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Effondrement-décomposition des partis politiques algériens, désaffection de la population et la crise de la représentation(4e Partie)

Mohamed Belhoucine*

Telle est cette nouvelle ‘’hégémonie catilinaire’’ en préparation et en transition pour les futures élections présidentielles totalement en déphasage de la réalité (nos partis n’ont aucun programme politique que des programmes administratifs qui se ressemblent tous à la virgule près), inopportun et trivial qui me semble rédigé et inspiré par des canaux secrets extérieurs à El Mouradia et à l’Algérie conformément à la culture compradore des ‘’élites’’ de nos partis. 

Cette situation n’a jamais été tout à fait rose, durant les 30 premières années après notre indépendance, le pouvoir ‘’socialiste’’ (Boumediene, limité et têtu a institué un capitalisme d’Etat, leurré par des autodidactes, les pires que nous avons eu aux postes de l’Etat, appliquent leurs lectures livresques (Belaid Abdeslam , a raté 03 fois son concours d’entrée à la faculté de médecine à Bordeau, non prudent sera happé par un professeur d’économie de Grenoble De Bernis, initiateur d’une théorie du développement reposant sur les industries industrialisantes qui sera pour la première fois dupliquée directement et précipitamment en Algérie sans expérimentation pilote, de là les premiers échecs catastrophiques ne se sont pas fait attendre (hormis l’excellence de quelques secteurs de l’industrie légère), car ne s’adaptant pas à la réalité du tissu socio-économique encore embryonnaire en Algérie, et aussi au manque de qualification alliée à l’absence d’une conscience de classe et de culture de groupe de la majorité des travailleurs venant d’une migration interne, qui voit des paysans partir et venir travailler à l’usine et vivre en ville).

Certes Boumediene a inauguré un pacte social et une politique fragile qui a permis aux secteurs populaires de bénéficier d’avantages tout en continuant de tenir, vis-à-vis de l’Etat, un rôle de subalterne, de figurant, les empêchant ainsi de prendre leur destin en mains.

Ce système s’appuyait, dans notre cas, sur la redistribution de recettes fiscales des hydrocarbures et la nationalisation des terres (qu’accompagna le catastrophique écocide caractérisé par l’arrachage et la destruction de 750.000 ha de vignes dans l’ouest algérien par Boumediene adepte du nivellement par le bas au bénéfice d’un ‘’pseudo équilibre régional’’  (C’est un Algéro-espagnol ex : SG du ministère de l’agriculture qui est à l’origine de cette criminelle décision avec le blanc-seing de Boumediene malgré le net désaccord du ministre de l’agriculture de l’époque feu Taîbi Larbi auquel se sont joints Ahmed Medeghri et Kaid Ahmed). Il est évident que cela crée un système d’incorporation de secteurs populaires à l’ordre instauré par le pouvoir dirigiste Boumediéniste avec l’afflux en renfort des élites progressistes, syndicales et intellectuelles de l’époque.

Ce n’était pas une manœuvre de tromperie mais de compromis. 

Certes ce compromis a laissé intacte une bonne partie des pouvoirs dirigistes du régime précédent, mais a consolidé d’importantes avancées des droits sociaux et populaires, il faut le reconnaitre.

Après que le pouvoir ait provoqué et instrumentalisé les émeutes de 1988 (plus de 1300 morts), le degré de mobilisation populaire était insuffisant pour que le pouvoir ne puisse continuer en l’état, c’est-à-dire pas assez fort pour que commence un nouveau cycle politique, mais pas assez pour se l’approprier et ainsi provoquer une rupture démocratique radicale.

S’en est suivi durant ces 03 dernières décennies le démantèlement du secteur industriel socialiste (propriété de l’Etat) et le fait que notre économie devrait désormais tenir un rôle périphérique de vulgaire marchande d’hydrocarbures sans investissements dans le développement.

Toute cette période a vu se développer un cynisme individualiste pour lequel ce qui est vraiment moderne, c’est un individu qui se préoccupe que de lui et de progresser individuellement. A l’opposé nous avons assisté à l’érosion des organes collectifs traditionnels encore naissants, principalement l’identité de classe (ouvrières, paysannes et les fonctionnaires patriotes de tout le secteur public).

C’est une manœuvre de transformation en cascade qui s’en est suivie, désindustrialisation, désarticulation populaire, institutionnalisation, ascension sociale individuelle et culture du consensus métapolitique.

Le parti unique et les progressistes sont allés à l’autre extrême, ont abandonné la lutte, capitulé sans condition et ont accepté un modèle politique foncièrement néolibéral.

Toute idée d’antagonisme a été abandonnée et on est passé à une conception selon laquelle la politique a lieu sur un terrain neutre où des compétiteurs vont lutter pour occuper les postes de l’Etat ; mais une fois qu’ils les ont, il n’est plus question de transformer les rapports de pouvoir.

L’idée que l’ordre social est un ordre qui se construit hégémoniquement se trouve ainsi complètement éliminée.

Il est réellement urgent aujourd’hui de repenser la lutte politique.

Parce que nous disposons que de métamodèles du nouvel ordre instaurés par la fausse représentation, qui ne fonctionnent pas.

C’est pourquoi la question de l’hégémonie a tant d’importance, car elle nous permet de chercher une alternative à la métapolitique.

La métapolitique de nos ‘’partis’’ est structurellement incapable de penser à construire des intérêts collectifs, parce que la politique se fait par construction de l’intérêt général et que celle-ci est une lutte culturelle (Gramsci, Cahier 4).

Il faut défendre l’idée qu’il y a un intérêt général, malgré la dispersion et la fragmentation de notre société, ou peut-être à cause d’elle. Cet intérêt général n’a pas encore imprégné le sens commun de notre population (Edahn El’âm), voir est discrédité ; soyons réaliste et sans illusion aucune, l’étape que nous vivons ne nous permet d’espérer de grands sursauts, mais seulement une sorte de moment de ‘’gestion’’ et de compétition électorale, avec l’absence du (le) politique d’où la flagrante erreur du régime (et non le gouvernement) qui croit qu’il y a des programmes politiques qu’il confond avec des programmes administratifs.

C’est dans ce cadre étroit et fermé, où on ne peut sortir du cercle, que de se limiter à la compétition électorale, mais que les grandes choses se décideront fondamentalement hors de la souveraineté populaire et, comme elles sont présentées comme des décisions « techniques », elles ne sont pas à la portée des gens ordinaires. Comme tous les régimes, notre régime métapolitique est né de pressions, de renoncements et d’exclusions. Pour clôturer cette impasse métapolitique, il faut innover, créer, aller de l’avant (je reviendrai plus loin).

Il faut retenir une chose, la démocratie réclame d’avoir des projets auxquels s’identifier, avec la conviction qu’il y a des alternatives pour lesquelles çà vaut la peine de se battre. Cette crise vient de ce que ses mythes, ses acteurs et ses institutions ne sont pas capables de répondre aux demandes et aux attentes d’une bonne partie des secteurs insatisfaits de la société algérienne ; non pas que, de ce fait, ils ne soient bons à rien, mais parce que qu’ils sont incapables aujourd’hui d’être porteurs du mécontentement et de lui donner une solution institutionnelle. Tant et si bien que le mécontentement s’est accumulé en dehors des institutions qui n’ont pas remplies leur fonction représentative, même les plus importantes, en dehors des identités politiques étouffées et hors des canaux de communications qui pouvaient en intégrer et organiser le récit. Une vague de mécontentement en cascade s’est ainsi formé entrainant moult mouvements sociaux.

Faute de leader aguerri à haut potentiel théorique calqué sur la réalité, nos groupes sociaux sont orphelins, isolés et fragmentés.

Toutes les revendications sociales et économiques ont été congelées et détruites. La pauvreté et la misère couvent des conflits sociaux qui constituent le flot continu de l’actualité nationale sans interruption.

Pour éradiquer la pauvreté, il faut restructurer les mouvements sociaux hétérogènes et fabriquer le conflit qui les oppose au capital.

La question sociale se déplace ainsi vers la lutte contre l’exploitation, les inégalités, les détenteurs des moyens de production, la domination dans les rapports de travail et la biopolitique (sachant que la plus-value n’est plus générée par la masse ouvrière en usines (celle-ci est néanmoins loin d’avoir disparue mais amoindrie) est, maintenant rempli en partie par le travail cognitif, c’est-à-dire la force du travail immatériel, de type intellectuel et de communication).

Je profite de cette tribune qui m’est offerte pour insister sur une erreur fondamentale et stratégique que commettent nos mouvements sociaux qui consiste à séparer le ‘’social’’ et le ‘’politique’’ (récentes déclarations que j’ai lues dans les journaux en langue nationale, de militants peu expérimentés), pour adopter une vision mécaniciste « Le social d’abord et le politique ensuite ».

Le social n’existe pas sans une construction à travers le politique. Le social se construit dans le politique et avec le politique. Sur ce registre je mets en garde les mouvements sociaux pour qu’ils ne soient pas récupérés par les partis métapolitiques oligarchiques opportunistes qui n’ont rien ‘’d’opposition’’.

L’expérience nous a enseigné dans d’autres pays et qu’au niveau mondial une accumulation linéaire de la force des mouvements sociaux leur a permis de se présenter ensuite aux élections sans ou à travers des partis ; et alors, bien sûr arrivent des gouvernements qui, comme tous les gouvernements se vautrent dès les premiers jours dans le confort, les luxes et les dorures du palais, trahissent les mouvements sociaux, toujours plus beau dans ce qu’ils ont de potentialité jamais réalisées.

Pourquoi les mouvements sociaux se font-ils trahir ? L’expérience nous enseigne, soit les mobilisations des mouvements sociaux étaient en recul (la flamme s’éteint vite), soit l’accumulation des forces dans des mouvements sociaux s’est sentie comme surdimensionnée ou qui n’avait jamais eu lieu. Le social se construit toujours à travers le politique qui est son cordon ombilical pour durer et lui assurer la pérennité de ses intérêts, est que toute société est le produit d’une série de pratiques cherchant à établir un ordre dans un contexte de contingence.

Ces actes instituant l’hégémonie sont de nature politique. Que les groupes sociaux n’hésitent à traduire dans un vocabulaire populiste, nationaliste et réellement pseudo-religieux influencé par les islamistes sous la coupe de la CIA (en tant que catégorie politique et non morale), les demandes exprimées par les couches populaires qui se sentaient exclues du consensus dominant.

Il faut que les mouvements sociaux s’approprient la transformation de la conscience politique qui doit déboucher sur des mouvements politiques organisés prêts à s’engager dans les institutions en suscitant une volonté collective populaire pour construire une frontière entre les élites au pouvoir (la caste + les oligarques) et le peuple.

Mise au point importante : nos partis organiques et oligarchiques sont très largement responsables de la mise en œuvre de politiques néolibérales dans notre pays durant la décennie rouge (les années 90) jusqu’à aujourd’hui, actuellement sont incapables de comprendre qu’il y a des alternatives intrinsèques à la nature de ce ‘’populisme progressiste’’ et de relever les défis qu’ils représentent. Prisonniers de leurs dogmes post-politiques (post FLN parti unique), rechignent à reconnaitre leurs erreurs, ils ne voient pas que les demandes exprimées par les groupes sociaux sont des demandes démocratiques auxquelles devrait être apportée une réponse progressiste.

C’est en dehors du projet néolibéral qu’une solution peut leur être offerte.

C’est dans ce sens qu’on peut distinguer le social du politique. Le social est une accumulation de champ de pratiques, de couches sédimentées, c’est-à-dire des pratiques qui occultent les actes originaires de leur institution politique contingente.

Le pouvoir est constitutif du social, car il ne pourrait y avoir de social sans les rapports de pouvoir qui lui donnent forme (Georges Lukacs). L’impression de cet ‘’ordre naturel’’ accompagné par un ‘’sens commun’’, n’est autre que le résultat de pratiques hégémoniques sédimentées durant des décennies, ce n’est jamais la manifestation d’une objectivité plus profonde, externe aux pratiques qui l’ont généré. Je retiens ce passage important de Georges Lukacs : ‘’Il ne faut jamais percevoir la société comme un déploiement d’une logique qui lui serait extérieure, quel que soit la source de cette logique : pour Marx, les forces de production, pour Hegel le développement de l’Esprit Absolu ou bien les lois de l’Histoire pour divers courants positivistes. Cette conception du social est fondamentale parce qu’elle permet d’imaginer comment on peut changer un ordre donné’’.

Pour pouvoir comprendre la lutte hégémonique visant à instaurer un ordre nouveau, il ne faut pas perdre de vue une autre dimension, à savoir que les identités politiques sont des identités collectives. C’est une chose que le marxisme comprend bien, mais il le conçoit uniquement en termes de classes (l’essentialisme de classes trouve ses limites, je vais en revenir).

Il ne peut y avoir de société d’où il soit possible d’éradiquer l’antagonisme parce qu’il y a une négativité radicale qu’on ne peut jamais surmonter, que la société est toujours divisée.

Il faut reconnaitre au marxisme, qu’au moins, il admet l’antagonisme et les identités collectives. Dans le cas du libéralisme, ni antagonisme ni identités collectives. Mais aucune des deux conceptions ne permet de comprendre la nature du politique.

Repenser le politique.

Dès lors qu’on ne veut accepter le néo libéralisme ni le dirigisme d’Etat (à l’instar du modèle jacobin colonial reconduit par le régime algérien après l’indépendance), il faut alors repenser le politique. Pour comprendre le politique, les deux concepts clés sont antagonisme et hégémonie (Antonio Gramsci).

Il faut savoir que le consensus en politique est impossible, la société est divisée entre dominants et dominés.

L’idée qui est avancée par les néolibéraux en Algérie (via leur contribution dans les medias) et qu’on pourrait aboutir à un accord rationnel en politique est potentiellement totalitaire, ce n’est plus de la politique ! Cela signifierait que cet accord ne pourrait être remis en question.

La démocratie radicale au sens de John Dewey, c’est de discuter à l’infini pour déterminer la répartition des ressources, des biens collectifs, des moyens de production et des positions.

A lire notre constitution constituée qui s’articule autour d’un consensus anti-constituant, loin de la réalité de la démocratie, où celle-ci offre la possibilité de choisir entre différentes options et qu’elle se nourrit du conflit, celui-ci est loin de l’affaiblir.

Le « Politique » regroupe deux dimensions, celle de l’antagonisme, qui est inhérent aux sociétés humaines, et la « Politique », qui est l’ensemble des pratiques institutionnelles essayant d’établir un ordre social produit de rapports de pouvoir et qu’il a toujours un caractère de contingence parce qu’il est traversé d’antagonismes.

Loin de l’idéologie libérale qui aborde le politique comme une association rationnelle et comme maximisation du bénéfice individuel. Le pouvoir néolibérale en Algérie croit que les différences vont s’estomper, la dispute ou le conflit pouvaient être éradiqués, on a développé un discours et élaboré ‘’des institutions leurres’’ qui fermaient les canaux par où les conflits pouvaient s’exprimer, si bien que celui-ci, impossible à éradiquer, est apparu en dehors des formes constituées, et même contre elles.

*Docteur en physique, DEA en économie

Lire: Effondrement-décomposition des partis politiques algériens, désaffection de la population et la crise de la représentation(3e Partie)

Et aussi:Effondrement-décomposition des partis politiques algériens, désaffection de la population et la crise de la représentation (1e Partie)

Effondrement-décomposition des partis politiques algériens, désaffection de la population et la crise de la représentation (2e partie)

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