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Le FMI au secours de la Tunisie

Par Djeha

L’état dans lequel se trouve notre voisin le plus proche, avec lequel l’Algérie n’a pas seulement que des frontières communes, mais un passé, une amitié, voire une fraternité et surtout un destin commun, est très préoccupant.

Si ses problèmes n’étaient qu’économiques, ç’aurait été un moindre mal…

On sait ce que va coûter cette bouffée d’oxygène économiquement, socialement et politiquement à tous les pays auxquels le FMI apporte son aide pas seulement à notre Tunisie voisine. Les contreparties sont connues depuis longtemps et la facture insolvable :

– Cela commence par des Plans d’Ajustement Structurels aujourd’hui mieux connus sous le vocable « réformes structurelles »: privatisation, déréglementations, moins de fonctionnaires, moins de déficits budgétaires, moins de subventions, plus de chômage, liquidation des entreprises non rentables à CT… chute de la consommation intérieure et réduction des importations non utiles à la production orientée vers les exportations, excédents extérieurs sous pression des marchés mondiaux…

Tout cela signifie moins d’enseignants, moins de personnel de santé, moins services publics, plus d’inégalités… moins de sécurité sociale et de sécurité tout court, démantèlement des entreprises nationales, vendues par appartements ou purement simplement liquidées parce que l’objectif n’est pas de reprendre des entreprises, mais de prendre leur place sur le marché, non pas en produisant mais en vendant des produits fabriqués ailleurs…

– Sur le plan diplomatique: alignement systématique de ces pays sur la position de l’hyperpuissance à la tête d’une « Communauté internationale » réduite aux acquêts et, pour user du terme approprié, au service du « patron du monde libre ».

Quand on signe un pacte avec le FMI, on n’a plus de ministre de l’économie, du budget, des finances, des Affaires étrangères… en réalité plus de gouvernement au sens élémentaire du mot, mais seulement une armée de techniciens sous la conduite sourcilleuse des experts du FMI et de la Banque Mondiale qui s’installent aux manettes.

La vitrine est sauve (comme l’hymne national, le drapeau, le pantin qui fait office de président… comme dans les Républiques bananières qui forment l’essentielle des bouffons qui défilent à l’ONU). Si vous voulez des noms, il vous suffit de vous reporter à la liste des pays qui ont voté en Assemblée Générale le 13 octobre dernier en faveur de l’Ukraine.

Les exemples ne manquent pas. L’Argentine qui traîne le boulet du FMI depuis des décennies en est un. L’Algérie des années 1980-90 en est un autre.

Un jour de décembre, d’une décennie 1990 à ne jamais oublier, j’ai eu un échange avec un le ministre des finances algérien de l’époque m’a laissé pantois.

Je l’interroger sur les impacts de sa politique sur notre souveraineté que l’on risquait de perdre à mettre en oeuvre les PAS successifs qui nous étaient infligés.

J’avais oublié que l’Algérie n’avait plus de ministre de l’économie parce qu’elle n’avait plus d’économie du tout, sinon un bazar approximatif (qu’un certain Premier ministre aujourd’hui derrière les barreaux pour corruption, brandissait comme le summum de la lucidité et du « courage » politique).

Le ministre avec lequel je conversais courtoisement, n’était en réalité qu’un fonctionnaire tarifé doté d’un script concis et réduit à un rôle unique : se contenter de se conformer aux prescriptions du FMI décidées à Washington.

Les réserves de l’Algérie d’alors se mesuraient en nombre de jours d’importation.

Ce ministre me regarda bizarrement comme si débarquais de la planète Mars et me répondit comme on s’adresse à un demeuré (« loin des réalités nationales » comme le disent ceux qui s’imaginent en être plus proches) : « On ne perd que ce que l’on a ».

La souveraineté nationale n’était pas un concept qui entrait dans le champ des attributions d’un preneur d’ordres qui avait un dictionnaire comportant un nombre très limité de mots.

En fait, la souveraineté a cessé d’être un mot doté de sens pour nos gouvernants depuis la fin des années 1970 en passant par les Programmes anti-pénurie et le contre-choc…

Le ministre a découvert qu’il était pressé et me quitta aussitôt l’esprit ailleurs. J’ai compris que je n’étais plus un interlocuteur…

« Souveraineté » ? Comment pouvait- il en être question ?

Il n’avait pas complètement tort. Le retour aux réalités pour moi n’a pas consisté à découvrir la situation économique et sociale algérienne. Il fallait être aveugle pour ne pas la voir ne serait-ce qu’aux feux rouges avec des vieilles personnes pieds nus (dans ces années-là, ce n’étaient pas encore des réfugiés syriens ou sahéliens, pas très loin du square Port Saïd où s’échangent des kilos en devises sous la protection de la police) qui tendent la main et leur humiliation partagée par ceux qui donnent ou ne donnent pas la petite pièce.

Non, la réalité que je découvrais là c’est le vide du personnel politique qui hantait les couloirs des ministères et des institutions de mon pays. Sans compter les parasites bedonnants incultes qui les polluent.

« Souveraineté » ? Comment pouvait-on l’imaginer avec des ectoplasmes pareils ?

Des comme lui, j’en ai beaucoup rencontrés, dans les valises que trimbalent de nombreux ministres qui ânonnent un vocabulaire très restreint : « pragmatisme », « réalisme », « management », « efficacité », « productivité »… rejoints aujourd’hui par une flopée d’anglicismes qui pollue toute la francophonie en commençant par les Lutéciens toutes rives confondues.
Un ancien ministre complètement flou n’avait qu’un mot magique à la bouche : « storytelling » qu’il ressortait plusieurs fois de suite en chacune de ses interventions en réunion.

Je ne vous donnerais pas son nom par charité. Il n’est plus parmi nous. Laissons-le reposer… et converser à loisir avec ses asticots.

Beaucoup de pays dépendants sont parcourus par ces courants d’air qui ont tant coûté à leurs pays.

Y compris les pays que l’on range traditionnellement dans la catégorie « pays développés » ou « avancés » à la mode Giscard.

En effet, tous les pays sont désormais soumis aux PAS. Le Traité de Maastricht, confirmé par celui de Lisbonne et les Accords suivants, est une chape de plomb monétariste qui étouffe les économies et les soumet de manière violente à une financiarisation totale de l’économie mondiale.

Wall Street, le FMI, la Banque Mondiale, le Club de Londres, le Pentagone… (pilotés par les GAMAM, le complexe militaro-industriel, les fonds vautours et une multitude de banques voraces qui combinent sans les séparer les compartiments bancaires et financiers, recyclant en permanence l’épargne mondiale dans les opérations spéculatives sur les actifs immobiliers et boursiers) mettent la planète en coupe réglée.

Ils ont réussi à mettre à la tête des Etats-Unis et des pays de l’Union Européenne des lavettes via des mécanismes électifs qui renvoient toujours au pouvoir, quels que soient leurs partis, les mêmes pantins

Bush, Obama, Trump, Biden quelle différence ? Blair, Major, Johnson, Truss (que les marchés viennent d’éjecter du 10 Downing Street… quelle différence ? Mitterrand, Jospin, Sarkozy, Hollande, Macron… quelle différence ? …
« Eté comme hiver, c’est toujours l’hiver » sous le régime de la démocratie représentative.

La pauvre Tunisie fait figure de microbe face à ces machines redoutables.

Mais contrairement aux apparences, aux rapports de forces entre l’une et les autres, il suffit qu’un peuple aussi petit soit-il se grandisse à se lever et à résister pour que ces machines objectivement très puissantes reculent, elles qui ne gagnent et ne triomphent que par la menace.

Leurs forces réelles viennent de la faiblesse de leurs adversaires, impressionnés, battus d’avance dans leurs têtes, esclaves par conviction et par vocation.

Ne vous l’ai-je pas dit fréquemment ? C’est l’esclave qui fait le maître et non l’inverse.

Le Mali, le Burkina Faso, le Liban qui résiste à une abominable pression pour qu’il se couche (rappelez-vous l’ultimatum qui a fait chou blanc de Macron après l’explosion dans le port de Beyrouth!) après le Vietnam, Cuba, l’Algérie…

En Tunisie, les « 40 voleurs » qui ne sont pas partis avec Ben Ali sont toujours là et, avec l’aide des amis de M6 (emballé dans gandoura de luxe), défendent becs et ongles leurs intérêts.

Le peuple tunisien est un peuple instruit et politisé. Il ne se laissera pas faire.

Le martyr de Sidi Bouzid, symbole de leur lutte, est toujours là.

Il en coûtera à son peuple, c’est le tarif historique habituel, mais le FMI aura beaucoup de mal à soumettre la Tunisie.

Un article des Echos d’hier qui titre : « Le FMI accorde une bouffée d’oxygène à la Tunisie en crise »

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