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La férocité de l’appareil sécuritaire français(7ème partie)

Par Mohamed Belhoucine*

Maurice Papon, la doctrine Galula et la contre-insurrection.

‘’La contre-révolution-insurrectionnelle est forgée et est inhérente à la construction de l’Etat capitaliste et impérialiste. C’est un appareil qui permet aux classes dominantes de refermer soit le mouvement révolutionnaire soit le temps et l’espace de la guerre pour asseoir leur domination.’’

Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse » édit. Sociales 2011.

Maurice Papon se forme ainsi à la contre-insurrection et expérimente une forme de remodelage d’une contre-insurrection militaire et coloniale en contre-insurrection militaro-policière et administrative. Il se fascine complètement pour la doctrine Galula qui exhorte à se saisir de l’ennemi intérieur pour pacifier la population, qui dit que le guérillero, le partisan, est comme un poisson dans l’eau, l’eau étant la population, et donc qu’il faut se saisir de la population. (La police française va mener une campagne impressionnante pour recruter des indicateurs dans les banlieues françaises, par l’utilisation massive de la coercition psychologique et le chantage par la récupération des fichiers des mains courantes, en déployant l’étau de plus en plus serré du quadrillage du territoire).

Ce système idéologique et technique va être élevé au rang de doctrine d’Etat et devenir hégémonique dans la pensée militaire française à partir de 1956 (utilisation massive de la torture en Algérie vise principalement à obtenir des informations qui serviront à démanteler les réseaux d’organisations ayant trait à la lutte révolutionnaire et insurrectionnelle).

Dès lors, la doctrine « de la guerre contre-révolutionnaire » alimente la restructuration des appareils de défense intérieure, « la défense intérieure du territoire » de la métropole à l’époque, c’est-à-dire les grands plans de militarisation du territoire en cas d’invasion soviétique en Europe (Le corps Otanesque de la contre guérilla est dénommé  Gladio domicilié en Italie, celle-ci renferme à l’heure actuelle plus de 182 bases militaires américaines, pays qui demeure le plus  atlantiste d’Europe et le seul classé AMGOT par le gouvernement américain (American Government Occupied Territory) (territoire occupé par le gouvernement américain).

Papon fait partie de la plateforme de propulsion d’une analyse qui dit que probablement une invasion soviétique – c’est la grille de lecture générale de toute la pensée militaire coloniale de l’époque – serait certainement précédée de manifestations géantes communistes et algériennes (toujours cadrés par les syndicalistes de la CGT qui ne sont autres que les bras des services de renseignements français).

Papon a en quelque sorte ouvert les plans de défense intérieure du territoire le 17 octobre 1961.

Il n’y avait eu que très peu de renseignements du côté de la Préfecture de Police de Paris et ils ont été pris au dépourvu ; lorsqu’ils se sont rendus compte le 16 au soir, ou le 17 au matin qu’il y aller avoir des manifestations, ils sont allés chercher dans les répertoires disponibles, en l’occurrence la défense intérieure du territoire qui sont donc des plans de gestion militaire de la métropole en cas d’invasion soviétique. Cela explique pas mal de choses sur la puissance du dispositif mis en œuvre.

Intoxication et guerre psychologique

Sur la radio de la police, on diffusait des messages d’action psychologique, on disait que les arabes avaient tué dix policiers à tel endroit, etc… pour exciter la férocité des policiers. Il y a encore un autre aspect qu’il faut prendre en compte, c’est le soulèvement des masses urbaines de décembre 1960 en Algérie. C’est un peu la réponse à la bataille d’Alger, c’est-à-dire la réponse du peuple colonisé à la contre-insurrection.

C’est un déferlement des masses (avec des enfants, des vieux, des femmes, etc.) dans les rues des grandes villes algériennes, déborde la militarisation, déborde la contre-insurrection militaire et policière et emporte le versant politique de la guerre d’Algérie alors que le versant militaire était disparate (les 02 principaux ilot de résistance tenaient de pied ferme dans les territoires du Sud Algérien sous l’autorité directe d’un grand leader révolutionnaire, le colonel Chaabani d’une part et d’autre part dans les Djebels de l’Atlas saharien où 700 hommes sous la  conduite révolutionnaire de l’irréductible Moulay Brahim dit commandant Redoine (1954-1962), lui vaut d’être surnommé ‘’l’insaisissable lion d l’Atlas’’ par les généraux français. Moulay Brahim, le ‘’lion de l’Atlas’’, est resté à son poste de combat sur le territoire algérien durant 6 ans 6 mois et deux jours, a toujours refusé de rejoindre Oujda, contrairement aux embusqués de la révolution qui ont trouvé refuge à l’extérieur de nos frontières).

Ça va marquer très fort les administrations, les états-majors politiques, militaires et policiers et quand Papon se fait « ramener » à Paris c’est parce qu’il est reconnu comme un spécialiste de la gestion des arabes aux colonies et qu’on lui demande de faire la même chose à Paris. Il emporte donc cette mémoire avec lui et au moment où son état-major obtient l’information qu’il va il y avoir des manifestations organisées par le FLN et que des algériens vont marcher, depuis les périphéries vers le centre-ville – c’est-à-dire le même mouvement qu’en décembre 1960 en Algérie – il va utiliser l’arsenal d’écrasement qui est à sa disposition ou plus de 700 algériens seront lâchement assassinés ou portés disparus à ce jour par la police française et les nervis du renseignement français.

Bien entendu, tout cela va semer des graines dans toute la Cinquième République qui perdure toujours, qui est fondée autour du coup d’état militaire ‘’démocratique’’ qui porte De Gaulle au pouvoir en 1958 et à travers toute cette grammaire idéologique qui considère les arabes algériens et le FLN comme des ennemis intérieurs dont il faudrait se saisir pour protéger la France et « le monde libre ».

Aujourd’hui nous nous retrouvons toujours dans le même contexte idéologique policier français qui n’a pas changé d’un iota.

Conclusion

La trame anti-insurrectionnelle française est une politique de massacres et d’élimination physique policière, mise en œuvre à petits feux. Il y’a un rapport direct entre le développement du capitalisme, l’extension des inégalités et le taux d’élimination policière des damnés de l’intérieur.

Un assassinat est un meurtre avec préméditation. La violence policière étant le produit d’une mécanique régulée et de protocoles techniques, affirmons-le, L’Etat français prémédite institutionnellement le meurtre des damnés intérieurs. L’Etat français assassine méthodiquement. (L’ignominie judiciaire d’une justice corrompue et aux ordres, de la chambre d’accusation de la Cour d’appel d’Orléans, va jusqu’à reconnaitre le fait de tirer dans le dos d’un être humain en fuite comme un acte de légitime défenses (Vacarme n° 21, automne 2002)).

L’observation, par la manière dont l’Etat impérialiste emploie la brutalité, la férocité et le meurtre contre les damnés de ses colonies (Mayotte, Nve Calédonie, Polynésie etc..) ou les damnés intérieurs en métropole, dévoile une structure fondamentale.

L’Etat impérialiste se maintient à travers une guerre policière en expérimentation constante dans ses périphéries intérieures. Pour pouvoir se restructurer, il entretient et contient en permanence la guerre au cœur de ses enclaves ségrégées. La domination sécuritaire importe, traduit et reformule à l’intérieur des métropoles impériales ce qu’Achille Mbembe appelle des « mondes de mort », c’est-à-dire des espaces comme la Palestine occupée où les palestiniens sont soumis à des conditions d’existence relevant du statut de « mort-vivant ». Les violences policières démasquent l’Etat sous certains de ses aspects seulement. Les rouages les plus subtils et les plus profonds des mécaniques de domination, sont masqués et ne se révèlent que par des investigations poussées et l’action directe sur le terrain des dominé(e)s eux-mêmes et elles-mêmes.

Le carnage de la violence policière ne peut s’arrêter sans rompre avec les structures économiques, politiques et sociales qui produisent tous les rapports de domination. Il faut que les post-colonisés trouvent les moyens de s’organiser collectivement pour saboter les rouages de l’Etat policier et des sociétés de classe afin d’en finir avec la suprématie blanche, bourgeoise et patriarcale. Ces ruptures sont faites de résistances de luttes, de solidarités et d’alliances quotidiennes.

L’émancipation collective est une bataille permanente, où les post-colonisés et les dominés, n’auront ce qu’ils sauront prendre et où tout est à construire par eux-mêmes.

Organisez-vous.

*Dr en Physique, DEA en Economie

Lire: La férocité de l’appareil sécuritaire français (6ème partie)

Et:

La férocité de l’appareil sécuritaire français (5ème partie)

La férocité de l’appareil sécuritaire français (4ème partie)

La férocité de l’appareil sécuritaire français (3ème partie)

La férocité de l’appareil sécuritaire français (2ème partie)

La férocité de l’appareil sécuritaire français (1ère partie)

 

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