture de tous les dossiers relatifs au terrorisme dans lesquels les islamistes sont impliqués depuis 2011. Deux dossiers explosifs et accablants qu’Ennahdha, qui a phagocyté le ministère de la Justice et celui de l’Intérieur, maintient sous une chape de plomb. Et pour cause ! Première mesure, le limogeage de Hichem Mechichi, troisième chef du gouvernement en un an et dernier pantin nommé par Rached Ghannouchi, était en conflit ouvert avec le président de la République depuis sa nomination en septembre 2020.

Il empêchait le bon fonctionnement de l’État, tombant ainsi sous la sanction de l’article 80 de la Constitution. Outre son incompétence manifeste dans le sauvetage économique et social du pays, il a fait preuve de nonchalance dans sa gestion chaotique de la crise sanitaire : près de 19.000 décès du Covid-19 sur une population de 11 millions, ce qui constitue l’un des pires taux de mortalité officiels au monde.

Seconde mesure, la suspension pour un mois des activités du Parlement, faute de le dissoudre comme il l’aurait souhaité et déclaré, la dissolution étant anticonstitutionnelle. En revanche, l’invocation de l’article 80 est juridiquement légale et politiquement étayée.

Cet article stipule qu’«en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation, la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle…».

Entraver le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, tel est le cas du chef du gouvernement démis de ses fonctions. Quant au péril  imminent, c’est plutôt le pluriel qu’il faudrait employer: ingérences manifestes de la Turquie et du Qatar dans les affaires tunisiennes et signatures, avec la complicité du Parlement à majorité islamiste, avec ces pays d’accords commerciaux et financiers qui portent atteinte à l’indépendance du pays et à ses intérêts économiques et stratégiques les plus vitaux ; 19.000 morts du Covid-19, alors que ce nombre aurait pu être nettement inférieur si le gouvernement avait pris les mesures urgentes et nécessaires ; laisser-aller avec les éléments islamistes les plus radicaux, y compris au sein du Parlement et laxisme éhonté avec les djihadistes tunisiens revenus d’Irak et de Syrie, où ils ont commis les pires crimes et où ils étaient les plus nombreux.

Ces djihadistes constituent une menace majeure, pas seulement sur la paix civile en Tunisie mais aussi sur la sécurité intérieure du Maghreb et de l’Europe. Outre ce péril imminent dont Kaïs Saïed, comme d’ailleurs son prédécesseur Béji Caïd Essebsi, qui s’était fourvoyé et compromis avec les islamistes, comme les services occidentaux, connaissent bien le contenu, le sens et les acteurs, le Parlement comptait dans ses rangs des criminels, des corrompus et même des terroristes devenus, par un caprice de l’histoire, des «députés» aucunement représentatifs du peuple tunisien.

Pour ne citer que cet exemple, le cas d’un certain Rached Khiari qui, au lendemain de la décapitation barbare de Samuel Paty, avait déclaré que «toute atteinte au prophète Mahomet est le plus grand des crimes. Tous ceux qui le commettent, s’agissant d’un État ou d’un groupe d’individus, doivent en assumer toutes les conséquences».

Rached Ghannouchi, l’usurpateur de la présidence du Parlement, n’a pas jugé utile à l’époque de sanctionner sévèrement ce député daéchien, ni même de le blâmer formellement, puisqu’il appartient au parti Al-Karama, une ramification politique d’Ennahdha. Lorsqu’un «député» de la «jeune démocratie tunisienne» tient impunément ce genre de discours abject, on ne doit pas s’étonner par la suite que son compatriote à Nice commette un carnage avec son camion, ou qu’une racaille de Rambouillet égorge à son tour une pauvre policière municipale. De premier pays arabe exportateur de médecins et d’ingénieurs en 2010, la Tunisie de Bourguiba est devenue le premier pays exportateur de terroristes en Europe, en Irak, en Libye et surtout en Syrie.

C’est notamment face à cette réalité cruelle et affligeante pour les Tunisiens – outre la misère sociale, économique et sanitaire qui les frappent de plein fouet – que Kaïs Saïed a usé légalement de ses prérogatives présidentielles. Car, nonobstant les jérémiades pseudo-légalistes de Rached Ghannouchi sur al-Jazeera dénonçant un «coup d’État», les envolées lyriques de Moncef Marzouki, allié organique des islamistes, qui a publiquement et sur la même télévision subversive accusé les Émirats arabes unis et Israël de piloter ce «coup d’État», et les ratiocinations juridico-politiques de Yadh Ben Achour, le président Saïed a scrupuleusement respecté la Constitution. Il n’y a donc pas de coup d’État en Tunisie mais au contraire un sursaut républicain entrepris par un président conscient d’un «péril imminent» et dont la décision courageuse a été précédée par des milliers de manifestants scandant «Oui à la dissolution du Parlement».

Les Affaires étrangères allemandes, comme le Département d’État américain, ont d’ailleurs refusé de qualifier l’action de Kaïs Saïed de coup d’État. Plus symptomatique encore, même la Turquie d’Erdogan s’est abstenue, jusqu’à présent, de faire la moindre déclaration pour soutenir la démocrature islamiste de Ghannouchi et de ses zélotes gauchistes.

«Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales? Je les ai rétablies ! Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur?», disait de Gaulle. À l’instar du Général, le professeur de droit constitutionnel, Kaïs Saïed, pourrait rétorquer à ses pourfendeurs et aux véritables comploteurs contre la République : pourquoi voulez-vous que je commence une carrière de dictateur alors que j’ai été démocratiquement élu avec 72 % des suffrages exprimés ? En d’autres termes, seul un militaire et quelquefois, rarement, un civil commet un coup d’État pour prendre le pouvoir. Or, Kaïs Saïed l’a déjà depuis 2019, par la volonté générale, comme dirait Rousseau, et la force du scrutin.

Mezri Haddad, philosophe et ancien Ambassadeur

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