Par Khider Mesloub
«En quelque soir, par exemple que se trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques. La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera !» Arthur Rimbaud.
«La terre est une vieille prostituée. Elle se vend partout», a écrit l’écrivain Pierre Mac Orlan. Transfigurée par le capital et maquereautée par les requins de la finance, elle s’ingénie à mettre en valeur ses luxuriants charmes naturels, monnayer ses paysages voluptueux, complèterai-je.
Le tourisme est un phénomène inhérent au monde occidental capitaliste. Dans un univers concentrationnaire où l’homme – la femme – moderne aliéné passe la majeure partie de sa vie enfermé dans les bagnes industriels ou les geôles du tertiaire, cloîtré dans des habitations carcérales bétonnées, cet homme – cette femme – opprimé et stressé éprouve le besoin de s’évader de sa prison urbaine et mentale.
En guise de thérapie compensatoire, les voyages lui permettraient, pense-t-il, de soigner son affliction existentielle, de s’offrir quelques évasions furtives vers des contrées exotiques, de s’accorder quelques moments de pureté loin de son monde urbain pollué, de sa vie quotidienne souillée, de sa famille atomisée, de sa culture originelle lobotomisée.
A la faveur de la mondialisation uniformisatrice, à mesure que le mode de vie occidental se répand et se vulgarise, le tourisme se propage tel un virus villégiateur, contaminant toutes les contrées du monde. Depuis un demi-siècle, l’Horreur touristique occidentale s’abat sur l’ensemble de la planète.
Dans le sillage du continent européen, en particulier, et occidental, en général, tous les pays sont mis en coupes réglées. Aucun espace n’échappe à la concurrence. Chaque pays investit dorénavant dans les infrastructures touristiques pour attirer le maximum de clients.
A l’instar de la péripatéticienne luxurieuse vantant les agréments de son anatomie lascive et orgastique, chaque pays magnifie les attributs exceptionnels de son territoire : nature luxuriante, mer cristalline, patrimoine culturel exceptionnellement riche.
«Evasion et plaisir garantis», promettent les promoteurs du tourisme.
Tourisme rime avec miasme et marasme
De manière générale, cette politique touristique participe de la spécialisation des pays, s’intégrant dans la division internationale du travail, obérant pour les pays du Sud toute diversification productive, pénalisant tout développement économique authentique et pérenne.
Pour les pays du Sud, tourisme rime souvent avec miasme et marasme. D’une part, ils sont souillés de miasmes sociétaux morbifiques d’origine occidentale. D’autre part, ils sont condamnés à s’enliser dans le sous-développement. Ou la mono-économie, autrement dit la maroconisation de l’activité économique, une activité axée exclusivement sur le tourisme.
Au reste, l’industrie du tourisme, dominée par le capital occidental, participe grandement à la destruction des contrées du Sud dont elle tire profit. Ainsi, l’Horreur touristique occidentale vend ce qu’elle contribue à détruire, notamment par la destruction écologique, la désagrégation sociale et culturelle, la défiguration des régions entières transmuées en zones spécifiquement touristiques.
De surcroît, par la rapacité mercantile de l’industrie du tourisme, le «monde touristique» est mis en mode économique mercantile : les villes transformées en musées lucratives, les campagnes muées en parcs d’attractions rentables, les littoraux métamorphosés en mer bétonnée où surnagent en surface des verrues architecturales hideuses.
Pis, les populations «autochtones» sont folklorisées par les protagonistes de leur propre déculturation, ces Occidentaux ethnocidaires, responsables des désordres anthropologiques irréversibles infligés aux peuples longtemps colonisés (introduction de l’argent, de la propriété privée ; destruction des modes de production traditionnels, exode rural, etc.).
Tourisme : exutoire de l’aliénation
De façon générale, dans la société capitaliste moderne, le tourisme a pour fonction de procurer, à l’Occidental stressé (et désormais au petit bourgeois des pays intoxidentalisés du Sud), immergé dans une atmosphère urbaine polluée, dans une ambiance temporelle haletante et un rythme de vie trépidant, un fugace parfum d’exotisme, une sensation factice de bonheur, un bain de soleil, un lit de détente, une sensation de bien-être absent de son quotidien cimenté par la spleenuosité. En un mot, un sentiment d’évasion et de dépaysement.
Pour ce touriste occidental à la vie accidentée par le stress oxydant et le travail aliénant, il s’agit de partir savourer la «pureté» de la nature, les sites vierges sauvages écologiques ; découvrir des «peuplades» autochtones folklorisées, infantilisées.
Le tourisme offre au voyageur occidental, en quête de son paradis perdu, un dépaysement garanti, par la découverte de paysages féeriques. Plongé dans ces horizons édéniques, le touriste occidental peut communier avec des espaces et horizons fantastiques. Il peut se ressourcer, se régénérer, se purifier, le temps de ce séjour éphémère furtif, avant de regagner l’enfer de son quotidien bétonné d’agressions stressantes protéiformes, barbelé d’activités professionnelles aliénantes, oppressantes, déprimantes.
A notre époque moderne capitaliste mondialisée, le tourisme constitue l’ultime étape de la marchandisation de la société. De fait, les pays du Sud intoxidentalisés, souvent sous-développés, sont livrés à la perversion du capitalisme. Longtemps épargnés par les rapports marchands, ces régions traditionnelles pauvres ont été infectées par l’introduction du mercantilisme, la «civilisation» capitaliste.
Dorénavant, la cupidité gouverne les mentalités de ces populations périphériques. Le mode de vie de ces sociétés a subi une véritable mutation anthropologique. Ces sociétés traditionnelles, sous l’effet corrosif du tourisme, se décomposent. Victimes des prédateurs touristiques et des spéculateurs immobiliers, ces populations sont expropriées de leurs terres et de leur village pour être parquées à la périphérie des villes. Perdant ainsi le lien avec leurs racines, leurs coutumes, leurs traditions. Aussi finissent-elles par se désagréger.
De fait, ce secteur rentable du tourisme, le capitalisme l’a investi avec d’énormes moyens de communication, notamment par le recours effréné à la publicité. Pour l’exploiter de manière optimale et rentable, le capitalisme a favorisé le développement de cette industrie du tourisme collectif, le voyage organisé.
Le voyageur, devenu consommateur quasi compulsif de produits touristiques, est constamment assailli de propositions de séjours aux tarifs réputés compétitifs et économes en temps. Aussi les tarifs des séjours sont-ils tirés de plus en plus vers le bas, accompagnés d’une réduction du gaspillage de temps.
Le tourisme participe à la pollution de l’écosystème
Comme au sein du monde de l’entreprise où les gains de productivité et l’optimisation temporel dominent la logique entrepreneuriale, l’industrie du tourisme a intégré ces catégories marchandes capitalistiques dans ses offres de voyages. Le temps de transit est proscrit, car il est considéré comme du temps mort. Désormais, l’objectif principal des voyagistes est d’acheminer le touriste aux points de consommation touristique dans un temps court. Cet objectif est assuré grâce au développement exponentiel des moyens de transport à grande vitesse, comme l’avion et le TGV, et des réseaux d’autoroute.
Or, cette croissance des transports s’effectue malheureusement au prix de la pollution de l’écosystème. En effet, toute cette technologie des transports modernes est obtenue moyennant une consommation de ressources énergétiques et d’une pollution grandissante.
Aussi l’industrie touristique constitue-t-elle un vecteur de destruction écologique, sociale et culturelle (voilà qui devrait intéresser les égéries de l’Urgence climatique et de Sauvons la planète : au lieu de culpabiliser les «citoyens», ces hystériques écologistes, talibans de l’Occident, devraient s’attaquer aux grands argentiers du tourisme, responsables de la dégradation de l’écosystème).
Ironie du l’histoire, la croissance exponentielle des moyens de transport, étendue à l’ensemble des pays, entraîne parallèlement l’aménagement de diverses structures aéroportuaires et urbaines, homogénéisant ainsi les espaces architecturaux. Générant corrélativement une uniformisation urbaine du monde, au point de réduire considérablement la frontière de l’exotisme au fur et à mesure du développement du tourisme.
Aujourd’hui, tous les pays, toutes les grandes métropoles, sont, au plan architectural et urbanistique, identiques, uniformes. Aussi, pour savourer réellement les délices du dépaysement, les opérateurs touristiques organisent-ils des séjours dans des contrées de plus en plus reculées, isolées, inhabitées (qu’ils ne manquent pas d’«aménager» afin d’offrir tout le confort matériel indispensable aux gâteux touristes occidentaux, ces gâtés de la fortune).
Les sites naturels menacés par la fréquentation outrancière des hordes touristiques
Par ailleurs, si certaines sociétés traditionnelles érigent la virginité de la femme en dogme qu’aucune loi humaine ne doit violer au risque de stériliser définitivement la communauté, le capitalisme, quant à lui, n’existe que par la violation permanente des espaces vierges réduits en terrains à exploiter et à féconder financièrement, sans souci de la postérité, de l’héritage légué aux futures générations. L’industrie du tourisme ne déroge pas à cette loi du viol des espaces vierges transformés en lieux de valorisation du capital par la colonisation mercantile de ces contrées longtemps demeurées impénétrables, vierges, épargnées de tout contact humain occidental infecté par la civilisation marchande ou plutôt «syphilisation» capitaliste virale, létale.
C’est ainsi que certains sites naturels, comme de nombreux monuments millénaires, épargnés longtemps par l’invasion humaine mercantile, sont aujourd’hui, sous l’effet de l’Horreur touristique, davantage menacés par la fréquentation outrancière des hordes vacancières que par les outrages du temps (ou par les destructions de la guerre, des talibans ou de Daech).
On peut citer comme exemple le site de Lascaux : ce site a failli disparaître sous l’effet du souffle des visiteurs envahissants. Les relents infects du capitalisme affectent même les patrimoines de l’humanité, menacés de disparition par l’Horreur touristique occidentale.