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ANALYSE

Rentes ou revenus non gagnés, revenus immérités, revenus de prédation(2ème partie).

La théorie de la rente est un point central de l’économie classique d’Adam Smith, David Ricardo, John, Stuart Mill, Heinrich Von Thünen, Simon Patten et le plus illustre d’entre eux, Thorstein Veblen. Les principes d’économie politique de l’incontournable ouvrage d’Alfred Marshall (1890) fournissent des graphiques destinés à démontrer mathématiquement la théorie de la rente. 

Par Mohamed Belhocine

Pour un retour à l’économie réelle et antiparasitaire

Dissimulation de la rente, des revenus non gagnés et de l’enrichissement sans cause par la  nouvelle science économique postclassique néolibérale.

La théorie de la rente est un point central de l’économie classique d’Adam Smith, David Ricardo, John, Stuart Mill, Heinrich Von Thünen, Simon Patten et le plus illustre d’entre eux, Thorstein Veblen. Les principes d’économie politique de l’incontournable ouvrage d’Alfred Marshall (1890) fournissent des graphiques destinés à démontrer mathématiquement la théorie de la rente. 

L’objet commun de ces économistes était de baser le système fiscal sur la rente foncière, la rente des ressources naturelles et les revenus non gagnés de même ordre, plutôt que d’imposer les salaires et les bénéfices industriels. C’est depuis 1870, avec l’apparition du marginalisme fondé sur le bien être individuel (c.a.d après moi le déluge) de Carl Menger, Stanley Jevons et Léon Walras, la  « science économique » avait radicalement changé d’orientation et de style. Tous les  faits économiques étaient supposés procéder des choix des individus consommateurs, de leur courbe d’utilité (marginale) ou de leurs préférences (dissimulés en variables implicites par les courbes Walrassiennes dite théorie de l’équilibre adossée à l’optimum de Pareto de l’utilité marginale).

Dans cette nouvelle donne épistémique, il n’y a plus de place pour les classes sociales, plus de distinctions entre salariés, entrepreneurs ou rentiers, il n’y a plus que des individus. Plus  de distinctions non plus entre secteurs productifs et secteurs improductifs puisque tout ce qui trouve acheteur est censé satisfaire une utilité qui faut optimiser pour un maximum de bien être. Si quelqu’un perçoit de l’argent pour un produit ou un service, quelle qu’en soit la nature, c’est, par définition, qu’il l’a bien mérité, que ce bien ou ce service est par hypothèse « utile ». Mais utile à qui ? That’s the question, qui n’est plus guère posée depuis le triomphe de la science économique postclassique.

4 principes cardinaux

Pour mieux comprendre la critique du néolibéralisme et de la théorie économique néoclassique qui le sous-tend, il est utile d’avoir à l’esprit 4 principes cardinaux directeurs qui doivent guider notre pensée.

  • L’objet de la science économique classique (avant 1870 et poursuivie par quelques écoles de la fin du XIXe siècle) porte sur la définition de la rente (revenus de prédation ou revenus non gagnés ou revenus immérités) comme différence entre le prix et la valeur, c’est-à-dire entre la valeur du marché (prix) et le coût intrinsèque de production (valeur). Une rente dans l’économie classique est un revenu de prédation qui ne correspond à aucun coût de production nécessaire (éludée par la théorie économique néoclassique dite aussi théorie économique spéciale T.E.S). Cela implique que la science économique ne peut pas être axiologiquement neutre puisqu’elle doit distinguer les activités productives et les activités prédatrices (qui ne sont pas productives). A l’origine le calcul de la rente a été la principale préoccupation des économistes classiques (de R.Cantillon à K.Marx en passant par A.Smith) et des travaux plus contemporains tels que ceux de T.Veblen, J.K Galbraith ou encore J.Bessen. 

Nous  reprenons dans ce sillage in extenso tous les travaux pionniers de l’école de Karl Polanyi et deux remarquables ouvrages de Michael Hudson  (How the organisation of labor shaped Civilisation Takeoff (ouvrage de 2015), America Protectionnist Takeoff : 1815-1914 (ouvrage de 2010)), qui ont parfaitement synthétisé et déblayé ce vaste terrain grâce à tout un faisceau de concepts 

  • Il faut savoir que la création de monnaie (fiduciaire et scripturale), aujourd’hui est réalisée essentiellement sous forme de dette, par les banques privées, et, est le moteur de la science économique. La  science économique doit donc être fondée sur l’analyse de la monnaie et de sa création. 

L’histoire économique de la longue durée sur plusieurs millénaires a été interprétée grâce aux  remarquables travaux économico-anthropologiques de l’école de Karl Polanyi comme une lutte de classes entre créanciers et débiteurs (les dettes étaient annulées par les guerres ou par des jubilés organisés tous les 50 ans)

(voir les 02 ouvrages fondamentaux de Polanyi, Trade and Market in the Early Empires : Economies in History and Theory (edit.New York) et aussi la Grande Transformation, edit Fayard, Paris)  

C’est donc une lutte de classes pour l’appropriation des moyens de produire de la monnaie qui surdétermine la lutte de classes pour l’appropriation des moyens de production de biens et de services.

  • Le néolibéralisme est l’idéologie économique de défense des intérêts de la classe rentière qui est à la fois financière, managériale et prédatrice (Comme viennent de le démontrer les études d’Oxfam pour 2021 sur la concentration du capital par la financiarisation prédite et prophétisée par Karl Marx (Grundrisse 1857-1858, p.214), 0,1 % de la population mondiale détiennent 99% des ressources mondiales). Cette idéologie nie la distinction classique entre économie de prédation (ou économie de rente) et économie de production et considère à tort que les  revenus de prédation (qui sont improductifs) sont des revenus de production.
  • Contrairement à ce que postule la théorie économique néoclassique apparue à la fin du XIXe siècle (à partir de 1870) et début du XXe qui a éludé la comptabilisation de la rente grâce au lobbying des hommes d’affaires à partir de 1907, la science économique ne peut pas être séparée des  autres sciences sociales telles que l’anthropologie, les sciences sociales ou l’histoire ; ce qu’ont parfaitement démontré les travaux de l’école de Karl Polanyi dont s’est largement inspiré Michael Hudson.

Rente et Monopole.

La rente de monopole et la rente foncière (y compris, pour les carrières, les mines et les eaux de sources privatisées) sont les principaux flux de revenus que les créanciers actuels (les banques, les investisseurs, les fonds d’investissements, les spéculateurs etc..) cherchent à transformer en flux d’intérêts et de dividendes. Les monopoles devraient être inclus dans le secteur de la finance, de l’assurance, de l’immobilier comme dans les secteurs de ressources naturelles (pétrole et gaz, mines, eaux et forêts). La caractéristique dominante et décisive du système capitaliste est la recherche persistance de l’accumulation sans fin du capital qui est un objectif tout à fait irrationnel. Le système monde moderne a cinq siècle d’existence, et le principe d’accumulation sans fin du capital y a fort bien fonctionné jusqu’ici grâce à l’innovation de nouveau produit mis sur le marché (partiellement expliqué par Schumpeter). A cela s’ajoute un autre problème systémique, pour pouvoir accumuler un volume suffisamment important de capital, les producteurs doivent pouvoir exercer un quasi-monopole(l’appropriation du monopole du sucre en Algérie par un seul importateur durant plus de deux décennies suivi par l’instauration des licences d’importation introduites par Bouteflika qui ont un caractère monopolistique rentier caractérisé). 

Rente locative (sa différence avec la rente économique)

La rente locative concerne l’ensemble des « rentes immobilières» ou des rentes de propriété commerciale payées aux propriétaires. Cette rente brute concerne non seulement la rente du terrain, mais aussi les rendements sur les coûts de construction de l’immeuble, plus les frais courants de fonctionnement et d’entretien, sans omettre de préciser le reliquat instigué par les fausses déclarations de la vente d’appartements par les promoteurs  immobiliers (pas tous car toute généralisation est criminelle). Pour les investisseurs immobiliers ou commerciaux, « le loyer sert à payer des intérêts». Lorsque les prix de l’immobilier augmentent, leur stratégie consiste à mettre le moins possible de leur propre argent, en utilisant les revenus locatifs pour rembourser le prêt bancaire. L’objectif est de réaliser une plus-value lors de la vente du bien immobilier.        

Pour l’économie dans son ensemble, ce processus ne laisse à l’Etat aucune recette d’impôt sur le revenu, mais seulement une très modeste taxe foncière (qui n’est jamais perçue et ne représente que 0.0001 % de la valeur de l’achat d’un appartement moyen standing en Algérie (en général sous-déclaré), soit une fraction négligeable de ce que les banquiers reçoivent du secteur immobilier comme intérêts hypothécaires qui sont aux environs de 4,5 à 7%). La taxe foncière, les propriétaires ou copropriétaires en Algérie rechignent à la payer faute de coercition et de contrainte, ce qui est révélateur de l’absence de volonté politique visant à imposer la contrainte pour appliquer la loi.

Rente de localisation 

La rente de localisation est un revenu locatif résultant d’une localisation favorable, qui est maintenant le principal caractère monopolistique de la rente foncière en Algérie (le loyer à Hydra n’est pas le même que celui appliqué à El Harrach, celui d’El Hamri ou Medioni n’est pas le même pratiqué sur la frange maritime de Canastel, Maraval ou St Hubert etc..). Il faut ajouter que la rente de localisation est augmentée par les chemins de fer, les lignes de métro, les routes et autres commodités tels que  infrastructures de transport, par de meilleures écoles, l’accès aux commerces, les complexes sportifs et les parcs voisins, et par l’autorisation de l’utilisation des terres de l’agriculture ou des friches industrielles (spéculation et rente foncière) les jouxtant vers une utilisation commerciale ou résidentielle plus rémunératrice ou vers des  immeubles de plus grande valeur.

Classe rentière.

La  classe rentière est une catégorie de personnes vivant grâce à des rentes et intérêts immobiliers et mobiliers (bons de caisses, actions, obligations, corruption, exercice d’activités sans inscription fiscale et commerciale (exemple le marché parallèle des revendeurs de voitures, une niche et un manque à gagner fiscal estimée entre 2 à 3,5 milliards d’euros), fuite des capitaux placés à l’étranger, les obligations encaissées au trésor lorsque les intérêts arrivaient à échéance). L’idéologie néolibérale maximise l’extraction de rentes du secteur de la finance, de l’assurance, de l’immobilier, des assiettes foncières distribuées par les Walis et les ministres aux principaux membres des organisations de l’Etat et des commissions prises sur le montant des marchés publics qu’ils soient nationaux ou internationaux.

Les deux décennies de pouvoir de Bouteflika ont mis en place un Etat compradore, déliquescent et corrompu qui a mis en évidence en grandeur nature que l’accès au pouvoir permettait d’accéder à la richesse. A cet égard, les responsables des organisations de l’Etat Algérien usaient de leur pouvoir de nomination et de destitution pour nommer et placer les managers, walis, ministres à des postes clefs, dotés du pouvoir de signature leur permettant d’accéder à la richesse etc.. censés servir exclusivement ceux qui les ont nommés pour extraire la dite rente dont le coût sera internalisé sur nos populations, allant de la distribution quasi gratuite des assiettes foncières urbaines du domaine de l’Etat par les walis et ministres (phénomène particulièrement très visible à Oran et Alger et leurs banlieues respectives) aux marchés gré à gré (autorisés par le conseil de ministres ayant pour fondements un nouveau code des marchés public scélérat, révisé et dénaturé pour les besoins de la cause, par ordonnance sous la férule de Bouteflika qui n’a jamais été soumis au parlement pour être approuvé à la majorité des 3/5), auxquels il faut ajouter les rétrocessions de commissions des marchés et des contrats internationaux d’entreprises publiques. 

Cela  explique pourquoi les  revenus des  rentiers et leurs  gains sur le prix des actifs (que Hobson appelait « gains par chance » et Keynes  « aubaines ») n’apparaissent pas comme tels dans les comptabilités nationales et internationales, et échappent à toutes impositions fiscales ou poursuites judiciaires (revenus d’origine indéterminée).

Recherche de rente (ou prédation économique).

La recherche de rente est l’activité à somme nulle dans laquelle les gains d’une partie (les rentiers) est la perte d’une autre (coûts internalisés sur les populations appauvries), contrairement aux nouveaux investissements en capital et à l’embauche qui augmentent la  production et le flux de revenus d’une économie réelle

Les néolibéraux de la théorie économique néoclassique ont détourné l’attention de la rente foncière, de la rente sur les  ressources  naturelles, de la rente de monopole, ou la rente de rétrocessions de commissions que les économistes classiques associaient aux secteurs de la prédation des marchés publics, de la finance, de l’assurance, de l’immobilier etc.. Ils ont redéfini la « recherche de rente » de manière à ne l’appliquer qu’aux politiciens et aux syndicats honnêtes qui font pression pour obtenir des « privilèges spéciaux », tels que la sécurité sociale, un salaire minimum et des programmes publics pour répondre à d’autres besoins fondamentaux des populations. Mais ces programmes n’ont rien à voir avec la recherche classique de la rente. Ce sont des fonctions propres à l’Etat. Il faut savoir que La politique néolibérale a pour ennemis jurés,  la réglementation et les subventions au but de laisser passer « le marché » par défaut aux gestionnaires financiers – comme si leur propre objectif principal n’était pas de rechercher des rentes économiques classiques pour se donner les moyens d’être des monopoleurs et des prédateurs de rentes financières ! 

Un tel langage développé par les néolibéraux constitue une parodie de vocabulaire économique. La théorie de la  rente économique néoclassique contrairement à l’économie classique, renonce aux rentes du secteur de la finance, de l’assurance, du monopole, de l’immobilier et des rétrocessions de commissions au lieu de les taxer (les lois et les décrets ne seront jamais respectées si l’Etat n’use pas de façon ferme de la contrainte c’est-à-dire de l’utilisation de l’exercice légitime du monopole de la violence). 

Imaginez un seul instant si les services publics seraient privatisés (bouches à incendies, écoles, routes, autoroutes à péage, santé, hôpitaux, complexes sportifs, les plages, les parkings, universités, services des  eaux, énergie etc.), le payement de ces services publics autrefois gratuits serait effectués aux propriétaires et aux financiers de ces monopoles naturels, agissant en kleptocrates pour l’appropriation de la rente classique, outil qui nous mènera directement à la « route de la servitude », à l’esclavage et à se prosterner à « l’oligarchie » naissante qui contrôlera tous les gouvernements qui passent et le parlement compris.

La théorie de la rente.

Ricardo a affiné le concept de rente économique pour décrire comment la hausse des rentes foncières a fini par être payé par l’industrie et la main d’œuvre. Mais l’objectif néoclassique a été de libérer les propriétaires et tout le secteur de la finance, de l’assurance, de l’immobilier et des marchés publics (ou la rente est extraite par les rétrocessions de commissions dont les coûts seront internalisés directement sur nos populations) de la fiscalité, et aussi de la réglementation publique et de la législation contre les monopoles. 

Afin de détourner l’attention du public de l’opportunité de taxer ce flux de revenus immérités pour financer les fonctions légitimes de l’Etat, le concept de rente économique – et avec lui l’histoire de la pensée économique– a été exclue du programme d’enseignement général aujourd’hui. Il a été remplacé par la vision étroite et mathématisée d’une science économique dite marginaliste, de l’optimum du bien être wallrassien et du « toutes choses égales par ailleurs » (juncs economics).

A ce sujet, La ploutocratie strausso-anglo-saxonne de la City de Londres et Wall Street New York depuis le début du XXe siècle est derrière tous les flux financiers mondiaux (sans oublier la création des monnaies scripturales créées sur claviers informatiques) qui coulent à flots, leur permettant d’avoir une totale et absolue mainmise sur leurs vassaux mammonites (Mammon est la richesse matérielle qui est personnifiée en divinité à laquelle les hommes sont susceptibles de vouer leur vie) que sont les élites politiques et économiques européennes et américaines. L’occident via la mascarade de la fausse représentation (les lobbies dominent) et une pseudo-démocratie constitutive au capital. Voir les remarquables travaux de Carl Schmitt et la critique de la démocratie libérale capitaliste : « Le capitalisme libéral (le pouvoir constitué) est par essence antidémocratique parce qu’il renonce à la souveraineté populaire (le pouvoir constituant) ». C’est Carl Schmitt en 1923 qui le premier a parfaitement exploré ce problème crucial de la mystification du processus démocratique et de la fausse représentation par le monde capitaliste néolibéral (Schmitt, Carl (1923), La Notion de politique, Paris, Garnier-Flammarion). 

Voir aussi l’excellent ouvrage du professeur américain Mark Mazower de l’université de Columbia à New-York qui démystifie l’idée selon laquelle l’Europe est le continent par excellence de la démocratie, des valeurs de paix et de coopération, d’une diplomatie transparente et multilatérale. Dans l’histoire du XXe siècle, Mazower met en lumière la fragilité de l’adhésion des populations européennes et de leurs leaders à la démocratie, tant dans l’entre-deux-guerres que pendant la guerre froide et après (Mark Mazower, le continent des ténèbres, édition du Seuil point, 2021).

Lire: Rentes ou revenus non gagnés, revenus immérités, revenus de prédation. Pour un retour à l’économie réelle et antiparasitaire. (1e Partie)

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