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Dans une interview accordée à Algérie54: Ammar Belhimer évoque les grands enjeux pour l’émergence d’une presse professionnelle en Algérie

Dans un entretien accordé à Algérie54, le ministre de la Communication le Professeur Ammar Belhimer revient sur les chantiers du secteur, destinés à la mise en émergence d’une presse nationale, répondant aux standards internationaux en matière de l’évolution technologique, et aux soucis de préservation d’une déontologie et éthique indispensables pour l’exercice de la noble mission de journaliste. Le Professeur Ammar Belhimer évoquera la presse électronique, les difficultés de la presse-papier, via des chiffres, le volet de la législation accompagnant la naissance d’une nouvelle configuration de presse portée vers la défense des intérêts de la nation, dans un contexte démocratique et libre. Algérie54 a saisi cette opportunité pour évoquer avec le premier responsable du secteur de la Communication, le financement étranger de certains médias, et la menace de la guerre de la 4ème génération

Algérie54: La révision de la loi sur l’information sera débattue prochainement par les deux chambres du parlement après son examen par le Conseil des Ministres. Pourriez-nous dire quels sont les grands axes de cette révision ?

Ammar Belhimer:Il est question, suite à l’adoption de la nouvelle constitution promulguée le 30 décembre 2020 de revoir, conformément à son article 140, la loi organique relative à l’information. Dans ses nouvelles dispositions, la constitution reconduit explicitement en son article 54 la liberté d’édition et consacre le régime déclaratif. Elle édicte, par ailleurs, que le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté et que l’activité des journaux, des publications, des chaînes télévisuelles et radiophoniques et des sites et journaux électroniques ne peut être interdite qu’en vertu d’une décision de justice.

La mission que s’était assignée le ministère de la communication depuis lors est de donner à
cette refonte un caractère novateur qui assure sa mise en conformité non seulement avec la
Constitution mais aussi avec les réalités du paysage médiatique national et les standards
internationaux. Pour ce faire, elle doit consigner les principes généraux qui font consensus
pour organiser le secteur de la communication.
Il s’agit d’un texte ne traitant que des aspects fondamentaux, portant sur les principales
dispositions qui encadreront le secteur. En un mot une loi normative qui correspond aux
évolutions actuelles ainsi qu’aux besoins de la société et de la profession.
Nous avons pu détecter des points de blocage générés par certaines dispositions anciennes
qui, par excès de précision ou pour d’autres raisons, se sont révélées inadaptées ou
superfétatoires.

Notre préoccupation majeure est de définir et de garantir l’exercice de la liberté de presse
comme composante et support de la liberté d’expression consacrée par la Constitution, dans le cadre d’un exercice apaisé du métier de journaliste assurant un équilibre entre la liberté et la responsabilité ; celle-ci étant plus accentuée dans le traitement des questions, sensibles et stratégiques, relevant de la défense, de la monnaie et des affaires étrangères.
Aussi, importait-il que le Parlement avec ses deux chambres soit mis à contribution pour en
débattre et peaufiner au besoin les deux projets de textes et surtout conférer à leur adoption et mise en application un poids conséquent avec un large consensus. Aussi, le Président de la République a accordé sa préférence, malgré le calendrier très serré, au débat et à l’adoption par le Parlement plutôt que de recourir à leur promulgation par ordonnances présidentielles.

Algérie54:Aujourd’hui, il est devenu plus qu’urgent l’installation d’un Conseil d’éthique et de déontologie pour la presse écrite, où en est le processus ?

Ammar Belhimer:Les dispositions de la loi organique consacrent clairement le Conseil National de la Presse comme autorité d’autorégulation qui abritera deux autres organes, en fait deux commissions, qui intéressent tous les partenaires sociaux, aussi bien l’éditeur ou Directeur de la Publication que les journalistes de sa rédaction, à savoir :

1/la commission de la carte d’identité professionnelle de journaliste et 2/ la commission d’éthique et de déontologie. Ces deux commissions siègeront au niveau du CNP.
La composition de chacune des deux commissions et leur fonctionnement feront appel à des
membres de la profession, consacrant ainsi l’option pour l’autorégulation de la profession
dans ces deux domaines. C’est ainsi que la loi précise déjà qu’il reviendra à la Commission
d’éthique et de déontologie d’élaborer et d’adopter la charte du même nom.

Algérie54: Il apparaît clairement que le projet de la création d’une presse électronique dérange certains milieux, dont celui lié à l’exercice de la profession et qui voit en ce projet une menace pour ses intérêts et son lobby, que dira le Professeur Belhimer qui connaît bien le secteur ?

Ammar Belhimer:Je m’attarderai sur cette question car elle est au cœur de luttes féroces d’intérêts et de pouvoirs dans notre pays. Et je le ferai de matière académique pour mieux me faire comprendre. Nous vivons aujourd’hui la fin d’une époque.
Les vingt premières années du siècle, de l’an 2000 à 2020, ont vu un essor considérable des « réseaux sociaux », dont le nom est apparu cinq ans plus tôt.
Le secret de cet essor : la loi de Moore (qui souligne la puissance croissante des microprocesseurs) et la loi de Metcalfe (qui énonce que l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs).
C’est sur cette base que les nouveaux médias vont progressivement former un nouvel espace
de communication, d’information et de distraction qui va, selon le cas, cohabiter avec des
pans de l’ancien système ou se substituer à eux.

Il ne s’agit vraisemblablement pas d’une simple évolution conjoncturelle mais de
transformations structurelles durables. Les supports de la presse changent sous l’effet des
nouvelles technologies, même si les fondamentaux du journalisme restent intacts.
La généralisation de la 3G et de la 4G, puis de la 5G, repousse les frontières de la presse
électronique, elle ouvre de nouvelles perspectives informationnelles mais surtout pose de
nouveaux défis en termes de responsabilité juridique, politique sociale.
Deux grandes tendances sont à marquer ici :
– d’une part, le poids des nouveaux supports, avec la disparition du papier, la domination de la presse en ligne et la migration de la publicité, avec une atténuation des enjeux liés à la production de contenu sur la Toile ;

– d’autre part, l’avènement des plates-formes, comme Facebook et Google, qui n’est pas
sans incidences nouvelles sur des démocraties représentatives en mal de participation.

A. Nouveaux vecteurs

Première victime des mutations technologiques : la presse-papier. Celle-ci est en extinction
continue. On se félicitera au passage des bienfaits écologiques qui en résultent, notamment
pour la préservation des forêts.

1. Le papier s’éclipse
La presse-papier, notamment quotidienne, est partout en déclin et en souffrance, face à
l’avancée inexorable de la presse électronique.
Les professionnels de ma génération ressentent la même nostalgie pour le papier journal et ce
qu’il porte comme odeurs envoutantes, comme celle de l’encre, en plus du rituel matinal attaché à sa lecture, accompagnée d’un bon café, culminant avec une bonne grille de mots croisés, mais internet est passé par là et de nouveaux modes de consommation et de vie
prennent place.
Plus fondamentalement, c’est tout naturellement que ceux qui ont tiré leur gloire et leurs
ressources, parfois considérables, s’accrochent mordicus à l’ancien support. Ils me rappellent
la réaction des linotypistes, cette noblesse ouvrière qui contrôlait le travail du plomb dans la
confection des journaux, lorsqu’à la fin des années 1980 l’ordinateur fit son apparition dans
les rédactions. Ils maugréèrent férocement avant de se convertir en agent de saisie, puis de
disparaître.

Les lois de l’économie sont implacables : l’offre de papier journal a été laminée par une presse électronique qui s’impose par son instantanéité et sa disponibilité en tout lieu.
Aux États-Unis, la circulation de quotidiens s’effondre : le tirage des quotidiens (qui était de
63,3 millions d’exemplaires en 1984), n’est plus que de 43,7 millions en 2006 et moins de 33
millions en 2020. Près de la moitié des millénials (nés entre 1980 et 2000) ne lisent jamais de
quotidiens.
USA Today, un américain qui était troisième en 2017, avec 4 millions d’exemplaires en 2016,
n’est plus qu’à 1,4 million en semaine et 0,8 le week-end en 2020.
En Grande-Bretagne, le tirage des quotidiens baisse de moitié entre 2008 et 2020.
En Chine, comme ailleurs, le nombre de publications sur papier, comme le nombre de lecteurs, diminue rapidement. En 2020, 19 % des Chinois seulement lisent un quotidien chaque jour, contre 52 % en 2010.
En Corée du Sud, l’achat de papier journal a baissé de plus de 50 % de 2010 à 2018 et de 30 % de plus en 2019 et 2020.

En Allemagne, le tirage des quotidiens s’effondre aussi, chutant de 22,5 millions en 2003 à
12,5 en 2020. Moins de la moitié de la population lit un quotidien contre 85 % en 1970.
En France, seulement 20 % des lycéens français lisent un journal plusieurs fois par mois en
2020, contre 60 % en 2008.
L’Algérie n’échappe pas à cette tendance comme en témoignent les chiffres fournis par
l’industrie du la presse papier qui est entrée dans une phase de ralentissement puisque entre
2010 et 2018 les ventes de papier journal (impressions des titres papiers) ont baissé de 80%.

Le nombre de titres affichés ne doit pas faire illusion sur leur audience.
Les services du de la Direction du Commerce de la Wilaya d’Alger ont recensé 37 titres qui étaient imprimés et non diffusés ou partiellement diffusés. La justification de la diffusion est
par ailleurs parasitée par l’absence de facturation entre éditeurs et diffuseurs.

2. La presse en ligne domine

Les grandes plateformes, comme Facebook ou Google, dictent désormais leur loi aux titres les
plus prestigieux. En mai 2015, une dizaine d’éditeurs (National Geographic, Wall Street
Journal, Buzzfeed, New York Times, The Atlantic, The Guardian, Der Spiegel, BBC…)
signent, sous la contrainte, un partenariat avec Facebook (qui a alors 1,4 milliard d’utilisateurs mensuels), l’autorisant à publier directement leurs articles, en échange d’une faible rémunération. Conséquence immédiate : l’année suivante, 44 % des Américains revendiquent de s’informer principalement par un média en ligne.
Tenus en laisse, les grands titres vont migrer vers le commerce électronique. Parmi les
journaux ayant le mieux réussi leur passage en ligne, avec des revenus d’abonnement, on
trouve le New York Times, qui revendique aujourd’hui d’être le plus grand journal quotidien
numérique mondial avec 5,7 millions d’abonnés numériques ; les revenus de sa version
numérique dépassent ceux de sa version papier depuis le 5 août 2020.
Les quotidiens algériens ont ressenti le changement, s’efforçant de l’accompagner. On peut
dater la transformation de la presse nationale de 1997 lorsque le journal El Watan avait créé
sa version électronique sur internet, suivi l’année d’après par les quotidiens étatiques  Horizons, El Moudjahid (1998) et El Massa (2000). Le mouvement s’est accéléré particulièrement durant la décennie 2000 sous l’effet de l’ouverture à la concurrence du secteur de la poste et des télécommunications.

3. La publicité migre vers le net

Pour se financer, les médias papier, tout comme les radios et télévisions, ont besoin de la
publicité. Or, la publicité passe de plus en plus par Internet. Et, à la différence de ce qui se
passait avant l’an 2000, les médias doivent se battre pour un montant non croissant
d’annonces.
L’effondrement de la presse papier quotidienne dans la captation des annonces est vertigineux : en 2021, elle ne représente plus que 5 % des investissements publicitaires
mondiaux des marques (contre 36 % en 1995). La presse magazine connait la même tendance à la baisse (de 13 % à 3 %), ainsi que la radio (de 8 % à 5 %) et la télévision (de 36 % à 26%).
Non seulement cette publicité ne va vers les journaux que pour leur présence en ligne, mais
encore ces journaux en ligne sont concurrencés par des réseaux sociaux qui attirent eux aussi de la publicité.
Autre fait nouveaux, les annonceurs confient leur portefeuille d’annonces aux entreprises
numériques, en particulier Google ; cette dernière contrôle en 2020 près de la moitié des
dépenses publicitaires mondiales – plus des quatre cinquièmes aux États-Unis. Facebook vient
en seconde position, suivi par Alibaba et Amazon. Tous recourent avec parcimonie aux
grands médias papier nationaux.
Il se produit une migration des investissements vers les canaux numériques, l’e-commerce, la
relation client et le direct to consumer (sans passer par des intermédiaires).

Ces mutations drainent une sorte d’injustice tenant à ce que 70 % des investissements
publicitaires numériques s’effectuent chez Facebook et Google, alors que ces deux géants ne
cumulent que 30% de l’audience.
En Algérie, nous continuons à nier des réalités troublantes : la manne publicitaire, notamment
celle des administrations émettrices de la commande publique, est réservée à la presse papier
qui affiche des niveaux de tirages réduits à leur portion congrue : les imprimeries publiques
ont totalisé en 2020 un tirage annuel de 158.795.056 exemplaires pour les 105 titres recensés.
Ce à quoi il faut soustraire les tirages non distribués et les invendus.
Cela donne une moyenne quotidienne à peine équivalente à celle des seuls tirages des
quotidiens Ech-chourouk ou El khabar pris séparément dans les années 1990.

4. L’enjeu stratégique de la production de contenu

Un sondage Immar d’avril 2019 répartissait ainsi les populations algériennes quotidiennement
exposées aux médias :
– Téléspectateurs : 18 millions ;
– Internautes : 17 millions ;
– Médias sociaux : 15,5 millions ;
– Auditeurs : 3 millions ;
– Lecteurs : 2,6 millions
Plus près de nous, selon Datareportal, dont le rapport a été rendu public début février 2021, le nombre d’utilisateurs d’internet en Algérie est en hausse croissante, atteignant 26, 35 millions en 2029.

Pour la majorité des internautes recensés (24,48 millions, soit 97,9%), l’accès aux médias
sociaux se fait par le mobile (Smartphones, tablettes, etc).
Le Droit n’a pas complétement suivi le mouvement du marché et un décalage est vite apparu
entre la norme juridique et la réalité, celle d’un marché de la presse en ligne en évolution
continue, parallèlement à l’effondrement de la presse papier. La loi organique n°12-05 du 12
janvier 2012 relative à l’information est vite dépassée et le marché de la presse en ligne
évolue à un rythme plus rapide que nos moyens de réaction et d’adaptation. Beaucoup de
journaux en ligne sont hébergés à l’étranger, principalement en France, et les raisons résident
essentiellement dans la crise de confiance dans la fiabilité des mécanismes nationaux permettant l’accès au support internet, même si l’hébergement national est moins coûteux.
Afin de rattraper la transition subie, l’accès à la publicité des entreprises publiques et
administrations par la presse quotidienne sera désormais conditionné par l’existence d’un site
d’information électronique vivant.

B. Nouveaux enjeux

Qui paie le violon choisit la musique, dit le vieil adage anglais. L’avènement des plates-formes, comme Facebook et Google, n’est pas sans incidences nouvelles sur des démocraties représentatives en mal de participation. Les dégâts collatéraux que leur monopole génère sur la gouvernance politique et sociale résultent de leur impuissance à s’autoréguler. Elles donnent l’image de machines devenues incontrôlables dans les domaines de l’exercice
démocratique, la santé publique, la vie privée, etc. La « violence expressive », la brutalisation, qu’elles enfantent ensauvagent les relations sociales et pervertissent le débat public.
Nous assistons à la naissance de réceptacles d’intox, de haine, d’invectives et d’insultes, de
procès d’intentions et de règlements de compte, des espaces de non-droit et de violence
morale inédite qui recoupent bien ce que le philosophe français Michel Onfray appelle « les
passions tristes ».
Au-delà de l’anonymat (faussement protecteur) des internautes malveillants, la banalisation de la violence laisse libre cours aux « trolls », expression par laquelle on désigne « les internautes plus ou moins malveillants dont l’objectif est de « pourrir » des fils de discussion en générant artificiellement des polémiques ».
En effet, les « trolls » relayent et commentent des contenus de façons plus ou moins compulsives et systématiques. Ils expriment « un désaccord systématique avec ce qui se dit, dénigre ses interlocuteurs ou tient des propos absurdes dans le seul but d’irriter les autres participants à la discussion ».
Ce à quoi s’ajoute le cyber-harcèlement, « par le biais de blocages intempestifs, de propos
injurieux ou de menaces. Ces méthodes peuvent aussi inclure la traque sur Internet (stalking)
et éventuellement le vol par intrusion (hacking) de toute information compromettante et leur
révélation (outing) en vue du dénigrement et de la diffamation d’un adversaire » 1 .
« D’autres méthodes d’amplification dites « inauthentiques » existent, tels que les comptes
automatisés (bots), employés pour partager ou valoriser (likes) systématiquement certains
contenus. Facilement repérés par les algorithmes de régulation lorsqu’ils sont rudimentaires,
les bots peuvent être sophistiqués par le biais de l’intelligence artificielle (IA) ou être
occasionnellement opérés par des humains (cyborgs) afin de mieux simuler un comportement
authentique. D’une manière générale, l’association du trolling et des bots peut permettre
ponctuellement de créer l’impression d’une opinion majoritaire sur un sujet donné. Cette
technique consistant à simuler la popularité, en faisant croire à un mouvement social citoyen
(grassroot movement), est appelée astroturfing, en référence à une compagnie (AstroTurf) de pelouse artificielle. » 2

Au-delà du « trolling » et autres nuisances numériques, avec toute l’agressivité qu’elles
comportent comme registre d’expression, que l’on pourrait réunir sous le terme d’« incivilités
», le cyber-harcèlement militant et les discours de haine, même s’ils sont punis par la loi, en
raison des dommages psychologiques et autres qu’ils peuvent occasionner chez leurs
victimes, ont également des effets néfastes sur le débat public et peuvent être considérés
comme des atteintes au pluralisme démocratique car ils engendrent des phénomènes de
censures collectives et d’autocensure qui appauvrissent le débat.
Il se produit un déplacement de la politique vers « les questions purement techniques
d’ingénierie des comportements et d’optimisation de la gestion des groupes », un « contrôle social reposant sur la programmation comportementale des masses au moyen de la
manipulation des émotions et de la contrainte physique » 3 .
Dans pareil contexte où, tous les coups sont permis pour se faire de l’argent, les contenus haineux, au même titre que les contenus mensongers, constituent des produits informationnels particulièrement nocifs.
Nous ne pouvons naturellement pas ignorer ces menaces et des ripostes s’imposent par la
mise à profit de toutes les branches du droit.

Algérie54: La presse électronique retrouve des couleurs et des espérances, mais demeure confrontée à l’épineux problème de financement pour mieux investir les secteurs de création d’emplois au profit des jeunes diplômés et la formation indispensable à toute évolution ?

Ammar Belhimer: Plus de cent quarante (140) accusés de réception de déclarations de sites électroniques ont été remis durant le premier semestre de l’année 2021, et ce aux fins de les domicilier physiquement et logiquement avec l’extension du nom de domaine (.dz), et leur octroyer une attestation d’enregistrement, ce qui révèle que le ministère de la communication a atteint l’objectif tracé, qui a d’ailleurs mobilisé tous les moyens matériels et humains pour l’atteindre.
Dans le cadre du soutien et de l’accompagnement et s’agissant des mécanismes dont
bénéficient les journaux électroniques, des normes spécifiques relatives à la publicité
électronique seront fixées, même si concernant la référence et les principes généraux ne
différent pas vraiment des normes fixées pour la presse écrite version papier, un volet que
fixera « catégoriquement » la loi de la publicité, qui compte parmi les ateliers les plus
importants du Ministère de la Communication.
Certains critères nous paraissent éligibles à une sorte de « Web régie » qui régule le soutien et l’accompagnement dus aux sites électroniques, certaines sont des critères techniques issus du décret exécutif régulant ce type d’activité médiatique.
En premier lieu figurent la réservation du nom du domaine extension (.dz) et sa mise en ligne.
Les critères adoptés pour l’évaluation et la notation sont les suivants :
– nom du domaine .dz ;
– activation du nom du domaine ;
– nombre de journalistes professionnels employés ;
– quantité de la matière médiatique produite et mise en ligne ;
– nombre de visiteurs du site ;
– moyenne d’interactivité ;
– prolongements sur les réseaux sociaux (facebook, tweeter, youtube).

Un nouveau paradigme doit régir le sponsoring et les annonces, avec notamment
l’amendement de l’ordonnance n° 247-15 portant organisation des marchés publics et
délégation du service public dont l’article 61 rend obligatoire le recours à la publicité par voie
de presse – dans deux quotidiens nationaux diffusés au niveau national – dans les cinq (5) cas qui suivent : appel d’offres ouvert, appel d’offres ouvert avec exigence des capacités
minimales, appel d’offres restreint, concours, gré à gré après consultation, le cas échéant.
L’amendement élargira la publication obligatoire aux sites électroniques enregistrés.

Algérie54: Vous avez été l’un des rares responsables du pays à attirer l’attention de l’opinion publique nationale sur les menaces de la guerre électronique menée par certaines officines hostiles à l’Algérie. Aujourd’hui, on relève une nette prise de conscience. Quelle évaluation faîtes-vous ?

Ammar Belhimer:La presse découvre avec retard et effroi qu’elle est sous étroite surveillance grâce au savoir-faire sioniste en matière électronique. Dans une note de lecture parue dans « Le Soir d’Algérie » le 26.11.2019, sous le titre « L’œil du Mossad » 4 , nous mettions en garde en posant une question : «Comment la technologie d’espionnage israélienne se mêle de nos vies ? », en donnant à lire une étude de Jonathan Cook sur un redoutable « logiciel israélien utilisé sur les Palestiniens (qui) produit de nouvelles cyberarmes rapidement intégrées aux plateformes numériques mondiales». Pour ceux qui n’ont eu l’occasion de me lire, je reprendrai ici de larges extraits.
« Le laboratoire israélien qui fonctionne à ciel ouvert a pour cobayes des « millions de Palestiniens soumis à son régime militaire irresponsable » qui en a fait un « banc d’essai pour mettre au point non seulement de nouveaux systèmes d’armes classiques, mais également de nouveaux outils de surveillance et de contrôle de masse ».
Au registre de la surveillance de masse exercée contre les Palestiniens, on relève « la surveillance des médias, des médias sociaux et de la population dans son ensemble ».
Ainsi, « Israël peut à juste titre prétendre être une autorité mondiale, contrôlant et opprimant les populations sous son règne. Mais il a tenu à garder ses empreintes digitales sur une grande partie de cette nouvelle technologie de Big Brother, en externalisant le développement de ces outils informatiques aux diplômés de ses infâmes unités de sécurité et de renseignement militaire. »
Les recherches militaires et leurs applications civiles israéliennes alimentent généreusement, mais chèrement, les entreprises « développant des logiciels similaires pour des applications plus générales » qui sont de plus en plus courantes dans nos vies numériques.
« Certaines des technologies les plus secrètes produites par les développeurs israéliens restent beaucoup plus proches de leur format militaire original. » C’est le cas d’un « logiciel offensant vendu à la fois aux pays qui souhaitent espionner leurs propres citoyens ou à des États rivaux, et à des sociétés privées qui espèrent gagner un avantage sur leurs concurrents ou mieux exploiter et manipuler commercialement leurs clients. Une fois intégrés aux plateformes de médias sociaux comptant des milliards d’utilisateurs, ces logiciels espions offrent aux agences de sécurité des États une portée potentielle presque mondiale. »
On réalise mieux ici certaines alliances et connexions entre les sociétés de technologie israéliennes et la Silicon Valley, « cette dernière luttant pour prendre le contrôle de ce malware — comme le montrent deux exemples récents et contrastés ».
WhatsApp, une plate-forme de médias sociaux appartenant à Facebook, a engagé un premier recours devant un tribunal californien contre NSO, la plus grande société de surveillance israélienne — fondée en 2010 par Omri Lavie et Shalev Hulio, tous deux diplômés de la fameuse unité de renseignement militaire 8 200 d’Israël.
WhatsApp accuse NSO de cyber-attaques : « Au cours d’une période de deux semaines se terminant début mai et examinée par WhatsApp, NSO aurait ciblé les téléphones mobiles de plus de 1 400 utilisateurs dans 20 pays. Le logiciel espion de la NSO, appelé Pegasus, a été utilisé contre des défenseurs des droits de l’Homme, des avocats, des chefs religieux, des journalistes et des travailleurs humanitaires. »

La NSO a, par ailleurs, octroyé une licence d’utilisation du logiciel à des dizaines de gouvernements, notamment à des régimes réputés qui violent les droits de l’Homme, comme le Maroc.
Microsoft a, pour sa part, beaucoup investi dans AnyVision – connue pour sa proximité avec les services spéciaux israéliens en raison de la parenté de son président Amir Kain avec Malmab, le département de la sécurité du ministère de la Défense qui était sous son autorité dans un passé récent — afin de développer davantage une technologie sophistiquée de reconnaissance faciale qui aide déjà l’armée israélienne à opprimer les Palestiniens.
« Le logiciel principal d’AnyVision, Better Tomorrow, a été surnommé «Occupation Google», car il prétend pouvoir identifier et suivre tout Palestinien en recherchant des images du vaste réseau de caméras de surveillance de l’armée israélienne dans les territoires occupés. »
Microsoft est soupçonné de vouloir intégrer le logiciel dans ses propres programmes.
Fers de lance du Mossad à l’étranger, les cyber-entreprises israéliennes ont été de plus en plus entraînées dans les efforts visant à manipuler le discours public sur Israël, notamment en se mêlant des élections à l’étranger.
Deux « exemples notoires de telles entreprises ont brièvement fait les unes de la presse internationale. Psy-Group, qui s’est présenté comme un ‘’Mossad privé à la location’’, a été fermé l’année dernière après que le FBI a ouvert une enquête pour s’être ingéré dans l’élection présidentielle américaine de 2016. Son ‘’projet papillon’’, selon le New-Yorkais, visait à ‘’déstabiliser et perturber les mouvements anti-israéliens de l’intérieur’’. Black Cube, quant à lui, a été reconnu coupable l’année dernière d’avoir exercé une surveillance hostile sur les principaux membres de la précédente administration américaine, dirigée par Barack Obama. Il semble étroitement lié aux services de sécurité israéliens et a été situé pour un temps sur une base militaire israélienne.»
« Les logiciels de reconnaissance faciale permettent un profilage racial et politique toujours plus sophistiqué. La collecte et la surveillance secrètes de données effacent les frontières traditionnelles entre les espaces privés et publics. Et les campagnes de doxxing qui en résultent facilitent l’intimidation, la menace et le discrédit des opposants ou des défenseurs des droits de l’Homme. »

Algérie54:  Il y a quelques temps, vous avez évoqué le financement étranger de certains médias nationaux dans le cadre du financement des ONG, dont la mission est
de servir des desseins avérés. Est-ce que vous pouvez nous dire plus sur ce
sujet ?

Ammar Belhimer: S’agissant des financements étrangers de médias locaux, ils sont prohibés par la loi organique n° 12-05 d 1er janvier 2012 relative à l’Information et de la loi n° 14-04 du 24 février 2014 inhérente à l’activité audiovisuelle.
En effet, l’article 29 de la loi sur l’Information souligne, de manière claire et précise, que « l’aide matérielle directe et indirecte de toute partie étrangère est interdite ». Le même article oblige tous les médias écrits et audiovisuels à « déclarer ou à justifier l’origine des fonds constituants leur capital social et ceux nécessaires à leur gestion, conformément à la législation en vigueur ».
S’agissant précisément des télévisions et des radios hertziennes ou satellitaires et des WebTV et des Web-radios, la loi n° 14-04 du 24 février 2014 énonce par ailleurs, et de manière nette, la stricte obligation de justifier de « l’exclusivité nationale » du capital social ainsi que de « l’origine des fonds investis ».
Le non-respect de ces différentes dispositions expose nécessairement leurs auteurs éventuels aux sanctions prévues par les textes.

Une Web-radio qui a pignon sur rue à Alger est dans cette catégorie. Cette radio a été lancée grâce à une addition de fonds issus éventuellement d’une collecte publique organisée dans le cadre d’une opération de crowdfunding et de dons en provenance de l’étranger, par le canal d’organismes se donnant pour vocation affichée de renforcer les processus dits de « modernisation » et de « démocratisation ».
Il s’agit, comme on le comprend bien, d’un élément du soft power étranger, du bras armé
culturel et médiatique de diplomaties étrangères qui interviennent dans ces processus appelés de « démocratisation » dans les pays du Sud en encourageant des acteurs triés sur le volet et considérés comme étant des agents d’influence réels ou potentiels à encourager et à soutenir.
La propagande médiatique en contexte post-colonial se nourrit de l’action conjointe du néo colonisé et du néo-colonisateur. Aussi, pour paraphraser Franz Fanon : « La mort du colonialisme est à la fois mort du colonisé et mort du colonisateur ». Force est d’admettre que ni l’un, ni l’autre, n’a totalement rendu l’âme.

1 Laure de Rochegonde et Élie Tenenbaum, Cyber-influence : les nouveaux enjeux de la lutte
informationnelle, Focus stratégique, No. 104, Paris, mars 2021, p. 25.
2 J.-B. Jeangène Vilmer et al., Les manipulations de l’information, un défi pour nos démocraties,
CAPS, IRSEM, août 2018.
3 Gouverner par le chaos, Max Milo, col. Essais-Documents, Paris, 2010, p. 13.
4 https://www.lesoirdalgerie.com/a-fonds-perdus/loeil-du-mossad-34216

Entretien réalisé par Mehdi Messaoudi

 

 

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