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La stratégie de diversion de Macron : torpiller le combat populaire par le débat bourgeois

Début de l'année 2019, après plusieurs semaines de soulèvements quasi insurrectionnels menés par les Gilets jaunes, pour neutraliser le mouvement, le gouvernement Macron tente toutes les manœuvres.

Par Khider Mesloub

Début de l’année 2019, après plusieurs semaines de soulèvements quasi insurrectionnels menés par les Gilets jaunes, pour neutraliser le mouvement, le gouvernement Macron tente toutes les manœuvres.

Dans un premier temps, comme à l’accoutumée, l’Etat mise sur la stratégie de l’intimidation par la violence terrorisante, matérialisée par l’usage disproportionné de la répression policière, aux moyens d’armes de guerre. Qui plus est, répression appuyée par un dispositif militaire embusqué prêt à l’intervention.

Puis, dans un second temps, le gouvernement Macron instrumentalise la division entre bons et mauvais manifestants, « bons » Gilets Jaunes contre les « méchants casseurs ». Antienne souvent réactivée.

Enfin, dans un troisième temps, en guise de diversion (ou divertissement), tout en poursuivant sa politique de répressions policières sanglantes, le régime bonapartiste macronien prend la résolution d’organiser un « Grand débat » national. La bourgeoisie, depuis qu’elle a conquis le pouvoir politique, a troqué le combat contre le débat. Elle privilégie la parlementation à la confrontation. Du moins la confrontation policière et militaire, elle a la réserve toujours aux prolétaires.

Annoncé dès le mois de décembre, au lendemain des premières emblématiques manifestations insurrectionnelles des samedis 3 et 8 décembre, le Grand Débat est initié dans l’affolement et la précipitation par le gouvernement pour tenter de canaliser le mouvement gilets jaunes sur des voies politiques institutionnelles pacifiques.

Cette tentative d’institutionnalisation de la révolte populaire, de récupération du mouvement en vue de son encadrement, notamment par des corps intermédiaires stipendiés pourtant discrédités, n’a pas l’effet escompté. Au contraire, elle suscite instantanément la méfiance, voire le rejet de la part des Gilets jaunes. Rejet accentué par l’opacité du Grand débat au contenu par ailleurs politiquement orienté, restrictif par ses questionnaires à sens unique, biaisé par la désignation de maires inféodés au pouvoir. De surcroît, débat organisé sans les membres du mouvement gilets jaunes. Aussi, la supercherie gouvernementale est politiquement démasquée et, surtout, furieusement dénoncée. La majorité des Gilets jaunes prône, dès l’annonce du projet, le boycott du Grand débat. Et la poursuite du combat.

À l’évidence, par l’instauration de ce Grand débat national, le gouvernement espère marginaliser le mouvement grâce à la participation massive de la population à cette mascarade. Rendant ainsi illégitime les modes d’action et les revendications exprimées par les Gilets jaunes « en dehors du cadre légal et institutionnel » étatique. Pourtant, cette stratégie de dévoiement institutionnel ne démobilise pas les Gilets Jaunes. Ni ne mobilise la « foule » citoyenne pour ce Grand débat. Bien au contraire.

Pour contrer les manœuvres de Macron, les Gilets jaunes décident d’organiser des contre-grands débats via des plateformes.

De fait, l’enjeu pour l’exécutif, avec ce grand débat, est de faire diversion, d’opposer, aux actes successifs des Gilets Jaunes, ses propres « actes », en l’occurrence des débats interminables dans de multiples villes, en lieu et place de combats inflexibles dans la Rue, dans les centres névralgiques de l’économie.

Une stratégie de diversion assumée par un ministre dans les pages du Figaro : « Désormais, chaque week-end, l’attention médiatique ne portera plus seulement sur les Gilets jaunes, mais sur la question de savoir qui va participer ou non au grand débat. Ça déplace le sujet. » Surtout, ça désamorce le combat. 

En résumé, ce Grand débat mis sur orbite par l’Astre jupitérien se place à des années lumières des préoccupations des Gilets Jaunes. Qui plus est, un débat marqué au sceau de la coutumière condescendance macronienne, cette touche personnelle émaillée de petites phrases dégoulinantes de mépris de classe, sa marque de fabrique.

Avant le lancement du Grand débat, dans sa « lettre aux Français », Macron ouvre le bal du « débat » sur une symphonie bourgeoise bien connue du peuple : l’éternel refrain de l’imposture joué par les classes dominantes pour endormir le peuple, anesthésier son combat. Dès la première note, Macron invite le peuple à se précipiter sur la scène « consultative démocratique » mise à sa disposition dans les mairies afin de s’adonner à la rédaction soignée des cahiers de doléances, ce nouveau sésame politique censé réconcilier la grande nation française « irresponsablement » déchirée par des conflits sociaux par la faute des revendications inconscientes et disproportionnées des « égoïstes Gilets jaunes ».

En outre, dans sa présidentielle missive dictée par la Finance, sur les quatre thèmes soigneusement présélectionnés, afin de circonscrire le débat ou plutôt de poursuivre sa politique antisociale pour laquelle il a été élu par l’oligarchie financière, les dépenses publiques occupent (déjà) une place de choix, la place du roi : celle du Capital. Ce n’est pas innocent. Par la focalisation sur ce thème, Macron oriente d’emblée subrepticement le débat vers la sempiternelle obsession de la bourgeoisie : la réduction des dépenses publiques. 

Or, les Gilets jaunes, rouges de colère, tout comme tous les travailleurs en col bleu et les salariés en col blanc, s’opposent dûment et durement à la réduction des dépenses publiques, autrement dit à la destruction des services publics.

« Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique », martèle Macron, déjà en 2019, le chef de l’exécutif de l’exécution capitale de la politique sociale. Autrement dit, résolu à maintenir le cap de la décapitation des budgets sociaux, le gouvernement Macron est contraint par le capital à poursuivre sa politique antisociale : remboursement prioritaire de la dette, réformes des retraites, du chômage, des aides sociales et plus généralement des services publics avec réduction des effectifs et précarisation et flexibilisation des conditions de travail, etc.

Force est de constater que ce Grand débat n’était qu’une farce. Et les revendications des Gilets jaunes ne rentraient aucunement dans le cadre de ce débat national aux thèmes politiquement orientés, éloignés des préoccupations vitales du mouvement. De là s’explique la persistance inébranlable de la mobilisation des Gilets jaunes, soutenue massivement par la majorité de la population. Selon divers sondages, 52% de la population n’ont pas participé au grand débat.

En tout état de cause, le jour J, dans la France démocratique, le 15 janvier 2019, le premier « Grand débat » national du gouvernement Macron se déroule d’entrée de jeu sous état de siège, dans un climat de guerre civile larvée.

Inauguré dans la commune de Grand-Bourgtheroulde, dans un climat de sécurisation impressionnant : centre bouclé, marché annulé, manifestations interdites de 8 heures à 23 heures, interdiction de port de Gilet jaune sous peine d’amende de 135 euros, le « Grand débat » dévoile aussitôt son caractère fallacieux et répressif. C’est-à-dire son caractère bourgeois, qui rime avec sournois, 

En effet, par la dimension institutionnelle bourgeoise des lieux où sont conviés exclusivement les notabilités municipales, aussi bien par le choix restrictif des thèmes traités, le « Grand débat » s’apparente à une réception mondaine. En outre, le débat est interdit aux Gilets jaunes, tenus militairement à distance. 

Avec la gouvernance macronienne, c’est le règne de la démocratie massivement militarisée, de la liberté étroitement surveillée, du droit d’expression policièrement canalisé et balisé. 

Pour compléter son arsenal de propagande institutionnel mobilisé pour asphyxier le mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement, outre l’organisation du Grand débat et la mise en œuvre des cahiers de doléances, et la réquisition des médias, l’Etat bourgeois ouvre un site gouvernemental dédié au Grand débat. Sur ce site, le gouvernement publie une série de « fiches pédagogiques » relatives à différentes thématiques : fiscalité et dépenses publiques, organisation de l’Etat et services publics, transition écologique, démocratie et citoyenneté. En revanche, sans surprise, les thématiques relatives aux revendications des Gilets jaunes ne figurent pas sur ce site gouvernemental. 

L’hypocrisie du gouvernement de Macron n’a pas de limite. En effet, dans le même temps où l’Etat bourgeois organise son Grand débat, présenté comme la consultation citoyenne la plus démocratique de l’histoire, le gouvernement poursuit sa politique de répression policière et de déchaînement judiciaire arbitraire contre les Gilets jaunes, mais surtout fait voter par l’Assemblée nationale à sa dévotion des lois liberticides.

Nous étions en 2019, en pleine effervescence insurrectionnelle du combatif mouvement des Gilets jaunes.

En juillet 2023, au lendemain de l’assassinat de Nahel, un adolescent franco-algérien tué par un policier, après quelques jours de révoltes menées par une jeunesse à peine pubère, le gouvernement Macron réitère la même stratégie de dévoiement. D’aucuns diraient de manipulation.

Après avoir mobilisé plus 45 000 policiers et gendarmes pour mater la révolte, arrêté des milliers de jeunes, déféré en justice et condamné à des peines d’emprisonnement des centaines d’entre eux, autrement dit après avoir employé une répression à très grande échelle et d’une brutalité inouïe, le gouvernement déploie une offensive sécuritaire extraordinaire, matérialisée par le renforcement des pouvoirs de police, le durcissement des peines pénales, le renforcement de la censure des réseaux sociaux.

Concomitamment à sa politique du tout répressif, le pouvoir déclenche sa stratégie de dévoiement, pour ne pas dire de machination.

Pour criminaliser le mouvement des jeunes prolétaires, aux fins d’enrayer la révolte, curieusement une attaque à la voiture-bélier a été commise contre la maison d’un maire. Selon plusieurs sources, cette opération aurait été l’œuvre des agents de l’Etat. Comme le rapporte un site canadien, elle aurait été ourdie dans le dessein « de déconsidérer la révolte et de créer artificiellement l’Union sacrée contre elle ». Cette thèse semble plausible. On imagine mal des adolescents, pour qui le nec plus ultra de la conscience (et de la praxis) politique se limite à embraser des poubelles, organiser une telle opération d’envergure. De toute façon, elle paraît suspecte. Cette sordide et cynique action pourrait probablement avoir été orchestrée par des agents de l’Etat et perpétrée par des relais mafieux locaux. Au reste, curieusement, la police n’a jamais arrêté les auteurs de cette attaque à la voiture-bélier. 

En tout cas, elle a permis d’impulser un sursaut patriotique d’union nationale. Toute la classe politique française s’est levée comme un seul homme pour dénoncer cet acte et apporter son soutien à la famille du maire. Ce qu’elle n’avait absolument pas fait pour Nahel, pourtant, lui, tué à bout portant par un policier mis en examen pour homicide volontaire, c’est-à-dire meurtre. Ni elle n’avait apporté son soutien à sa famille.

Au lendemain de l’attaque à la voiture-bélier qui a visé le domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses dans le Val-de-Marne, des rassemblements ont été aussitôt organisés sur le parvis de toutes les mairies de France, toutes sirènes sonnantes.

Par ailleurs, dans le même temps, en guise de politique d’apaisement sécuritaire, Macron a déclenché l’opération câlinothérapie auprès des maires et des députés, rassurés et briefés pour les préparer à mettre en œuvre la même stratégie de consolation auprès de leurs administrés.

Et pour amorcer cette entreprise de raccommodement citoyenne, dans le cadre du Plan d’urgence pour une « réconciliation nationale », Macron les a invités à renouer le dialogue avec les jeunes des quartiers populaires, retisser le lieu social.

Et, surtout, engager un débat avec toute la population, notamment les parents, pourtant accusés de laxisme, rendus responsables de l’embrasement de la France.

Dans une déclaration qui dévoile la duplicité de Macron, et surtout son agenda politique répressif, il a promis de « continuer de travailler » pour répondre aux difficultés des quartiers, mais en précisant que « la première réponse, c’est l’ordre ». Autrement dit la répression. L’encerclement et le harcèlement policiers. Les quartiers populaires seront inondés non pas de milliards d’euros pour bâtir, pour la jeunesse, un avenir radieux, mais de milliers de policiers. Une jeunesse contrainte de continuer à se farcir, dans la soumission et par la répression, un présent ignominieux.

Une chose est sûre, avec cette stratégie de dévoiement et de manipulation, Macron tente d’exonérer la responsabilité de son gouvernement, de blanchir la police. Autrement dit, de disculper et d’innocenter l’Etat.

Toute la responsabilité du déclenchement de la révolte incomberait, selon Macron, aux parents et aux réseaux sociaux, accusés respectivement de laxisme et de corruption de la jeunesse. Pis, Macron envisage de sanctionner financièrement les familles, par la suppression de leurs prestations sociales.

Outre la criminalisation de tout mouvement de révolte, Macron criminalise dorénavant les familles d’enfants rebelles.

Jamais deux sans trois. Rebelote. À la faveur de l’incendiaire mouvement de protestation inextinguible des agriculteurs, Macron décide de déployer de nouveau sa stratégie de diversion et divertissement. Celle de l’organisation d’un Débat national. 

Mais, cette fois-ci, sans succès. À peine le débat annoncé dans la confusion et la précipitation qu’il est annulé. En réactivant son opération de com, c’est-à-dire en orchestrant un débat avec les agriculteurs, Macron escomptait circonscrire le mouvement de révolte agricole. Son opération de diversion démasquée, il a au contraire attisé leur colère. 

De sorte que Macron a dû annuler Son narcissique et solipsiste débat. D’aucuns diraient son onaniste ébat politique. 

En tout cas, sa visite au Salon de l’agriculture s’annonce compliquée et périlleuse. En effet, elle est à hauts risques, après l’annulation du débat prévu avec l’ensemble des acteurs du monde agricole dans les allées du parc des expositions de la porte de Versailles.

Au final, le « grand débat », concocté avec coquetterie par le coquin Macron, fier comme un coq, pour embobiner les agriculteurs réduits à manger de la vache enragée, tourne au fiasco. Plusieurs acteurs du monde agricole et de la grande distribution ont déjà fait savoir qu’ils boycotteront le débat. En revanche, les agriculteurs ont annoncé qu’ils poursuivront leur combat. 

Macron l’agent du capital ignore une donnée capitale : l’époque n’est plus au débat bourgeois pacifique mais au combat populaire révolutionnaire. 

Khider MESLOUB 

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