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December 8, 2025

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TRIBUNE

Victor Hugo le BHL du XIXème siècle: affairiste, suprémaciste, colonialiste, anti-ouvrier (I)

Le XIXème a succombé à l’Hugolâtrie comme notre époque aura sombré dans la Lévytrie, par l’abêtissement de la littérature et l’embellissement du bellicisme, c’est-à-dire l’apologie de la guerre, y compris dans sa forme génocidaire. (1)

Par Khider Mesloub

Le XIXème a succombé à l’Hugolâtrie comme notre époque aura sombré dans la Lévytrie, par l’abêtissement de la littérature et l’embellissement du bellicisme, c’est-à-dire l’apologie de la guerre, y compris dans sa forme génocidaire. (1)

Paradoxalement, Victor Hugo rappelle par bien des traits de caractère  Bernard-Henri Lévy. Tout comme le multimillionnaire BHL, l’auteur des “Misérables” «pour rien au monde, ne retarderait de vingt-quatre heures l’encaissement de ses rentes et de ses créances». Tout comme BHL, «Hugo a été un ami de l’ordre : il n’a jamais conspiré contre aucun gouvernement». Tout comme BHL, Victor Hugo était un partisan des «interventions militaires civilisatrices» tous azimuts, en particulier en Afrique. Un fervent partisan et artisan intellectuel du colonialisme. 

En effet, l’auteur des “Misérables” était bien un homme du siècle du colonialisme, colonialisme qu’il a encensé et encouragé par ses odes dithyrambiques et son discours guerrier mémorable prononcé en 1879.

L’écrivain, né en 1802 et mort en 1885, est contemporain de toutes les aventures coloniales de la France belliqueuse et conquêrante. Victor Hugo a partagé la vision de la «mission civilisatrice» répandue par les successifs régimes politiques de France. Il voyait dans l’Afrique un univers barbare auquel la France se devait d’apporter la civilisation. Comme l’illustre son discours tenu en 1879, connu sous le nom de «discours sur l’Afrique».

Victor Hugo fervent partisan et artisan intellectuel du colonialisme

Victor Hugo est cet écrivain qui a déclaré que le Blanc a fait du Noir un homme (de même, il devait penser la même chose de l’Arabe d’Algérie : «la France a fait de l’Algérien un homme civilisé»). Victor Hugo croyait en la mission civilisatrice de Sa nation, de l’homme Blanc. 

Outre d’avoir été un partisan du colonialisme, cet apologiste de la politique de conquête territoriale, Victor Hugo, fidèle à la classe bourgeoise triomphante du XIXème siècle, se complaisait à narrer et décrire la misère ouvrière. Une misère ouvrière qu’il lui servait de muse, voire d’amuse-gueule pour alimenter son imagination féconde, nourrir sa faconde poétique. 

Une chose est sûre, si le baron de la littérature, Victor Hugo, aimait conter les aventures du peuple misérable, il se gardait bien de se mêler à cette masse populaire roturière. À l’instar de BHL qui fomente, orchestre et attise des guerres sans jamais y participer directement aux batailles, pour en tirer des œuvres cinématographiques et livresques lucratives, Victor Hugo magnifiait la misère populaire pour lui imprimer une dimension épique, aux fins d’en tirer des œuvres littéraires pécuniairement enrichissantes. 

Contrairement à la légende, Victor Hugo n’a jamais été un révolutionnaire, ni un socialiste, encore moins un communiste. La misère du peuple lui inspirait certes des envolées lyriques, mais jamais des révoltes colériques. Des pages fulgurantes de lyrisme, mais jamais des rages fulminantes de militantisme. Une poésie inventive, mais jamais une prose subversive. 

Il ne prônait pas l’abolition de la misère, mais l’anoblissement littéraire de la misère. Il a réussi le tour de farce à rendre la misère romantique. Littéralement captivante. Victor Hugo avait le style lyrique d’accorder à la misère ses lettres de noblesse. Mais n’avait aucunement le projet politique de rendre à ceux qui la subissent leur dignité, en prônant ouvertement l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Prisonnier de l’idéologie humanitaire bourgeoise pétrie de moralisme, certes il était contre la peine de mort, mais non contre la mort des peines sociales endurées par le peuple. Encore moins contre les peines infâmes subies par les peuples colonisés, notamment algériens, infligées par ses frères de sang, les dirigeants Français. 

Cet écrivain romantique déplorait le sort des prisonniers écroués dans les cellules, mais jamais le sort des ouvriers condamnés à trimer quotidiennement jusqu’à seize heures dans ces bagnes industriels dirigés par ses frères de fortune, les capitalistes. Sinon poétiquement, et non politiquement, celui des enfants qui «s’en vont travailler quinze heures sous des meules. Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement. Dans la même prison le même mouvement. Accroupis sous les dents d’une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent.» Ce poème, «Melancholia», rédigé en 1838, a été publié en 1856.

En 1841, une loi fixera à 8 ans l’âge minimum pour travailler. En 1851 le temps de travail est limité à 10h par jour avant 14 ans. Il aura fallu attendre 1874 pour que le travail des enfants de moins de 12 ans soit interdit. 

Pour rappel, Victor Hugo est élu en juin 1848 député et siège parmi les conservateurs dans une Assemblée législative alors dominée par le Parti de l’Ordre (regroupant les légitimistes, orléanistes et bonapartistes). Au cours de son mandat, ce prétendu ami du peuple ne déposera aucune loi réclamant l’interdiction du travail des enfants. 

Certes, on cite souvent son discours, aussi lyrique qu’emporté, sur la misère, prononcé à l’Assemblée le 9 juillet 1849. Mais ce discours calculé est motivé par des raisons de défense de l’ordre existant, ébranlé la veille par la Révolution ouvrière de 1848. 

Victor Hugo, profondément traumatisé par les soulèvements sociaux de 1848 et effrayé par la témérité et l’esprit de combativité des insurgés (alors maire du 8e arrondissement de Paris, il a activement participé à la répression des mouvements ouvriers de juin), entend alerter le pouvoir sur le fléau de la misère, source, selon lui, de toutes les révoltes populaires. 

Encore marqué par la dernière manifestation parisienne du 13 juin 1849, écrasée dans le sang par l’armée (déjà ? : pour rappel, en France, jusqu’au mitan du XXème siècle, date de la création des CRS, les manifestations sont régulièrement écrasées dans le sang par l’armée), faisant huit morts, Victor Hugo, d’une voix vindicative, prend la parole : «Aujourd’hui, le calme s’est fait, le terrorisme s’est évanoui. La victoire est complète ! il faut en profiter. Mais savez-vous comment il faut en profiter ? […] Il faut profiter de la disparition de l’esprit révolutionnaire pour faire reparaître l’esprit de progrès ; il faut profiter du calme pour engendrer la paix, non pas la paix des rues, mais la paix des cœurs et des esprits.» (…) 

Hugo le monarchiste se convertit au culte républicain par opportunisme

Cependant, l’auteur des “Misérables”, conscient de l’inefficacité politique et morale du maintien de l’ordre uniquement par la force, pointe du doigt les gouvernants qui s’acharnent à maintenir la paix sociale exclusivement par les armes. «Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’Etat ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien ! Vous n’avez rien fait !». (…) «… tant qu’on meurt de faim dans nos villes, tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique !» 

Et de conclure par ces mots emplis de réformisme prophylactique, cet antidote social contre-insurrectionnel : «Ce n’est donc pas à votre générosité que je m’adresse : je m’adresse surtout à votre sagesse. C’est l’anarchie qui ouvre les abîmes, c’est la misère qui les creuse. Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites-en contre la misère !»

Autrement dit, Victor Hugo, en bourgeois réformiste clairvoyant, dans ce réquisitoire contre l’inaction du pouvoir en place face à l’extrême pauvreté, vectrice de révoltes permanentes, ferment d’agitations subversives récurrentes, invite la bourgeoisie à soulager la misère des pauvres par des «lois évangéliques» pour endiguer l’esprit révolutionnaire répandu dans la société, afin de permettre à la classe dominante de vivre dans la paix sociale.

Ainsi, quoiqu’il fût l’apôtre du libéralisme, il fut certes parmi les premiers écrivains à soulever la question sociale, mais assurément pas pour appeler le prolétariat à se soulever contre les capitalistes, encore moins contre l’ordre établi. 

Certes, Victor Hugo, longtemps d’obédience royaliste, se convertit tardivement au culte républicain. Mais un républicanisme très droitier, anti-prolétarien. Antisocialiste. Pour lui, la République doit revêtir les couleurs du capitalisme conquérant et de l’ordre intransigeant. L’auteur des “Misérables” prônait le respect de l’Ordre. Et surtout de la Propriété privée. C’était un partisan des inégalités sociales, de la société de classe.

Comme l’écrit Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, dans son opuscule La légende de Victor Hugo : «L’égalité civile, qui conserve aux Rothschild leurs millions et leurs parcs, et aux pauvres leurs haillons et leurs poux, est la seule égalité que connaisse Hugo». Victor l’hugoïste égoïste était un idéaliste. Alors «que l’on se nourrit de pain et de viande, Hugo se repaît d’humanité et de fraternité».

Quand la République bourgeoise est renversée par Louis-Napoléon en 1851, l’infortuné politique Victor Hugo, ce parlementaire qui aspirait devenir ministre, s’exile avec sa fortune en Angleterre. Il ne revient en France qu’en 1870. En effet, le poète, pour ne pas subir le bannissement décrété contre lui ainsi que contre une soixantaine d’autres députés, préfère s’exiler, d’abord à Bruxelles, ensuite à Jersey, puis à Guernesey.

Pour preuve de sa fidélité à la bourgeoisie, il a soutenu toutes ses expéditions coloniales. Son soutien ne s’est jamais démenti. Au contraire, à la fin de sa vie, alors âgé de 77 ans, Victor Hugo se livre à une déclamation apologétique du colonialisme lors d’un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage, le 18 mai 1879, en compagnie de Schoelcher. En effet, il prononce un « discours sur l’Afrique » où il exalte sans vergogne la colonisation par les puissances européennes. 

Lors de ce banquet en l’honneur de l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage, Victor Hugo, à la suite de Victor Schœlcher, prononce un discours apologétique glorifiant le colonialisme. Ce dernier entame son allocution par ces mots : «La cause des Nègres que nous soutenons, et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à se reprocher, devait avoir votre sympathie ; nous vous sommes reconnaissants de l’attester par votre présence au milieu de nous.

Cher Victor Hugo (…), quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier ; de cette étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénètrera jusqu’au cœur de l’Afrique, sur les routes qu’y fraient incessamment d’intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l’enfance, et leur enseigner la liberté, l’horreur de l’esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine».

Victor Hugo félicite Schœlcher dans une rhétorique racialiste aryenne partagée alors par l’ensemble de l’élite française : «Le vrai président d’une réunion comme celle-ci, un jour comme celui-ci, ce serait l’homme qui a eu l’immense honneur de prendre la parole au nom de la race humaine blanche pour dire à la race humaine noire : “Tu es libre.” Cet homme, vous le nommez tous, messieurs, c’est Schœlcher».

Après avoir remercié Schœlcher, l’auteur des “Misérables”, dans toute sa magnificence éloquente, entame son célèbre discours colonial : «La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre toute la barbarie. Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire.

Une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome l’a touchée, pour la supprimer. Le flamboiement tropical, en effet, c’est l’Afrique. Il semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil est un excès de nuit. Eh bien, cet effroi va disparaître. Comment ? Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique ; la France la tient par l’ouest et par le nord ; l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal.

Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ; mais elle ne se dérobe plus ; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles ; on trouve partout des fleuves navigables ; des forêts se dressent, de vastes branchages encombrent çà et là l’horizon.  Quelle sera l’attitude de la civilisation devant cette faune et cette flore inconnues ? Au XIXe siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au XXe siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde.

Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra. Des lacs sont aperçus, qui sait ? Peut-être cette mer Nagaïn dont parle la Bible. De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la nature et attendent l’homme ; on voit les points où germeront des villes ; on devine les communications ; des chaînes de montagnes se dessinent ; des cols, des passages, des détroits sont praticables ; cet univers, qui effrayait les Romains, attire les Français».

Khider MESLOUB 

Lire notre article L’«intellectuel» affairiste Bernard-Henri Lévy : animateur de danses macabres mondiales, publié dans Algérie54  le 17 octobre 2025.

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