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Conflit en Ukraine et Enjeux de puissance (4ème Partie)

Dr. SACI

2/– Les facteurs et capacités de la puissance : (Suite https://algerie54.dz/2023/06/12/conflit-en-ukraine-et-enjeux-de-puissance-3eme-partie/ )

  • S’imposer comme pivot central dans l’échiquier mondial par sa position géographique et ses richesses. Si on se réfère à la théorie du géographe britannique Halford John Mackinder de 1904, l’Eurasie est le Heartland (cœur du monde) ou zone pivot ou le cœur de l’influence mondiale en raison de sa superficie, ses richesses et sa démographie. Selon la logique de Mackinder, celui qui contrôle le Heartland où se situe la Russie…contrôle le Monde. Cette logique apparait au niveau de son raisonnement suivant : celui qui domine l’Europe de l’Est contrôle le centre du monde (où se situe la Russie) et celui qui contrôle le Heartland…domine le monde.) (Who rules East Europe commands the Heartland; Who rules the Heartland commands the World-Island; Who rules the World-Island commands the World.)[1]

C’est dans ce cadre que les membres de l’Otan et à leur tête les Etats-Unis se sont employés pour élargir l’Alliance atlantique vers les pays de l’Europe de l’Est pour contrôler et dominer la Russie. Mais pour encercler et étrangler la Russie, la théorie de Mackinder s’est avérée peu concluante.

A cet effet, les Etats-Unis ne se sont pas limités à l’application de la théorie de John Mackinder pour contrôler l’Eurasie ou en d’autres termes la Russie, mais ils ont fait appel à une autre théorie du Rimland ou terre bordière, soit la bande de terre côtière qui entoure l’Eurasie et qui dispose des fondements géographiques de la puissance,[2] de Nicholas John Spykman, pour encercler la Russie. Selon lui, « Who controls the Rimland rules Eurasia; who rules Eurasia controls the destinies of the world ».[3] (Celui qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie; celui qui contrôle l’Eurasie contrôle les destinées du monde).

C’est en 2011, qu’Obama avait lancé le projet du « pivot asiatique », destiné à faire basculer le « centre de gravité » de la diplomatie américaine vers l’Asie-Pacifique, au détriment du vieux continent (l’Europe)[4] dont les Etats sont déjà acquis.

Ce projet est intervenu à une année de la déclaration de Hillary Clinton sur l’ouverture des portes pour l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan.[5]

Si les deux théories ont trouvé une application dans la stratégie américaine, cela veut dire que ce n’est pas la Russie qui est visée seulement, mais aussi la Chine qui est considérée par les autorités étasuniennes comme la première menace contre la sécurité nationale américaine, voire mondiale.[6]

Si les deux théories ont été mises en veilleuse lors de la période de Trump, elles ont été remises sur table par l’administration Biden, avec comme conséquences une guerre en Europe, une confrontation probable en Asie, un début de turbulence en Géorgie au début du mois de mars 2023 et une probable frappe contre la centrale nucléaire de Bouchehr en Iran, qui sait ?

Toutefois, il n’est pas sûr que les Etats-Unis pourraient contrôler le Rimland pour mettre la main sur le Heartland ou le démembrer. Les deux grands du BRICS, la Russie et la Chine, ont décrypté les projets étasuniens et ont entrepris des actions pour les contrer. D’une part, la Russie est membre fondateur des BRICS et de l’Union économique eurasiatique (UEEA),[7] qui couvrent son flanc Sud et qui fait partie du Rimland, et d’autre part, la Chine est membre fondateur de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS)[8] et est initiatrice du grand projet la Route de la soie que les américains considèrent comme menace à leurs intérêts.

Outre ces deux théories pour le contrôle du Heartland et par là le monde, les américains ont relancé le projet Intermarium,[9] une autre opération géopolitique sur le continent européen. Ce projet, initié par la Grande Bretagne au 16ème siècle pour le démembrement de l’empire russe et relancé juste après la première guerre mondiale par le chef d’Etat polonais, Józef Piłsudski,[10] a été repris en 2016 par l’américain George Friedman,[11] fondateur et ancien directeur de la société de renseignement et d’analyse Stratfor,[12] une des plus influentes sociétés américaines de renseignements, que certains qualifient de l’«ombre de la CIA ».[13]

Cette fois-ci, il ne s’agit pas seulement du démembrement de la Russie, mais « d’empêcher que le capital allemand et les technologies allemandes s’unissent avec les ressources naturelles et la main d’œuvre russes pour former une combinaison invincible »[14] selon George Friedman. A cet effet, les Etats-Unis s’emploient à réaliser le projet d’une nouvelle construction géopolitique dite Intermarium constituée d’un prolongement géographique des pays européens de l’ex-bloc communiste qui se situent entre les mers Baltique et Noire. Pour Friedman, il s’agit de créer un « cordon sanitaire » autour de la Russie qui permettra à terme aux USA de tenir en laisse l’Allemagne et toute l’Union européenne. En d’autres termes, il s’agit d’un assemblage artificiel de pays anti-européens et anti-russes, formant une alliance complémentaire à l’OTAN avec laquelle les Etats-Unis tentent d’empêcher tout rapprochement entre la Russie et l’Europe de l’Ouest.[15] A titre illustratif, la Pologne, l’Ukraine et les trois Etats Baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) ont été les premiers pays à dénoncer la construction du gazoduc Nord Stream II et les quatre pays premiers à soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie.

Si la Pologne apparait historiquement comme le promoteur de l’Intermarium, elle ne fait, en réalité, que réaliser ce qu’entendent faire les américains de la théorie du Heartland de Mackinder : celui qui domine l’Europe de l’Est contrôle le Heartland où se situe la Russie.

Alors que le projet de l’Intermarium a toujours été défendue principalement par le gouvernement polonais, on retrouve aussi les ukrainiens qui s’y impliquent. L’ukrainien Andriy Biletsky, fondateur du régiment Azov puis du parti d’extrême droite, Corps National, a tenté de s’approprier ce projet en 2016 en créant le Groupe d’assistance au développement de l’Intermarium qui a tenu sa première réunion à Kiev le 2 juillet 2016. Et c’est en avril 2017, qu’Andriy annonça la couleur, en organisant une rencontre paneuropéenne sous le slogan « Aujourd’hui l’Ukraine, demain la Russie et toute l’Europe.»[16]

  • Passer du système de paiements internationaux SWIFT à son propre système le System for Transfer of Financial Messages (SPFS)[17] connecté avec ceux d’autres pays comme le China International Payments System (CIPS) appelé également (Cross-Border Inter-Bank Payments System) de la Chine[18], l’Unified Payments Interface de l’Inde[19] et le System for Electronic Payments Messaging de l’Iran[20]
  • Se libérer de la connexion internet occidental en cas de menace-cyber en passant directement au Runet,[21] qui est certainement lié aux géants chinois du numérique, Baidu (Google chinois), Alibaba, Tencent et Xiaomi, appelé les BATX[22] qui ne sont pas loin d’atteindre la réussite des GAFAM américains.[23] Le Runet c’est un peu Intranet Russie.
  • S’affranchir du système américain de la géolocalisation, le GPS[24] et de passer à son propre système le Glonass (Global Orbitography Navigation Satellites System) en cas d’escalade de la guerre aux extrêmes.[25] Il arrive que la Russie utilise son système Glonass lors des frappes avec des missiles, bombes planantes ou drones contre les positions ukrainiennes tout en brouillant le GPS qu’utilise les forces de l’Otan et de l’Ukraine. Outre cela, la Russie peut recourir aux systèmes de géolocalisation de deux pays du groupe BRICS : le Beidou de la Chine[26] ou le Navigation with Indian Constellation (NavIC) de l’Inde, auparavant connu sous le nom d’Indian Regional Navigation Satellite System (IRNSS).[27]
  • Aveugler les capteurs ennemis mais aussi de générer un véritable mur électromagnétique pour couvrir une attaque en cours. Cette guerre secrète complète la cyberguerre qui se livre sur un théâtre d’opérations bien plus large puisqu’il est potentiellement mondial.[28]
  • Disposer des moyens militaires pour mener une guerre mondialisée, d’usure et par procuration. Et pour ne pas en ajouter, je termine par le complexe militaro-industriel russe qui répond aux besoins des forces armées russes, aux moments ou l’Otan se plaigne du manque de minutions dans ses stocks et ne peut répondre à la demande l’Ukraine.[29]

Et pour conclure, tout ceci ne veut pas dire que la Russie est dans une bonne posture, mais cela dépendra de l’issue du conflit en Ukraine et des jeux des uns et des autres, sans oublier une surprise stratégique qui pourrait bouleverser tous les plans et projets ou d’une histoire du cheval de Troie infiltré dans un camp ou dans un autre qui peut changer la donne et le cours des évènements au profit d’un des belligérants.

Il reste cependant une question qui se pose : que sera la solution de la question ukrainienne si tout se pose en termes de puissance ?

 

[1] https://openresearch-repository.anu.edu.au/handle/1885/154009

[2] https://notes-geopolitiques.com/spykman-inventeur-de-la-geopolitique-americaine/

[3] https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402390.2015.1018412?

[4] http://institut-du-pacifique.org/2020/11/28/renforcement-militaire-americain-pour-lasie/

[5] https://civil.ge/archives/118455

[6] https://www.youtube.com/watch?v=r3xxj-dFUF8

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_économique_eurasiatique

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_de_coopération_de_Shanghai

[9] https://en.wikipedia.org/wiki/Intermarium

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Józef_Piłsudski

[11] https://www.youtube.com/watch?v=emCEfEYom4A

[12] https://fr.wikipedia.org/wiki/Stratfor

[13] https://www.barrons.com/articles/SB1002927557434087960

[14] https://lesmoutonsenrages.fr/2023/03/12/g-friedman-cest-cynique-immoral-mais-ca-marche-extraits-du-discours/

[15] https://katehon.com/fr/article/la-roumanie-leurope-et-le-projet-intermarium

[16] https://www.geopolitika.ru/fr/article/intermarium-lextreme-droite-contre-le-continent

[17] https://www.cbr.ru/eng/psystem/fin_msg_transfer_system/

[18] https://fr.wikipedia.org/wiki/China_International_Payments_System

[19] https://en.wikipedia.org/wiki/Unified_Payments_Interface

[20] https://theiranproject.com/blog/2019/09/17/irans-sepam-replaces-swift-in-banking-exchanges-with-russia-cbi-chief/

[21] https://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_en_Russie

[22] https://fr.wikipedia.org/wiki/BATX

[23] https://fr.wikipedia.org/wiki/GAFAM

[24] https://monpiaf.fr/lunivers-auto/glonass-et-gps-quelles-sont-les-differences/

[25] https://glonass-iac.ru/en/about_glonass/

[26] https://fr.euronews.com/2020/06/23/le-gps-chinois-couvre-desormais-toute-la-terre-grace-a-un-dernier-lancement-de-satellite-r

[27] https://www.thehindubusinessline.com/opinion/navic-indias-own-gps-to-make-greater-inroads/article65973039.ece

[28] https://voilesetvoiliers.ouest-france.fr/equipement-entretien/electronique-embarquee/gps/en-guerre-en-ukraine-la-russie-brouille-la-navigation-par-satellites-et-utilise-le-systeme-loran-efd085fa-a6ac-11ec-969a-2a6df02632f3

[29] https://www.rfi.fr/fr/podcasts/revue-de-presse-internationale/20230214-%C3%A0-la-une-l-otan-en-manque-de-munitions-alors-que-moscou-lance-son-offensive-en-ukraine

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