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Jacques-Marie Bourget à Algérie 54: En France, soutenir Israël, c’est continuer de se venger de la « perte » de l’Algérie

Il est l’un des journalistes les plus engagés de la planète. Il s’appelle Jacques-Marie Bourget, un professionnel qui s’est illustré sur le terrain, en honorant la profession à travers des couvertures reflétant la réalité des évènements, loin du diktat idéologique ou de la logique des médias mainstream. Son engagement pour l’éthique et les causes justes ont failli lui coûter la vie lors de la couverture de la seconde Intifada, en Palestine occupée, déclenchée fin septembre 2000, suite à la violation par Ariel Sharon de l’esplanade de la Mosquée d’Al Aqsa. Jacques-Marie Bourget a été la cible d’un sniper de l’armée sioniste le Tsahal le 21 octobre 2000.

A quelques jours, du 23ème anniversaire de ce lâche attentat, Jacques-Marie Bourget a bien voulu répondre aux questions d’Algérie 54, au sujet des derniers développements sur la scène palestinienne, et ce poids deux mesures lorsqu’il s’agit de critiquer et de condamner les crimes contre l’humanité a bien voulu répondre aux questions d’Algérie54, au sujet de cette dure épreuve, son combat judiciaire mené contre Israël,  le manque de soutien de la France, et le rôle indigne de cette ONG, appelée Reporters Sans Frontières dirigée par Robert Ménard, puis,Christophe Deloire.

Algérie 54: Ce samedi 7 octobre 2023, un demi siècle après la Guerre d’octobre 1973, la résistance palestinienne conduite par le mouvement Hamas, a réussi à franchir la frontière des territoires palestiniens occupés et aussi une nouvelle étape dans le conflit israélo-palestinien. Quel impact aura cette attaque, selon vous? 

Jacques- Marie Bourget: C’est un moment historique où la résistance palestinienne retrouve l’énergie et la capacité d’organisation perdues depuis 1948, depuis l’épisode tragique  de la « nakba » où des dizaines de milliers de palestiniens ont été chassés de leur terre. Pendant les 25 années suivantes le mouvement de résistance n’a pratiquement pas bougé. Il était anéanti. En 1967, abandonné par ses voisins Arabes, les quelques résistants ont été balayés par les troupes de Moshe Dayan qui a pris pied à Jérusalem-Est puis en Cisjordanie.

C’est au début des années 70 qu’Abu Jihad et Yasser Arafat ont ranimé la flamme. Pourtant, à part quelques incursions en Israël, la lutte s’est déroulée à l’étranger par la mise en œuvre d’actions de commandos attaquant dans le monde « des cibles sionistes ». Enfin, l’OLP s’est battue à Beyrouth dont elle a été chassée en 1982. Les années suivantes nous avons assisté à ce que le monde occidental qualifie de « terrorisme » -parfois sous forme suicidaire- avec la montée en puissance des mouvements islamistes comme le Hamas. Rien qui ne fasse perdre l’immense confiance qu’Israël a en sa défense, et les deux épisodes d’Intifada n’ont été que des batailles perdues. Dans l’opinion mondiale ce petit Etat était invincible. 

C’est pourquoi je note le coup de force du Hamas comme un retour à une guérilla qui n’avait plus cours depuis soixante ans. Je crois qu’avec, au plan militaire, son comportement de 2006, alors qu’ils a chassé les Israéliens du Sud Liban, le Hezbollah a re-montré le chemin du combat armé aux Palestiniens.  Même si la répression va être atroce, je ne vois pas cette attaque comme un feu de paille, mais le début d’une Intifada qui ne se fera plus avec des pierres, mais avec des balles. 

Algérie54: L’attaque surprise de ce samedi 7 octobre, a selon de nombreux observateurs détruit « le mythe » de la superpuissance militaire de l’Etat hébreu. Partagez-vous cet avis? 

Jacques-Marie Bourget: Tout à fait. D’un côté nous avons une armée israélienne plutôt démobilisée ne croyant guère à une possible révolte du peuple colonisé. Avant de se révolter, les Palestiniens devaient survivre au quotidien dans un monde d’apartheid où tout acte est difficile. Pourtant une nouvelle génération se montre combattante. Elle est composée de militants sans espoir, sans avenir, prêts à exposer leurs vies qui n’a pas de valeur. Ils ont la hargne et l’amertume de l’injustice. En Cisjordanie nous avons vu, par exemple à Jenin,  ces nouveaux commandos agir sans être liés à aucun anciens partis palestiniens. Cette jeunesse on la retrouve bien sûr à Gaza, au sein du Hamas et du Jihad Islamique. Pour ceux-là on pourrait dire que la devise est « Vaincre ou mourir ».

Ce sont eux, dirigés par une savante stratégie mise au point depuis un poste de commande situé hors de Palestine, qui ont ébranlé les certitudes sécuritaires d’Israël. Un Etat qui n’a pas compris qu’en 1973 il n’avait été sauvé de la défaite, face à l’Egypte, que par l’intervention des Américains. Qui n’a pas compris aussi sa déroute face au Hezbollah en 2006. Même le « Dôme de fer » n’a rien d’infranchissable. Le mythe effrité est carrément tombé, la seule suprématie de l’Etat hébreu tient dans cette puissante de frappe aérienne qui déclenche l’apocalypse. Sans risques.

Algérie54: Ce nouveau développement sur la scène proche-orientale, a confirmé les deux poids deux mesures de la communauté internationale, en matière de l’interprétation du droit international. Quelle lecture fera Jacques- Marie Bourget au sujet du silence de cette communauté au sujet du blocus imposé depuis près de 17 ans à la bande de Gaza, et qui n’a pas tardé à condamner le Hamas?

Jacques-Marie Bourget: L’histoire se répète. Face aux monde Arabe, l’Occident -d’essence colonialiste- montre sa détestation pour ses peuples et ses cultures, sa religion. En France, soutenir Israël c’est, pour les uns, continuer de se venger de la « perte » de l’Algérie, pour d’autres affirmer leur racisme. Il suffit de voir que l’extrême droite et les mouvements issus de l’OAS ont manifesté en soutien à Israël dans les rues de la capitale française.

Aujourd’hui le thème récurrent est le « terrorisme ». Depuis le 11 septembre 2001, les attentats de Madrid ou de Paris, le terrorisme n’est plus l’arme des faibles utilisés par les mouvements de libération, que ce soit celui de Jean Moulin ou le FLN. Aujourd’hui le terrorisme n’a plus qu’un masque, celui de Ben Laden. En théorie, la charte de l’ONU reconnaît pourtant aux humains dont la terre est occupée de se révolter et de se battre. Cependant, même si leur cause est juste, il ne sont plus aujourd’hui que « terroristes ». L’Occident, qui est en train de sombrer face au BRICS, n’a pas compris que la survie de ses amis d’Israël passe par la paix. Sinon, le mouvement de libération alimenté par une jeunesse démographiquement plus nombreuse, rendra la vie impossible aux israéliens et ses colons. 

Algérie 54: Victime de l’attitude criminelle de l’entité sioniste, Vous êtes mieux placés pour nous commenter la réaction de la classe politique française au sujet des derniers développements sur la scène palestino-israélienne? 

Jacques-Marie Bourget: Je note que ce que l’on pouvait dire en toute bonne foi il y a vingt ans, sur le « sionisme » devient impossible. Par une savante campagne d’intoxication, les sionistes ont convaincu les politiciens de criminaliser la critique d’Israël. Cette stupide censure va produire un effet inverse puisque, par comparaison, on constate que les plus fortes critiques contre le régime colonial sortent de la bouche de citoyens israéliens. Conscients du danger que court leur pays, avec de plus cette folie politico-religieuse d’extrême droite et raciste qui sert de locomotive. Un peuple qui domine un autre ne trouvera jamais la sérénité. En France la disparition de la « gauche », perdue dans son choix du « sociétal » plutôt que du « social », ne facilite pas le soutien de la cause palestinienne. On a récemment vu des membres de la « France Insoumise » retirer leurs noms d’un texte déposé à l’Assemblée Nationale qui demandait la condamnation de « la politique d’apartheid d’Israël ». C’est dire si le sort de ce peuple n’est plus une priorité.

Algérie 54: En conclusion, quel message lancera Jacques Marie Bourget, le miraculé de Ramallah et qui commémorera dans quelques jours le 23ème anniversaire l’ignoble attentat terroriste le visant?

Jacques-Marie Bourget: Je n’ai pas de message mais un rêve. Celui qu’un jour les résolutions de l’ONU, jusqu’ici piétinées par Israël, soient respectées. La cadre est donc prêt depuis très longtemps : revenir à la frontière de 67, rendre Jérusalem-Est aux Palestiniens, autoriser le retour des réfugiés. Mais ceux qui se sont fait voler la Palestine ont en face d’eux un poids lourd du capitalisme mondial, une pièce essentielle dans la géostratégie de Washington, celle de chien de garde de l’Occident au Moyen Orient. Si on ajoute à cet impératif le poids de ces communautés juives dont j’ai déjà parlé, peuplées de fous de Dieu qui passent leur temps à réécrire l’histoire antique à leur profit, et à souhaiter la construction « d’un troisième Temple », l’aventure d’Israël se poursuivra dans le sang.

Entretien réalisé par M.Messaoudi

Lire : Cible du Tsahal, Jacques-Marie Bourget à Algérie54: Israël voulait ma peau

Cible d’un sniper sioniste en octobre 2020:Bourget, le miraculé de Ramallah

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