Bel-ɛarbiya

Soyons Hizb El-Djazair ! (1ère partie)

La question de la démocratie linguistique (reconnaissance et défense de toutes les langues maternelles -darija et berbères – de ce pays) semble gêner plus particulièrement les islamistes et, curieusement, les berbéristes. Hors le binôme sacralisé «Arabe-Tamazight», rien ne doit exister, selon cette idéologie sans idée. Or, l’humanité est caractérisée par sa diversité ethnique, linguistique, physique, etc. L’Un-absolu est un attribut divin et non pas humain; quant à l’unique territoire universel monolingue, c’est le paradis. Pas la Terre. Alors, par la grâce du Ciel, occupons-nous de nos affaires d’humains, il y a tant à faire !

Notre espèce vient à la vie dotée, dès la naissance, de la faculté de langage. Nous sommes des êtres de parole parce que nous avons été conçus ainsi. En laissant passer l’air par la bouche, le nourrisson découvre une variation sonore que ses cordes vocales produisent. Sa faculté de parole a un sens pour lui/elle car son utilisation fait bouger les parents et on prend soin de lui/elle. La magie de la parole naît à ce moment-là. La science contemporaine (neurosciences, neuropsychologie, intelligence artificielle, etc.) montre bien que la machine à parole est disponible et ce sont les premiers pas de la socialisation qui vont lui donner un contour acceptable par les adultes. L’enfant rapproche sa parole de celle des adultes jusqu’à l’âge de 3 ans (en moyenne) où il/elle explose en débits incontrôlables. Durant toute cette période, il n’y a aucune intervention normative recevable par l’enfant. Il/elle gère son apprentissage de la langue des parents selon des modalités qui nous échappent car elles sont biologiques et génétiques. A l’âge de 5 ans les enfants accèdent à la parole des adultes sans enseignement et tous atteignent un niveau équivalent, quel que soit le milieu socioculturel où ils se trouvent. La nature fait son travail en toute discrétion et assurance. D’ailleurs les problèmes de parole qui surgissent à ce moment relèvent de la pathologie et non pas du statut politique de la langue des parents ou bien du milieu socio-économique. Notre langue maternelle est donc un attribut naturel, une faveur de la vie, qui nous dote d’un pouvoir qu’aucune autre espèce n’a le privilège de recevoir. Au nom de quoi ose-t-on minorer ce cadeau divin ? Au nom de quel principe faut-il décider qu’une langue est meilleure qu’une autre, à ce niveau là ? Aucun, assurément.

Certes, nous les Algériens (ou Maghrébins), nous évoluons dans un environnement religieux où la langue du Coran apparaît comme la langue vers laquelle nous devons nous acheminer. Le parler local est donc perçu comme une offense faite à la langue sacrée. Mais, à y bien réfléchir, si Dieu avait voulu que la langue qu’il prête au message coranique devienne langue maternelle, il y a 15 siècles que cela aurait pu se faire. N’oublions pas que les divers centres politiques de l’empire musulman ont tous investi pour que cette langue devienne la langue commune. Or le constat est plutôt maigre : aucun enfant ne naît avec cette langue comme langue maternelle ! Est-ce un signe ? Parler une langue commune, c’est partager les mêmes dispositions biologiques (même type de cerveau avec les mêmes organes de perception). Prétendre domestiquer la langue du Coran reviendrait à partager, avec le Créateur, des attributs neurocognitifs communs … Nous le voyons bien, la solution est déjà dans notre nature d’humain : c’est la langue maternelle. Soyons lucides : l’arabe classique intervient comme langue passerelle, langue exclusivement écrite non native, langue supra-communautaire, langue internationale. Elle n’a pas d’ancrage local et national, par définition. D’ailleurs, la réussite de l’islamisation n’a pu se concevoir au Maghreb que parce que la population parlait déjà une langue proche de la darija que nous connaissons de nos jours. C’est grâce à cette collaboration des deux langues que l’intercompréhension a été possible (imaginez que tous parlaient berbère!) et qu’il y a eu une répartition des tâches entre l’arabe pour le fiqh, le nahw et l’administration ; la darija pour la culture nationale sous toutes ses formes. Ce bilinguisme sans haine et sans dédain aura fait son œuvre historique, certes, mais il aura surtout permis à la darija de se développer d’avantage, en empruntant à l’arabe ce qui lui faisait défaut. Cette dualité linguistique a perduré jusqu’à l’époque Ottomane, où elle s’est estompée, et a quasiment disparu avec la colonisation française.

Ce bilinguisme pragmatique (arabe-darija) est celui-là même qui a tant facilité la pénétration de la civilisation arabo-musulmane au Maghreb. Sa remise en question, de nos jours – sous prétexte que ses défenseurs seraient du «ħizb frança» -, est une déstabilisation du socle identitaire qui nous a fabriqués dans notre réalité d’Algériens (ou Maghrébins). A quand le ħizb el Djazaïr ?

Abdou Elimam

 

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