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La Macronie agite l’épouvantail fasciste pour masquer son gouvernail totalitaire belliciste

Par Khider Mesloub

Bis repetita non place ! On reprend les mêmes pions pour rejouer la même partie de jeu dénuée d’enjeux politiques et économiques. De nouveau, la propulsion attendue de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2027 fournit l’opportunité à la classe dominante française, incarnée par la Macronie, d’agiter l’épouvantail du fascisme par la diabolisation de l’extrême droite. 

Elle lui offre surtout l’occasion politique d’exhorter les prolétaires à défendre la démocratie bourgeoise en portant leur suffrage sur un candidat supposément respectueux de l’État de droit, de la République, issue évidemment de la Macronie. Cette entité macronienne belliciste qui aura piétiné sans vergogne les droits des travailleurs et ceux de la représentation parlementaire, respectivement à coups de répressions policières et du despotique 49.3. Qui aura accéléré la militarisation de la société et la caporalisation des esprits. Qui aura décomplexé le racisme antimusulman et anti-arabe, désinhibé la violence (meurtrière) policière. 

Comme en 2002, 2017 et 2022, de nouveau, et de façon précoce, pour garantir le succès de la propagande antifasciste, la classe dominante française tente d’entraîner l’électorat dans un faux dilemme : démocratie ou dictature. 

Cependant, contrairement aux « massives mobilisations antifascistes » menées dans un esprit « front républicain » en 2002 et 2017, moindrement en 2022, cette fois-ci l’agitation du « péril fasciste » ne risque pas d’être couronnée de succès. Et pour cause. Le totalitarisme est déjà installé au sommet de l’État français, représenté par la Macronie, cette entité belliciste. Quoique similaires au plan de la dictature, il convient de distinguer ces deux formes de gouvernance despotique : fascisme et totalitarisme. 

Pour avoir confondu liberté et démocratie (bourgeoise), la majorité de l’opinion publique a perdu de vue qu’il existe un totalitarisme qui prend sa source dans les principes mêmes de la démocratie bourgeoise. La démocratie bourgeoise est par principe une dictature de classe. C’est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du Capital. Il n’existe aucun pays où règne la Liberté. Il ne peut exister de liberté sous la dictature capitaliste, sous le salariat (l’esclavagisme salarié). Le totalitarisme est consubstantiellement inhérent au capitalisme. Et le fascisme est une dérivation radicale du totalitarisme ordinaire bourgeois, « fabriqué » par des pays spécifiques tardivement formés, notamment l’Allemagne et l’Italie. Le fascisme est au totalitarisme ce que le djihadisme est à l’islamisme. (Le djihadisme est la forme radicale de l’islamisme : il prône le recours au combat armé, au terrorisme, il érige la violence comme moyen de gouvernance. Si la majorité des pays musulmans sont fondés sur l’islamisme, aucun ne repose sur le djihadisme, excepté la parenthèse des entités comme Al-Qaïda et Daech. En d’autres termes, tous les pays de l’aire musulmane sont islamistes, mais non djihadistes. Pareillement, tous les États capitalistes sont totalitaires, mais non fascistes.)

Fondamentalement, existe-t-il un danger fasciste comme l’assènent les médias français stipendiés et la Macronie ? En particulier Gérard Darmanin, qui a mis en garde contre la patronne de l’extrême droite lors du prochain scrutin. « Le fait est que dans cinq ans, une victoire de Madame Le Pen est assez probable. Face à cela, il ne nous faudra qu’une ou un candidat », a déclaré le ministre de l’Intérieur, en songeant à sa candidature. 

Le chef de la police nationale peaufine sa stature présidentielle, même s’il n’est pas de taille pour se hausser à la plus haute magistrature. Vu sa cambrure politique, il est tout juste capable de mener quelques escarmouches électorales en rase campagne. En tout cas, il songe à la campagne présidentielle, y compris en se rasant le matin. Cet oisillon de la politique piaille à tout bout de champ qu’il serait le seul capable de conjurer le retour de « l’horreur du fascisme » de sinistre mémoire.

Sans conteste, au contraire des années 1920-1930, en dépit de ses scores électoraux relativement élevés, le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national, ne constitue pas une menace fasciste. En revanche, une chose est sûre, contre la désaffection de la politique par les classes populaires, illustrée par la forte croissance de l’abstentionnisme et la discréditation des partis traditionnels, pour rabattre les électeurs désabusés (à force d’être abusés) vers les urnes, faute de programme politique authentiquement réformateur mobilisateur, la classe dominante française recourt fréquemment, afin de défendre sa démocratie bourgeoise corrompue, à l’assourdissante campagne de mobilisation citoyenne pour contrer le « péril fasciste ».

Il est de la plus haute importance de rappeler que l’intronisation des régimes fascistes au pouvoir au cours des années 1920-1930 intervient après l’écrasement du mouvement ouvrier, dans des pays sortis vaincus au cours de la Première Guerre mondiale, qui plus est humiliés par des traités territorialement désavantageux et par des versements de répartition de guerre exorbitants. Cette instauration de régimes fascistes fut surtout favorisée par le soutien financier et logistique apporté par le grand capital allemand et italien.  

Par ailleurs, l’émergence des régimes fascistes avait correspondu aux nécessités du capital de ces pays, engagés dorénavant dans une économie de guerre, la militarisation du travail et la concentration de tous les pouvoirs au sein d’un État despotique expurgé de toutes les dissensions et rivalités au sein de la bourgeoisie, comme de la société totalitairement verrouillée, en vue de la préparation d’une nouvelle guerre mondiale aux fins de la partition et répartition impérialistes du monde. 

À l’instar du stalinisme, autre excroissance purulente totalitaire percée sur l’échec de la Révolution russe, les régimes fascistes, surgis dans des pays tardivement créés et imparfaitement intégrés dans le capitalisme, furent l’expression brutale de l’inclination historique vers le capitalisme d’État, devenue la norme gouvernementale dans tous les pays. 

Il est de la plus haute importance historique de rappeler que l’époque contemporaine se caractérise par le développement du capitalisme d’État dans tous les domaines : économique, militaire, social, politique, idéologique. Cette étatisation tentaculaire et totalitaire du capitalisme s’illustre de multiples façons, mais la plus caractéristique est la croissance exponentielle du secteur non-marchand, constitué par le secteur public. En termes de Produit Intérieur Brut (PIB), quel que soit le pays du globe, la part du PIB allouée aux « fonctions régaliennes » de l’État représentait moins de 10 % au début du XXe siècle. Or, un siècle plus tard, en 2023, elle avoisine la moitié du PIB (50%). Cependant, cette augmentation vertigineuse ne s’explique pas par la croissance des classiques fonctions régaliennes de l’État (administration, justice, police, armée). Mais par la flambée des dépenses liées à l’institutionnalisation totalitaire du contrôle et surveillance de la population, à l’embrigadement économique, politique, social et idéologique du prolétariat aux logiques capitalistes, à l’économie de guerre, à la guerre économique. La bourgeoisie totalitaire lutte en permanence sur deux fronts (contre deux ennemis toujours menaçants) : son prolétariat frondeur et ses rivaux bourgeois envahisseurs. Le fascisme, c’est la guerre sociale et militaire permanente. La guerre sociale contre le prolétariat et la guerre armée contre les autres nations. Comment pourrait-on définir le monde contemporain caractérisé par la guerre sociale menée contre le prolétariat par les capitalistes et les gouvernants ? Par la guerre militaire généralisée entre pays ? « La guerre, seule, porte au maximum de tension toutes les énergies humaines et imprime une marque de noblesse aux peuples qui ont le courage de l’affronter », aimait répéter Mussolini, l’ancêtre des actuels gouvernants capitalistes, notamment français. Le capitalisme alterne des phases de totalitarisme ordinaire et de fascisme. De conflits sociaux et militaires larvés et de guerres armées sanglantes totales. 

Par ailleurs, contrairement à l’idée erronée communément répandue par l’historiographie et les médias, le fascisme n’a pas été engendré par un racisme ethnique ou sociologique, mais a été démocratiquement procréé par la Première Guerre mondiale couplée à la dissolution de la lutte des classes dans le nationalisme belliciste propagé, telle une épidémie pestilentielle contagieuse, par les classes dominantes européennes totalitaires. En revanche, le colonialisme, notamment français, est consubstantiellement raciste (on peut considérer le fascisme comme le colonialisme des nations pauvres, dépourvues d’empire. Faute d’asservir des populations étrangères par le colonialisme pour les exploiter et piller leurs richesses, ces États se sont lancés dans une politique d’assujettissement de leur prolétariat).

Le fascisme n’était pas une aberration, mais une des formes de gouvernance capitaliste totalitaire, une forme rendue possible et nécessaire par les conditions historiques. Le fascisme s’est édifié sur la défaite du prolétariat et l’impérieuse nécessité guerrière du capital, acculé par une crise économique profonde et l’exacerbation des antagonismes inter-impérialistes 

En tout état de cause, le fascisme ne fut pas l’émanation de la petite bourgeoisie déclassée, hargneuse et haineuse, précipitée dans la paupérisation par la crise. Il fut l’œuvre de la bourgeoisie totalitaire revancharde de certains pays, dans un contexte historique déterminé. Néanmoins, la petite bourgeoisie comme le prolétariat furent instrumentalisés comme masse de manouvre dans les formations politiques fascistes pour réorganiser la société et l’économie dans une perspective foncièrement militariste. 

L’instauration du fascisme reposait sur la défaite préalable, physique et idéologique, du prolétariat. Le fascisme en Allemagne et en Italie avait pour mission le parachèvement de l’écrasement du prolétariat entrepris par la social-démocratie en 1919, symbolisé par la décapitation du mouvement spartakiste, notamment de ses deux fondateurs, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. 

De nos jours, le Rassemblement national, comme tous les partis populistes, ne dispose d’aucun « programme économique » novateur, fédérateur et salvateur. Pis : dans le cadre de la mondialisation actuelle et l’union européenne, certaines propositions économiques sont totalement inapplicables du point de vue des intérêts du capital national français. Leur application entraînerait une chute immédiate de l’économie nationale. 

Au vrai, aucun patron consciencieux ne pourrait adhérer au programme économique fantasmagorique et rétrograde de l’extrême droite. D’autant plus que, contrairement aux partis fascistes belliqueux et volontaristes des années 1920-1930, l’extrême droite contemporaine ne propose aucune alléchante option impérialiste conquérante, susceptible de galvaniser les foules, d’enflammer l’appétence financière des patrons en quête de nouveaux marchés coloniaux exclusifs, un nouveau repartage impérialiste du monde. 

De nos jours, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, cette mission impérialiste est assurée directement par les États dits démocratiques ou classiques dictatoriaux : les États-Unis, la Grande Bretagne, la France, l’URSS (la Russie aujourd’hui), la Chine, etc.

Certes, ces deux dernières décennies, notamment en Europe, plusieurs partis d’extrême-droite dits populistes ont conquis démocratiquement le pouvoir. Mais au prix du reniement de leur programme économique, autrement dit de leur conversion à l’ultra-libéralisme et à l’européanisme ; au prix du rabotage et du sabordage de leur nauséabonde idéologie. Ce fut le cas avec le FPÔ d’Haider en Autriche qui, pour accéder aux responsabilités gouvernementales, avait dû modérer son programme. Bien avant le FPÔ autrichien, ce fut le cas du MSI de Fini en Italie qui avait répudié son idéologie « fasciste » pour épouser le dogme libéral et européaniste. C’est le cas du Rassemblement national, devenu un parti « républicain », appartenant à la droite nationaliste classique. 

Dans le monde musulman, on a observé le même phénomène de reniement idéologique et d’amollissement religieux des partis islamistes. Pour intégrer les instances gouvernementales ou parlementaires, les organisations islamistes radicales ont dû sabrer leur programme salafiste, djihadiste, c’est-à-dire s’adapter à la modernité gouvernementale capitaliste profane. 

Comme on l’a souligné plus haut, la condition historique sine qua non pour l’intronisation du fascisme au pouvoir, c’est l’écrasement politique préalable du prolétariat. Or, le prolétariat français (européen, occidental) contemporain, loin d’être vaincu et brisé, est au contraire combatif et résistant, comme il l’avait illustré lors des mouvements des Gilets jaunes, de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites. 

Eu égard à ces considérations sociologiques et politiques contemporaines défavorables au capital tenté éventuellement par l’option du « fascisme », le péril de la résurgence de régimes fascistes, agité comme un épouvantail par les médias français, est quasiment irréalisable. Car le surgissement des partis populistes contemporains s’inscrit dans un contexte historique radicalement différent des années 1920-1930. La flambée des idéologies populistes actuelles illustre la dégénérescence du capitalisme, marqué par le délitement du lien social, l’anomie, le désenchantement, l’insécurité professionnelle et urbaine, les exodes occasionnés par les guerres sanglantes, les flux migratoires provoqués par la paupérisation généralisée. Et non l’inauguration du fascisme. 

Pour autant, quoique dépourvue d’assise économique matérialisée par le soutien du capital, de projet impérialiste conquérant susceptible d’embrigader militairement l’ensemble des « citoyens » tentés par l’aventure guerrière, l’idéologie fasciste recèle un puissant adjuvant d’amollissement de la conscience de classe du prolétariat, diluée dans la défense de la démocratie bourgeoise. En particulier, elle sert d’épouvantail à la classe dominante française décadente.  

En effet, périodiquement, en particulier lors des scrutins présidentiels, la bourgeoisie française, pour endoctriner le prolétariat, le détourner de son terrain de classe, promeut des campagnes antifascistes, en vue de redorer le blason de sa démocratie financière totalitaire en pleine débâcle institutionnelle. Une démocratie totalitaire en voie de radicalisation. Certes il existe une différence entre démocratie totalitaire (ou totalitarisme démocratique) et fascisme, mais elle est de degré et non de nature. 

 

 

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