Par Khider Mesloub
«Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver !» aimaient répéter certains dignitaires nazis, en référence à une réplique tirée d’une pièce de théâtre jouée le 20 avril 1933, à l’occasion de l’anniversaire d’Adolf Hitler, fraîchement hissé démocratiquement au pouvoir trois mois plus tôt. Aujourd’hui, avec la dégénérescence de l’art occidental contemporain, aucune arme de colère ne suffirait pour laisser exploser sa révolte contre la vacuité culturelle ambiante.
La culture occidentale est en pleine déconfiture, réduite à être vendue dans les supermarchés comme des pots de confiture, sous forme de reproduction gadgétisée pour public aliéné, pétri d’idéologie no future.
Au reste, les expositions d’art, dernier refuge d’un simulacre d’esthétique, du fait de la décadence de la culture bourgeoise occidentale, sont devenues incompréhensibles pour le commun des mortels. Ces temples du crétinisme artistique sont fréquentés uniquement par les initiés, cultivant un élitisme bourgeois féru d’hermétisme culturel et un entre-soi pétri d’arrogance intellectuelle.
L’art occidental contemporain est à l’image de la société capitaliste narcissique : il est fondé sur un nombrilisme où l’égocentrisme a été érigé en art de vivre, dans lequel la superficialité le dispute à l’artificialité, la créativité a cédé à la conformité.
Avec le nouvel esprit nihiliste du capitalisme occidental dominé par la production en série d’objets factices, en matière d’art tout objet insignifiant et fastidieux peut être métamorphosé en représentation artistique par la grâce de la propagande médiatique affidée, chargée de vendre la camelote idéologique bourgeoise sous emballage culturel.
De Paris à New York, en passant par Berlin et Londres, la banalité de l’art et la débilité culturelle s’exposent fièrement dans les galeries visitées par les classes opulentes crétinisées. Dans ces mégalopoles, tout se prête à exposition, surtout la bêtise culturelle, la médiocrité artistique. Les idéaux universels ont été délaissés au profit de modèles égocentriques, narcissiques, libertaires. L’égotisme est devenu la valeur refuge dans cet univers occidental aliénant ayant érigé les caprices individuels enfantins bourgeois en culture dominante. Le principe de réalité s’est effacé devant le principe de plaisir. La réalité artistique a été congédiée de l’univers culturel. Seules dominent les capricieuses fantaisies infantiles élevées au rang d’objet d’art. Même les avant-gardes artistiques se sont muées en arrière-garde culturelle, à la remorque de la vulgarité des arts «mercantilisés».
L’art n’exprime plus au travers de ses créations les engagements collectifs, mais se borne à valoriser le narcissisme ambiant par la mise en vente des égotistes productions d’artistes petits-bourgeois déconnectés de la réalité. Les conflits de classe et les projets universels émancipateurs ont été répudiés par les artistes occidentaux contemporains totalement intégrés par le capital.
L’art occidental contemporain ne produit plus d’utopies salutaires. Aussi, faute de transformer la société, se borne-t-il à transformer les objets de fabrication industrielle en œuvres d’art vendues à prix d’or aux collectionneurs richissimes, ces richissimes parasitaires qui préfèrent investir dans la vacuité culturelle que dans la production industrielle. Conséquence ? L’accélération du processus du déclassement économique des pays occidentaux.
Dans cette civilisation consumériste occidentale de pacotilles où tout peut être recyclé, tout produit fabriqué par la polluante industrie capitaliste peut connaître désormais une nouvelle vie sous la factice opération commerciale artistique propulsé par les mandarins de la culture mercantile. Boîte de conserve, bouteille de Coca-Cola, bidet, urinoir, tout produit peut se transmuer en œuvre d’art monnayable sur le marché.
Ainsi, les déchets et déjections du capital et de la société de consommation se sont mués en uniques sources d’inspiration pour les artistes occidentaux contemporains décadents, contaminés par la médiocrité intellectuelle de cette société marchande en pleine putréfaction.
Aujourd’hui, l’art occidental verse dans l’autosatisfaction, la vulgarité généralisée. La quête de l’originalité esthétique a été bannie, et la stérilité artistique bénie. Enfant bâtard d’un capitalisme libertaire débridé, l’art occidental contemporain valorise outrancièrement l’exhibitionnisme et la pornographie culturelle. De même, produit d’une société capitaliste vulgaire, il exalte le scatologique et le morbide. Délivré de toute entrave morale, il manifeste un penchant sadique pour la provocation culturelle et la dépravation esthétique.
En outre, l’art occidental contemporain, soumis à la logique du capitalisme libéral, cultive le culte de la subjectivité, expression d’une vacuité culturelle destinée à la bourgeoisie décadente. De nos jours, les galeries d’art servent uniquement à exhiber des objets dénués de toute créativité artistique. Elles permettent surtout de se ménager un espace artificiel culturel où se côtoient les élites bourgeoises cultivées en déshérence artistique. C’est le lieu de l’entre-soi culturel par excellence, lieu élitiste dans lequel la fine fleur des nantis médiocres érige des codes «artistiques» abscons, incompréhensibles pour le peuple laborieux, exclu des mondanités artistiques, de la culture dominante élitiste.
Par sa marchandisation effrénée, l’art occidental contemporain est devenu un énorme marché offrant des produits culturels factices destinés exclusivement à la bourgeoisie parasitaire oisive en quête de blanchiment de son argent salement extrait de l’exploitation des travailleurs et de ses opérations boursières toxiques. De là s’explique la médiocrité des artistes œuvrant pour la satisfaction capricieuse de cette classe bourgeoise occidentale aux goûts culturels frelatés, aux connaissances esthétiques avariées.
Désormais, la frange parasitaire artistique partage les mêmes conceptions bourgeoises médiocres de la culture. Qui plus est, grâce aux revenus qu’elle tire des commandes de la bourgeoisie, cette coterie artistique partage également le même mode de vie privilégié. La coterie artistique et sa clientèle bourgeoise ont les mêmes intérêts : la confrérie vénale artistique ne peut donc subvertir un ordre social qui la valorise, se rebeller contre le système qui la nourrit.
Quand bien même certains artistes cultivent un art rebelle, leur rébellion demeure toujours superficielle, purement esthétique, jamais politique ni sociale. Ils refaçonnent les mêmes objets culturels, mais ils sont incapables de façonner une nouvelle réalité illustrée par et dans une œuvre révolutionnaire.
Depuis plus d’un siècle, les artistes occidentaux se sont fondus dans le monde aliénant capitaliste, dilués dans le consumérisme, noyés dans le conformisme. Plus aucune créativité révolutionnaire ne peut sourdre de l’art occidental contemporain corrompu, sourd à l’art de vie populaire.
Pour mieux illustrer la crise de l’art, la décrépitude de l’art occidental, il suffit de porter son regard sur la corporation des peintres : cette coterie où le figuratif artistique a cédé devant la figure de l’artiste.
Car, en matière picturale, l’esthétique s’est transplantée de l’œuvre à son auteur. On n’admire plus un tableau pour sa beauté esthétique mais pour la provocante originalité de son médiatique auteur propulsé au sommet de la célébrité par l’autre vénale confrérie reconnue pour ses performantes productions propagandistes, la congrégation des médias œuvrant servilement au service des puissants, ces concepteurs de l’idéologie dominante faisandée.
De tous les temps, tant que les artistes réalisaient des œuvres visant à reproduire et à représenter le réel de manière identifiable par tous, c’était par l’œuvre qu’était jugé l’artiste. Aujourd’hui, depuis l’efflorescence de la décadence de l’art, sous couvert de modernisation de l’art cristallisé par les multiples écoles ésotériques picturales comme l’impressionnisme, le symbolisme, l’abstrait, c’est par l’artiste qu’est jaugée et jugée l’œuvre.
Durant des milliers d’années, les peintres, quels que soient leur «école» et leur pays, œuvraient à rendre le plus reconnaissable et le mieux peint possible l’univers de la réalité. L’œuvre d’art était une image du réel ou du vraisemblable reconnaissable par tous, une représentation du monde transfigurée par l’œil et la main experte de l’artiste. Les sujets étaient inspirés du monde réel, perceptible et identifiable par tout le monde : scènes de la vie courante, portraits, paysages, natures mortes.
Puis, à la faveur de la décadence du capitalisme occidental, les artistes seront happés par le crétinisme esthétique, sombreront dans la médiocrité artistique.
Quoi qu’il en soit, si naguère l’artiste était jugé sur la qualité de ses œuvres, la modernité décadente artistique a bouleversé cet ordonnancement de l’art. De nos jours, hissé au rang de dieu en raison de son supposé génie, l’artiste brille plus que ses œuvres. Ce ne sont pas ses tableaux qu’admire et vénère le public bourgeois bouffi de suffisance, mais sa personne incarnée par ses tableaux. Avec l’art occidental contemporain, «il ne subsiste plus rien de l’art sinon l’artiste».
Pour paraphraser la célèbre formule de Louis XIV déclarant que «l’Etat, c’est moi», le peintre occidental contemporain peut s’écrier : l’Art, c’est moi. Autrement dit, en Occident, ce qu’on désigne par art, c’est l’artiste. C’est Le point de mire de l’art. Aujourd’hui, l’art occidental moderne décadent se réduit au culte de la personnalité, à la déification de l’artiste.
Au reste, n’est-il pas surprenant que l’art nihiliste contemporain, dépourvu de quelque substance artistique, entretienne avec le monde financier des liaisons dangereuses. Dans cette période de crise économique systémique de l’Occident, porté uniquement par des valeurs financières, l’art est devenu un produit financier dérivé «sécurisé» et haut de gamme, à la cote constamment en hausse. D’aucuns parlent de «Financial Art».
En Occident, n’importe quoi peut devenir de l’art. Selon la célèbre formule de Marcel Duchamp : «Est de l’art ce que l’artiste déclare tel.» Sous l’instigation d’Andy Warhol, l’art est devenu un simple produit marketing fabriqué en série, adapté à la société de consommation mondialisée.
L’art occidental contemporain n’éprouve même plus le besoin de justifier la qualité de l’acte créatif. Sa qualité se définit uniquement par sa cote et la coterie des galeristes, experts et collectionneurs. Et, par le «buzz marketing». Par la provocation pornographique. Par le scandale médiatique. Comme le soulignait un critique, en Occident «l’art contemporain procède par choc, par transgression, par sidération, par intimidation».
L’art occidental contemporain ne crée plus, il se contente de détourner et de déconstruire ce qui existe. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit dépourvu de vertu et de virtuosité. Quiconque peut s’autoproclamer artiste, se targuer de créer des œuvres.
Ainsi, en Occident l’art n’existe que sous la forme de concepts anodins et de formes répugnantes. L’art conceptuel a été favorisé pour son caractère sériel, reproductible. De nos jours, les œuvres sont devenues sérielles, des produits estampillés artistiques destinés à être fabriqués en quantité industrielle et sous formats variés, adaptés à tous les budgets
Sous le capitalisme occidental décadent domine uniquement la création du superflu : la production des armes et des produits de luxe. Le Luxe est le premier secteur des exportations françaises, sans oublier les armements.
«La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire.» «Le luxe absorbe tout : on le blâme, mais il faut l’imiter et le superflu finit par priver du nécessaire», a écrit Pierre Choderols de Laclos. Telle est la réalité de l’Occident saturé de superficialité ; dépourvu du nécessaire : d’humanité créative et de création humaine. Notamment en matière de créativité artistique.
Khider MESLOUB