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Le Professeur Bendjillali Abderrahmane : Le débat sur le projet de la révision constitutionnelle n’a pas atteint le niveau escompté

Rencontré en marge de la conférence sur les nouvelles dispositions du projet de la révision de la Constitution , organisée par l’Organisation Nationale des Enfants des Moudjahidines d’Oran, le Professeur Bendjillali Abderrahmane, membre de la commission d’élaboration du projet de la révision de la Constitution présidée par le professeur Laraba, a bien voulu répondre aux questions d’Algérie54

Algérie54:     Les algériens s’apprêtent à se prononcer le premier novembre prochain, sur la nouvelle Constitution, dont certains articles contenus dans la mouture suscitent une polémique exprimée largement sur les réseaux sociaux, qu’en dira le Professeur Bendjillali Abderrahmane, l’un des membres de la commission Laraba ?

Professeur Bendjillali : A vrai dire, le niveau du débat sur les articles contenus dans le projet de la révision constitutionnelle, n’a pas atteint le niveau escompté. Sur ce plan, nous constatons que la problématique d’élaboration d’une nouvelle constitution pour une Nouvelle Algérie, est sortie de son contexte, et a été sous-évaluée, puisque chacun parlait des articles contenus dans le document, et l’opinion publique virtuelle a été orientée, à travers les pages des réseaux sociaux.
Cela est lié aux motifs politiques, ainsi le parti politique qui s’est attaqué dès la parution de la mouture, cherchait à se positionner dans l’échiquier du système politique algérien, dans la perspective d’être omniprésent dans la composante du prochain parlement, en vue de former un gouvernement composé de ses membres. Le parti en question défendait le système parlementaire, cette action que nous considérons comme l’agriculture politique destinée à servir les intérêts du parti et non de l’Algérie. Malheureusement, ce parti, qui rejettera la mouture, n’a pas uniquement axé sa plaidoirie sur la défense de sa vision partisane, mais, il a travaillé pour une campagne de désinformation des articles contenus dans la mouture pour toucher les sentiments des algériens, connus pour être jaloux de leur religion, leur langue arabe, et l’unité de l’Algérie, sans débat juridique spécifique les concernant . Sur ce registre, nous confirmons, le bas niveau du débat des articles du projet de la révision constitutionnelle, dans la mesure, où le débat de bas niveau touchera la vie privée et familiale des membres de la commission d’élaboration des propositions de la révision de la Constitution, en particulier, le président de la commission, le Professeur Ahmed Laraba, et le rapporteur de la commission Walid Aggoune.

L’objectif assigné, de cette campagne de désinformation ignoble, était la mise en échec de cette mission et le but fondamental d’élaborer des articles constitutionnels qui prennent en charge les droits et libertés, consacrent l’Etat de droit, régulent un haut niveau de l’exercice politique, un niveau politique jamais atteint par les partis politiques au fil des temps.

Ce qui est pire encore, c’est que l’élite de la société algérienne, composée d’universitaires, et cadres n’ont pas tréussi à expliquer les articles contenus dans le projet de la révision de la constitution de manière à expliquer clairement et avec précision l’intention du constitutionnaliste, cela ne nous fait pas douter des compétences et niveau des enseignants, mais nous amène à être sceptique concernant les intentions et les mentalités, sans oublier, que faire partie de la composante de la commission de la révision de la constitution, faisait saliver de nombreux cadres, enseignants et politiques.

Algérie54:  La polémique est exclusive à la langue Tamazight, et des étapes de l’histoire de l’Algérie, expliquez-nous, pourquoi, il y a cette fixation sur ces deux points ?

Professeur Bendjillali :La réalité constitutionnelle confirme la consécration de l’Amazighité comme langue nationale, dans l’amendement constitutionnel de 2002, après ce qui a été appelé ”printemps amazigh”, promue en 2016, langue officielle, dans le cadre de l’article 4 de la constitution de 2016..

Le projet de la révision de la constitution, a mis cette disposition dans l’article 223, concernant les principes touchés par l’interdiction objective, sur cette base, la consécration de l’amazighité comme langue dans les fondements de la constitution, n’est pas née aujourd’hui, mais en 2002.

A partir de cette tribune, nous confirmons que la commission d’élaboration des propositions de la révision de la constitution, n’est nullement une commission indépendante, mais relevant de Monsieur le Président de la république, constituée via un décret présidentiel. Cette commission est seulement une commission d’élaboration, par la force de la loi. Le président de la république a confirmé à plusieurs occasions, qu’il n’est pas question de toucher aux dimensions de l’identité nationale. Ici, il s’agit de l’Amazighité, l’une des dimensions de l’identité nationale.

Nous supposons, qu’il n’est pas question pour la volonté politique, de supprimer l’amazighité des articles de la constitution, qui a gagné en consécration depuis 2002. Ainsi, même les partis politiques, élites et associations qui rejettent la mouture de la mouture de la révision de la constitution, n’ont pas rejeté l’amazighité explicitement ou implicitement.

Sur le plan juridique,et en analysant l’article 4 de la Constitution de 2016, restée intacte dans le projet de la révision de la constition,nous relevons que le premier chapitre indique que Tamazight est aussi une langue nationale et officielle, que l’Etat s’active à sa promotion et son développement dans sa diversité linguistique, à travers tout le territoire national, et ajoute dans le dernier chapitre de l’article 4, que les experts sont appelés à promouvoir Tamazight, en langue nationale après, ce qui signifie que Tamazight ne peut être langue nationale à la conjoncture actuelle . Ainsi, il est évident, qu’elle atteindra le stade de la langue qu’à travers des étapes et d’efforts inlassables d’experts et d’observatoire de la langue Tamazight. Le travail consiste à promouvoir ce dialecte, comme le reconnaît  la constitution implicitement , à un niveau de langue qui a des règles et lettres reconnus, englobant toutes les diversités linguistiques utilisés à travers tout le territoire national. A travers, cette courte analyse, la consécration de Tamazight comme langue au niveau de la constitution, dans le premier chapitre de l’article 4, est un travail uniquement politique et non scientifique, basé sur les règles de la langue, comme c’est le cas pour toutes les langues du monde. Le travail politique vise à éloigner les dimensions de l’amazighité des influences politiques, et les surenchères politiciennes, ainsi, si le projet est validé, il mettra fin à cette surenchère.

En réponse à cette question, et compte tenu de la faiblesse du niveau du débat sur les articles du projet de la révision de la constitution, comme je l’ai déjà signalé, il faut souligner, que le débat politique s’il existe, tente d’orienter l’opinion publique algérienne, via de la désinformation portant atteinte à la langue nationale et à l’histoire de l’Algérie

Algérie54:      La nouvelle mouture a mis fin à l’usage des constantes du pays dans le débat politique, ne pensez pas que cela influera négativement sur l’existence de certaines formations politiques ?

Professeur Bendjillali:Selon mon approche, les partis politiques ont confirmé leurs échecs pérennisés, faute de programmes politiques, et de formation politique pour ses militants, ce qui les prive de devenir des écoles politiques. Ces mêmes partis demeurent à l’affût du sensationnel, pour soutenir ou s’opposer au régime politique en place. Ces mêmes partis politiques vont sérieusement être pénalisés après la constitutionnalisation des constantes de la nation

Algérie54:   L’Islam est la religion de l’Etat, mais l’article concernant la liberté de culte suscite des interrogations et de la polémique, qu’en est-t-il au juste ?

Professeur Bendjillali: L’article2 de la constitution stipule que l’Islam est la religion de l’Etat, ce qui signifie que l’islam n’est pas seulement  la religion des personnes, mais la religion du de l’ordre public de l’Algérie, sur ce plan, tous ce qui est lié aux croyances des personnes et leur libertés est inhérent à la religion de l’Islam, et il est interdit d’une façon ou d’une autre, par la force de la Constitution, et le code pénal, se moquer d’elle ou de sortir de ses fondements.
L’Algérie, n’est pas à 100% musulmane, il y a des algériens qui ont d’autres croyances et d’autres religions, et l’Algérie peut accueillir des étrangers non musulmans, qui peuvent séjourner pour une longue durée, et sur cette base et celle liée aux fondements de la Charia islamique, on ne peut les obliger à exercer les préceptes de l’islam. Ainsi, ils sont soumis à la loi fixant la liberté de culte et l’exercice de l’activité religieuse de 2006.

L’article 2 du projet de la révision de la Constitution stipule que la liberté d’exercice religieuse est garantie, dans le cadre du respect de la loi. Il est évident que le texte de la loi ne peut commander les idées ou les croyances, mais peut organiser la liberté de l’exercice du culte, dans le cadre de la constitution, sachant que depuis 2006, aucun bruit ou polémique n’a été suscité au sujet de cet article. Ainsi, le texte “ la liberté de l’exercice du culte” ne peut être renforcé,, comme c’est le cas dans les précédentes constitutions, que par un texte de loi définissant le comportement exogène de ce qui est endogène “la croyance”, car la loi organise le comportement et non l’esprit. A vrai dire, la liberté n’est nullement absolue, mais régulée dans le cadre de la loi, et cette dernière ne peut dépasser les dispositions de la constitution, contenues non seulement dans l’article 51, mais aussi dans le contenu de l’article 2, qui stipule que l’Islam est la religion de l’Etat.

Et de la, il n’y a aucun danger sur la religion, les valeurs et les constantes de la nation algérienne, dans la mesure où le texte de loi intervient pour organiser les modalités de l’exercice, les limites et les contrôles. L’inconvénient et la menace résident   dans le fait de laisser l’exercice de la liberté de culte, sans la rguler. A cela s’ajoute l’article 34 alinéa 2 du projet de la révision de la constitution “ on peut restreindre les droits, libertés et les garanties que par la loi, pour les motifs liés à la préservation de l’ordre public, de la sécurité et la protection des constantes nationales”. Ainsi, l’exercice des droits et libertés est lié aux obligations de la préservation de l’ordre public, la sécurité, et les constantes nationales fondées sur les dispositions de la religion musulmane, en premier lieu

Algérie54:     La nouvelle mouture contient plusieurs articles allant dans le sens de la promotion des libertés individuelles et collectives, Qu’en pensez-vous ?

Professeur Bendjillali:C’est vrai, le volet ayant été largement touché au niveau du projet de la révision de la constitution est celui des droits  fondamentaux et des libertés générales, ce qui est à notre sens évident puisque le projet vise à matérialiser le changement dans des textes de loi, après le Hirak populaire, qui exprimera des revendications politiques, et non uniquement des revendications socioéconomiques. Sur ce registre, on doit rappeler, que la constitution de l’Etat de droit, dans la doctrine constitutionnelle, est la constitution des droits et libertés

Algérie54:   Parmi les points contenus dans la nouvelle mouture, la séparation des pouvoirs et l’équilibre des pouvoirs, peut-t-on avoir plus d’explications ?

Professeur Bendjillali:Le projet de de la révision de la Constitution contient de nombreux changements ayant touché les articles spécifiques aux pouvoirs exécutif et législatif, et d’une manière radicale le pouvoir judiciaire. Premièrement, je dois souligner que la séparation des pouvoirs au niveau du projet de la révision de la constitution, stipule que le président de la république ne fait pas partie du pouvoir exécutif et si le gouvernement est responsable devant lui, c’est parce qu’il est censé appliquer son programme.

Ainsi, le président de la république, détient le pouvoir suprême, il est élu par le suffrage universel, de tout le peuple algérien, de toutes les wilayas du pays, il incarne la volonté du peuple, l’unité de la nation et sa volonté, protège la constitution et préserve l’unité nationale. Le pouvoir exécutif est représenté par le gouvernement, qui ne doit en aucun cas prédominer le parlement et la justice. Le projet de la révision de la Constitution a évincé le ministre de la justice, et le procureur général près la Cour Suprême, et le conservateur du Conseil d’Etat de figurer dans le Haut Conseil de la Magistrature, et a augmenté le nombre des magistrats accesseurs, alors que le parlement détient le pouvoir de légiférer, et le judiciaire le pouvoir de se prononcer dans les litiges.

Le projet de la révision de la Constitution n’est pas allé loin dans la réduction des prérogatives du président de la république, mais cette réduction a été consacrée relativement vis à vis du parlement et de la justice, allant dans le sens du renforcement de la séparation des pouvoirs. Le président de la république a supprimé le recours à la législation par ordonnance, durant la période vacante du parlement, et a maintenu le tiers présidentiel, dans le Conseil de la Nation. Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, le projet de la révision de la Constitution, de nombreuses dispositions ont été incluses pour le renforcement de l’indépendance de la justice, sachant que le président de la république demeure président du Haut Conseil de la Magistrature, notant que ses réunions seront présidées par le président de la Cour Suprême. Et ici, on doit démentir l’information selon laquelle le président de la Cour Suprême est dépendant du président de la république, conformément à l’article 181, alinéa2. A travers ce texte, le président de la république est tenu à prendre compte des avis du Haut Conseil de la Magistrature, en matière de désignation des fonctions judiciaires spécifiques, dont celle du président de la Cour Suprême.

Algérie54:   La commission Laraba, a-t-elle évalué les différentes constitutions du pays ?

Professeur Bendjillali: Je pense que le nombre des changements ayant touché les dispositions de la Constitution de 2016, est important, démontrant les efforts inlassables déployés par la commission de l’élaboration des propositions de la révision de la constitution, sans se référer à une constitution précise

Entretien réalisé par M.Mehdi

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