Bel-ɛarbiya

Soyons ħizb el-djazair !

 (suite et fin)

Revenons sur ce bilinguisme (arabe-darija) qui a permis à l’islamisation d’être reçue par la population locale en connaissance de cause. Cette pratique n’a pas disparu: la tendance à traduire en langue locale une citation du Coran, par exemple, est très courante. Même le fiqh a été traduit dans la langue locale comme cela fut le cas avec Sidi Lahouari d’Oran, au 14 ème siècle … et par écrit. La darija s’écrivait, bien entendu, d’autant plus qu’en adoptant l’alphabet arabe, nos ancêtres l’ont adapté aux nécessités locales. On a appelé ce mouvement celui du «Khatt al maghribi», style qui va trouver ses lettres de noblesse en Andalousie où il est adopté massivement. La langue maghribie était donc déjà présente à l’arrivée des Arabes et elle était majoritaire. Les variétés berbères s’étaient maintenues, elles aussi et tout converge pour attester de rapports de bons voisinages avec la langue arabe et la religion musulmane. 

Cette période qui va du VII è au XV è siècle – c’est-à-dire entre l’arrivée des premiers diffuseurs de l’islam et la conquête ottomane du territoire – est précieuse pour notre propos. En effet c’est durant ces premiers siècles d’islamisation que la langue commune qui s’impose est la darija. D’abord parce qu’elle est une évolution locale du punique (langue de la civilisation carthaginoise) qui va s’enrichir au contact de l’arabe. Cet enrichissement est continuel; jusqu’à présent, nous le constatons. Ce phénomène n’est pas curieux pour les linguistes qui ont décrit ces situations de contacts linguistiques dans le monde entier. Ensuite, cette langue qui adapte l’alphabet arabe, est aussi une langue de l’écrit – à une échelle moindre, certes. En troisième lieu, il faut noter que la darija est la langue, par excellence, où se forge et s’inscrit notre culture locale (ou nationale, de nos jours). Y compris les variétés berbères – très conservatrices et protectrices de leurs idiomes – partagent ce moyen de communication. Il suffirait de faire l’étude des contacts de langues entre la darija (ex-punique) et les variétés berbérophones (ex libyques) pour se convaincre que l’environnement culturel de base est identique. Hormis ces caractéristiques, il nous faut ajouter le fait que la culture locale est celle qui maintient/entretient nos valeurs spécifiques et identitaires; ce que la langue arabe ne peut, par définition, effectuer. D’ailleurs, les langues qui nous structurent et intègrent nos égos en culture, ce sont les langues maternelles ou natives. Et, on le sait l’arabe coranique n’a jamais été la langue maternelle de quiconque. Pas même en Arabie où les langues natives («dialectes») sont bien nombreuses.

Retenant cet arrière-plan historique et socio-culturel, posons-nous la question de savoir pourquoi, de nos jours, une grande résistance se dresse contre la reconnaissance officielle de la darija? On la dit sans règles de grammaire, or sa littérature millénaire est là pour témoigner du contraire. On la dit pauvre en vocabulaire, or la petite dizaine de dictionnaires qui en recensent le répertoire lexical réunissent des centaines de milliers de mots. Tout notre patrimoine identitaire y est inscrit : nos coutumes, nos mœurs, nos référents culturels, notre vision du monde, nos chants, nos proverbes, nos dictons, notre humour … Voilà tout ce qu’une langue préserve et pérennise. Jeter tout cela par dessus bord? Admettons que cela soit possible, avec quoi va-t-on combler le vide provoqué ? Pas la langue arabe puisqu’elle est non native et trans-nationale. Alors que nous reste-t-il? Tamazight ? C’est une norme en construction qui n’a pas un seul locuteur natif ! Le français ? Cela reste une possibilité qui enterrera la perspective de voir cette langue darija occuper la place institutionnelle qu’elle mérite. Par conséquent militer contre la darija, c’est imposer le français comme unique alternative … n’est-ce pas cela « hizb frança » ?

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