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La férocité de l’appareil sécuritaire français (4ème partie)

Par Mohamed Belhoucine*

Aux origines religieuses et coloniales des structures mentales françaises.

« Jamais aucune religion ne fut aussi féconde en crimes que le christianisme ; depuis le meurtre d’Abel jusqu’au supplice de Jean Calas, pas une ligne de son histoire qui ne soit ensanglantée ».

Denis Diderot, Salon de 1762, édit Broché 2007

La mentalité collective souchienne française, ce sens commun dominateur des perceptions et des manières habituelles de penser et de croire, caractéristique d’une collectivité et communes à chacun de ses membres, est gorgée d’un certain nombre de réalités, entachées de préjugés racistes et d’hostilités envers les post-colonisés, puisent aux racines à la fois religieuses et coloniales, qui remontent à très loin dans le temps.

La mentalité française et ses sédiments et supports culturels chrétiens, remontent à la première croisade en 1096 (après J.C), sont marqués par leur haine irrémissible de l’Islam et de la langue Arabe.

Fernand Braudel dans son remarquable essai (le temps du monde, Civilisation matérielle, économie et capitalisme T 3, édit. Armand Colin), démontre, au moyen d’études de cas de façon systémique et systématique, sur des cycles courts, moyens, longs de l’histoire, allant jusqu’aux dimensions fractales, que les structures mentales et la mémoire collective d’une population donnée s’estompent et se renouvellent à la fois tous les 05 siècles. Contrairement aux structures sociales qui se renouvellent tous les 30 ans et les structures économiques qui se répètent selon les cycles de Juglar et Kitchin sur une durée variant de 7 à 12 ans.

La théologie chrétienne de l’Eglise romane (Vatican) a façonné des siècles de conflits, depuis la première guerre judéo-romaine (l’an 66 après J.C) jusqu’à l’invasion de l’Irak (2003) en passant par la première croisade contre l’Islam (l’an 1096 après J.C). Même dans les sociétés sécularisées ou explicitement non chrétiennes, comme l’Union Soviétique, les formes qu’ont prises de nombreux séismes politiques (guerres civiles, purges, déportations, génocides sur populations, terrorisme etc..) sont en grande partie explicables par le christianisme et les concepts religieux qui lui sont inhérents et qui influencent jusqu’à aujourd’hui la façon dont la violence est perçue et perpétrée— selon l’érudit et grand leader révolutionnaire Vladimir Ilitch Lénine dans son remarquable ouvrage (Socialisme et Religion, 3 décembre 1905)—.

Feu et regretté Mohamed Shahrour ce grand penseur arabe, sourates à l’appui, a démontré grâce à une fine et précise exégèse linguistique et grammaticale, de façon implacable, que le concept du martyr (Shâ’id) est un scélérat héritage chrétien qui n’a nulle trace ni existence dans le texte Coranique et on trouve ses sources exclusivement que dans le christianisme même si beaucoup de textes bibliques sont originairement apocryphes.

La logique par laquelle une personne saine d’esprit est amenée à tuer et mourir pour un principe, est inhérente au christianisme et tout à fait étrangère au Saint Coran, sans oublier les raisonnements qui légitiment l’imposition de la liberté par la contrainte (à contrario de l’Islam, là Iq’râ’ha fi Dîn (nulle contrainte en la religion) associé au pardon cynique et jubilateur chrétien, car peu lui importe la honte face au paroxysme des atrocités de la guerre. La crise et le recul significatifs de l’Eglise de nos jours trouvent leurs racines dans ‘’la mauvaise conscience chrétienne’’ une fidèle analogie au concept Lukacsien (Georg Lukàcs) relative à ‘’la mauvaise conscience de classe ‘’, Lukàcs nous propose un formidable modèle explicatif à la question : pourquoi une grande partie de la classe ouvrière en Europe, dans les années 1920 a trahi et s’est ralliée au Capital, au fascisme italien (les chemises noires) et au national-socialisme d’extrême droite allemande (les chemises brunes) ? (Voir Georg Lukàcs, Histoire et conscience de classe, edit.de Minuit, 1924).

L’idéologie hégémonique impérialiste américaine contemporaine de la guerre, place la violence sous l’empire d’idées abstraites, comme la liberté, la guerre juste, les droits de l’homme, la paix mondiale, le droit des femmes, le terrorisme etc…des outils d’aliénation et de tromperie qui s’enracinent profondément dans les écritures bibliques chrétiennes.

J’essaye de montrer simplement que l’ancrage neurobiologique de la mentalité française se nourrit et reste toujours soumis au substrat des principaux sédiments et supports culturels religieux chrétiens (l’Eglise a soutenu et a participé directement aux génocides des populations Amérindiennes, Africaines et Algériennes par la forme la plus cruelle et exécrable d’assassinats, celle de l’échafaud pour couper les têtes et les enfumades pour brûler et décimer des populations entières, avec l’approbation de la population coloniale. L’Eglise a été investie et a participé de facto aux missions coloniales génocidaires, considérées comme ‘’hygiéniste et prophylactiques’’, ‘’prosélyte’’ et ‘’civilisatrice’’ envers les bons sauvages (les noirs) et les barbares (les musulmans et les Arabes), par la propagande coloniale. Ces ferments principaux de l’idéologie romaine chrétienne, du bon sauvage (le noir) et le barbare (l’arabe et le mahométan, ce dernier terme est utilisé de nos jours comme une connotation dépréciative des musulmans) ont constitué les jalons et le lit des supports culturels coloniaux, legs qui seront transmis de façon pérenne à la conscience collective française, dite fille ainée de l’Eglise.

La seconde racine est le mental colonial, simple continuité et consécration de l’héritage religieux chrétien, s’est diffusé très rapidement en seulement deux générations (1879-1930) dans le sens commun de la population française après la conférence de Berlin en 1884-1885. 45 ans plus tard, l’exposition des peuples du monde, exhibés dans des cages comme des animaux, viendra en soutien et encouragement pour renforcer et forger cette conscience collective coloniale. Cette exposition sera organisée en 1931 au jardin d’acclimations du Zoo animalier à Vincennes (Paris). Ce sera la consécration et l’incrustation ultimes et définitives de l’idée coloniale dans l’imaginaire collectif français.

Comment est née la mentalité coloniale française ?

‘’Le projet même de République impériale, sa réalisation obstinée et souvent meurtrière entre 1881 et 1912, son extension après la première Guerre Mondiale au Togo, au Cameroun, au Liban et en Syrie, la mise en place d’un État colonial comme État d’exception permanent, l’assujettissement des “indigènes“ établi par leur statut de “sujets français“ et de nombreuses dispositions exorbitantes du droit commun, la défense implacable des possessions ultramarines n’auraient pas été sans l’adhésion de la majorité des dirigeants politiques et des élites républicaines aux doctrines relatives à l’inégalité des races. Pas de République impériale sans République raciale, et sans racisme d’État, tous trois entés sur un racisme scientifique, élitaire et républicain grâce auquel la première et la seconde ont été conçues puis mises en œuvre avec le soutien des radicaux-socialistes et des socialistes.

»Olivier Le Cour Grandmaison (Ennemis mortels, représentations de l’Islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniales. Edit la Découverte. 2019)

Le grand mérite revient sans conteste à Olivier LeCour Grandmaison, qui dans son remarquable ouvrage (La France impériale ; politique et racisme d’Etat. Edit. Fayard, 2009) a su décortiquer et remonter tout le fil d’Ariane de la genèse de la mentalité coloniale française. Au tournant du XIXe siècle, les républicains favorables aux conquêtes coloniales ont réussi là où leurs prédécesseurs avaient échoué. Entre 1871 et 1913, les possessions françaises en outre-mer sont passées de moins d’un million de kilomètres carrés à treize millions de km². Quant aux « indigènes », leur nombre a progressé de sept à 100 millions en 1938. Extraordinaire expansion. Elle est sans précédent dans l’histoire de la France qui, devenu la seconde puissance impériale du monde après la Grande-Bretagne, est confronté à des tâches multiples et complexes. Comment diriger un empire aussi vaste ? De quels instruments politiques, administratifs, juridiques – le droit colonial de l’indigénat par exemple (né en 1886) – et scientifiques la métropole a-t-elle besoin pour remplir les missions nouvelles qui sont les siennes désormais ? Quelles orientations – assimilation ou association – mettre en œuvre dans les territoires de la « Plus Grande France » ?

En effet, les conséquences de cette construction impériale sur les institutions, la vie politique, l’enseignement supérieur et secondaire, les sciences humaines, voient se développer en leur sein des sciences dites coloniales consacrées par la création d’une Académie ad hoc, mobilisée à des fins de propagande de supériorité raciale, notamment, sont nombreuses, la littérature, la presse, les programmes scolaires, les livres pour enfants etc…. De là le surgissement inédit d’une véritable République impériale raciale dotée de structures diverses, qui vivent par et pour les colonies, et d’un espace vital impérial (l’analogie du Lebensraum de la propagande hitlérienne), jugé indispensable au développement de la métropole et à la vie de ses habitants.

Pour rendre compte de ce processus complexe et multiforme qui a longtemps affecté l’État et la société civile, Olivier Grandmaison a forgé le concept d’impérialisation et a eu recours à une approche dé-disciplinarisée (anticonformiste) qui fait appel à de nombreux textes philosophiques, politiques, juridiques et littéraires qu’ils seraient fastidieux que je cite dans ce court papier.

Une nouvelle superstructure coloniale sera déployée pour obtenir et faciliter l’adhésion des populations françaises à ses nouvelles et gigantesques possessions coloniales d’une « Plus Grande France ». Pour consolider politiquement ce vaste Empire colonial en Afrique et en Asie, les coloniaux ont distillé à partir de 1885, une nouvelle pensée suprémaciste fondée sur l’inégalité des races humaines inspirée par l’ouvrage d’Arthur Gobineau, un essai sur l’inégalité des races humaines, parue en 1853 , suivi par la craniométrie (étude de la mensuration des crânes des « races humaines ») et la physiognomonie (la connaissance des caractères des races humaines d’après leur physionomie) ; toutes ses 03 ‘’spécialités’’ s’inscrivent dans la filiation des théories racistes de l’époque.

Cet imaginaire collectif colonial raciste construit par l’Etat impérial français va s’incruster progressivement dans le sens commun et le mental des populations françaises dès l’année 1885 et ira sans discontinuer jusqu’à 1931 (pendant 2 générations). L’année 1931 a été l’apothèse mettant en scène et exhibant les indigènes colonisés dans le Park Zoologique animalier de Vincennes, transformé en Zoo humain, façonnera de façon définitive le statut d’un racisme d’Etat sur les populations colonisées considérées comme des sous races humaines. Cette vaste opération idéologique coloniale a permis à toute la France à se convertir au colonialisme.

La mise en scène et l’exhibition-exposition des indigènes colonisés dans le Park Zoologique animalier de Vincennes, en 1931, officialisera et façonnera le statut définitif d’un racisme d’Etat (toujours vivace de nos jours) sur des populations colonisées considérées comme des sous races infrahumaines. Vaste opération idéologique coloniale. Pour consolider le tout, jusqu’à nos jours, la France n’a jamais reconnu le principe et le statut de l’égalité entre peuples et a refusé de signer le texte qui lui soit relatif à la SDN du 28 juin 1919, date de la signature du Traité de Versailles.

La colonisation est le plus grand fait de l’histoire. On parle du « déclin de l’occident ». Est-ce vrai ? Où sont les signes précurseurs ?

Paul Reynaud, ministre des colonies, discours du 7 mai 1931.

Quelle amnésie politico-historique de l’impénitent colonialiste Paul Reynaud. Il a oublié de corriger son texte sachant qu’il y’a eu déjà « déclin de l’occident », celle de l’agonie de Rome qui a duré 3 siècles après la mort de Tacite.

L’exposition coloniale se proposait de promouvoir l’empire français, s’est tenue à Paris du 06 mai au 15 novembre 1931, sous la férule et la présence de presque toute la population française de l’époque, le but était double, marquer et conforter tout l’imaginaire collectif français en faveur de la sous-racialisation des colonisés et obtenir ad vitam aeternam son adhésion à ce vaste empire coloniale. Sur ce registre, l’exposition a été un immense ‘’succès’’ accusant plus de 34 millions d’entrées (soit presque toute la population française de l’époque).

Sous la IIIe république (1870-1940), les bâtisseurs et les partisans de l’empire colonial ont réussi à diffuser « l’idée colonial raciste » auprès d’une opinion qui, dans sa grande majorité était préparée et séduite un demi- siècle auparavant (1885) à la fois par l’idée coloniale et l’idée religieuse de la mission civilisatrice de l’église envers les races ‘’inférieures’’ que sont les autochtones des territoires colonisés.

Les différents gouvernements coloniaux français qui se succèderont découvrirent qu’ils pouvaient intéresser le prolétariat français et l’opinion publique en jouant sur les fibres religieuses racistes et la curiosité du public à l’égard des populations ‘’exotiques’’ qui peuplaient le domaine colonial.

Le vif succès remporté par l’exhibition d’un Zoo d’humains, d’Africains et d’Amérindiens au Park Zoologique d’Acclimatation de Vincennes, prouvait l’adhésion du publique au concept de sous-racialisation des humains colonisés. Les autorités françaises vont encore enfoncer le clou, vont promouvoir et multiplier des présentations distrayantes d’indigènes dans des cages d’animaux, comme sujets de curiosité, ces présentations consacreront et façonneront une nouvelle pensée suprémaciste coloniale dans l’imaginaire collectif du prolétariat intérieur européen fondée sur les valeurs de l’inégalité des races humaines (voir l’essai sur l’inégalité des races d’Arthur Gobineau publié en 1853).

Cette consolidation de l’Empire colonial en Afrique et en Asie, aura une autre malheureuse conséquence, celle de déboucher sur la Guerre des Races entre le prolétariat intérieur (européen) et le prolétariat extérieur (les peuples colonisés), que nous avons vécu en Algérie durant les 132 de colonisation de peuplement. Un sondage publié par le monde-diplomatique en 2008, cherchait la raison et posait la question sur le pourquoi qui se cachait derrière ce départ massif à l’aube de notre indépendance d’un million de pieds-noirs composé à 95% de petits blancs ? 70% des interrogés, expliquaient que la raison principale à leur départ massif était imputable à la phobie et le refus, qu’entretenait le discours colonial, de travailler sous l’autorité d’un Arabe et qu’ils ne pouvaient digérer.

L’idée colonial s’est donc incrustée dans la conscience collective française de façon pérenne (Il faut savoir que c’était l’époque du Fordisme loin du système dominant de production actuel post-Fordiste qui répond à de nouveaux impératifs et modes d’accumulation du capital (production et consommation) et modes de régulation (lois écrites et non écrites de la société qui contrôlent le régime d’accumulation et déterminent sa forme)).

*Dr en Physique, DEA en économie

Lire: La férocité de l’appareil sécuritaire français (3ème partie)

Et: La férocité de l’appareil sécuritaire français (2ème partie)

Et aussi :La férocité de l’appareil sécuritaire français (1ère partie)

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