A la une, Mondactu

Conflit en Ukraine et Enjeux de puissance (5ème Partie et Fin)

Par Dr. SACI

3/- Les scénarii probables : 

Le conflit ukrainien n’est pas un comme les autres, mais un conflit mondialisé et complexe avec des implications géopolitiques. La situation n’est pas facile et toutes les tentatives pour l’instauration d’une paix entre la Russie et l’Ukraine pourraient connaitre un retournement ou une escalade sauf événement ou surprise stratégique qui obligerait les belligérants et co-belligérants à trouver une voie de sortie honorable.

Il est difficile de prévoir avec certitude l’issue du conflit, mais des scénarii probables existent quant à l’évolution de la situation, comme :

  1. Soit des négociations fondées sur une solution comportant la neutralité et la démilitarisation de l’Ukraine, le non élargissement de de l’Otan à ce pays et la reconnaissance de l’annexion de la Crimée et des quatre oblasts par la Russie. Cette solution ne peut être facilement acceptée par les Etats-Unis et l’Ukraine car cela implique une victoire de la Russie et une défaite civilisationnelle pour l’Occident. Et comme la question de l’Ukraine et liée à la situation interne aux Etats-Unis et d’autre pays surtout à l’approche des élections législatives et présidentielles -2023 et 2024-, l’acceptation de ce scénario est considérée comme capitulation. Ceci dit que ce scénario est le moins probable, voire à exclure.
  2. Le scénario le moins probable aussi et qui est difficile à admettre, désigné de scénario cauchemar, c’est celui de la défaite de la Russie qui risque de nous faire tomber dans un hiver nucléaire. Il reste presque exclu car, aucune des deux puissances nucléaires, la Russie et les Etats-Unis, ne veulent que cela arrive. Déjà, l’ancien président russe et actuel vice-président du Vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, avait prévenu, en janvier 2023, les membres de l’OTAN qu’une éventuelle défaite russe en Ukraine pourrait déclencher une guerre nucléaire.[1] Toutefois, le recourt à l’arme nucléaire semble être résolu depuis la rencontre entre le directeur de la CIA, Williams Burns, et son homologue des Services de renseignement extérieur russes (SVR) lors de la rencontre d’Ankara du 14 novembre 2023.[2]
  3. La proposition d’une partie de l’Ukraine pour mettre fin à la guerre : Cette offre a été présentée par :

– Kissinger avait avancé en mai 2022, lors du Forum de Davos, que « l’Ukraine devrait céder une partie de son territoire à la Russie »[3] et de revenir au « statu quo ante »[4] en faisant référence au rétablissement d’une situation dans laquelle la Russie contrôlait officiellement la Crimée et officieusement les deux régions orientales de l’Ukraine, Luhansk et Donetsk. Mais cette proposition serait refusée par la Russie qui entend se conformer au statu quo actuel et à celui de la fin de l’opération militaire spéciale : à savoir l’annexion pure et simple des territoires des 4 oblasts annexés par la Russie.

Un partisan de l’approche realpolitik, appelé le vieux renard, Kissinger refuse de porter le conflit à Poutine seul et considère que les promesses faites à l’Ukraine, en 2008, pour son intégration au sein de l’Otan « était par nature déstabilisante ».[5]

Il est revenu pour appeler à des négociations de paix pour dit-il « réduire le risque d’une nouvelle guerre mondiale dévastatrice »[6] ; tout en estimant qu’une défaite de la Russie est impossible.

Pour lui, la Russie ne lâchera pas Sébastopol et l’accès à la Mer Noire, en ajoutant que « la mission principale des puissances aujourd’hui est de terminer cette guerre sans en déclencher une autre.»[7]

– Une offre de 20 % de l’Ukraine pour mettre fin à la guerre : Selon le site américain Nesweek.com qui cite le journal suisse-allemand Neue Zürcher Zeitung (NZZ), Joe Biden aurait offert à Vladimir Poutine 20 % de l’Ukraine pour mettre fin à la guerre.[8]

Selon ce site, le directeur de la CIA, William Burns, se serait rendu secrètement à Moscou et à Kiev en janvier 2023 pour présenter ce plan de paix à Poutine et Zelensky, que les deux auraient rejeté. Ce site rapporte également aussi que, selon un responsable de la CIA, cette proposition est « complètement fausse. »

  1. Soit par ce qu’on appelle « paix des braves ». Zelensky est poussé par ses pourvoyeurs occidentaux en armement et en renseignement à faire une dernière démonstration de force ou une dernière bravade pour arriver à cette forme de paix, mais avec un Zelensky dégradé ou sans lui surtout s’il perde la contre-offensive de juin 2023, sachant que beaucoup d’unités d’élites envoyées à Bakhmout ont été broyées par la guerre d’attrition imposée par la Russie et que l’armée ukrainienne compte actuellement entre 300 000 ou 400 000, dont 40 à 50 milles hommes sont consacrés pour la contre-offensive que l’Ukraine mène contre la Russie, comme le souligne, l’ancien colonel-major des Services de renseignement suisses, Jacques Baud.[9]

Avec la contre-offensive lancée le 6 juin 2023 et les pertes enregistrées en trois jours dans les rangs de forces ukrainiennes évaluées à 1%,[10] soit 10% des forces stationnées au front, en plus de la mutinerie de certaines unités qui craignent d’être la chair à canon,[11] les autorités ont compris qu’une défaite des troupes russes est difficilement imaginables surtout si les pertes humaines continuent à enregistrer une hausse. C’est dans le cadre d’une solution, suite au problème des pertes dans les rangs de l’armée ukrainienne, que le ministre de la défense ukrainien a, après la visite de Zelensky à Kherson le 8 juin 2023, manifesté le désir de son pays de signer un accord de paix avec la Russie.[12] Est-ce un pas vers la « Paix des Braves » ou une forme de diversion ?

Mais est-ce que cette « paix des braves » ou reddition honorable sera acceptée par :

  • Les groupes ultranationalistes comme les bataillons Azov[13], Pravy Sektor (Secteur Droit)[14] et d’autres ultranationalistes des pays d’Europe de l’Est et groupes qui se trouvent en Ukraine.[15] Si la situation l’exige ces groupes ultranationalistes ou légionnaires doivent s’exécuter.
  • La Russie qui, pour l’heure, entend atteindre les objectifs de l’opération militaire, celui de conquérir les territoires restant des 4 oblats annexés, et pourquoi pas occuper Odessa afin d’enclaver l’Ukraine et de se permettre un passage vers la Transnistrie.

Outre cela, et que ce soit pour ce scénario ou celui d’une solution diplomatique, Zelensky a ajouté de l’huile dans le feu en :

  • Signant, le 04 octobre 2022, un décret promulguant une décision du Conseil national de sécurité et de défense (NSDC) qui interdit toute négociation avec son homologue russe, Poutine.[16] Au vu de ce décret, on dirait qu’il est mandaté d’une mission précise, et des coïncidences de cette nature ne se produisent pas spontanément comme le souligne Alastair Crooke, un ancien cadre des Services britanniques, le MI6.[17]
  • Déclarant que « Sans le retrait immédiat des troupes et du personnel russes de la centrale nucléaire et des territoires adjacents, toute initiative visant à restaurer la sûreté et la sécurité nucléaire est vouée à l’échec »,[18] alors que Poutine considère Zaporojie un territoire russe depuis son annexion.[19]

Ce scénario dépendra tout simplement de l’évolution de la situation interne en Russie et en Ukraine, de la situation au front et de l’état des forces armées des belligérants et co-belligérants – épuisement main-power et matériel ou non -.

  1. Soit la coréanisation du conflit ukrainien qui ne sera pas un accord de paix, mais une trêve, un cessez-le-feu et un gel du conflit avec la fixation d’une ligne de démarcation qui servira de frontières entre la Russie et l’Ukraine : La situation de guerre en Ukraine rappelle celle de la Corée de 1950 à 1953. Si les deux parties en conflit sont loin de se diriger vers une solution rapide du conflit en raison des divergences irréconciliables[20] liées au durcissement des positions et aux pressions des commanditaires, on va se trouver avec le même scenario de la Corée qui reste la seule clé de la paix en Ukraine et qui est le plus rationnel, le plus probable et le plus acceptable par les pourvoyeurs de l’Ukraine en armement.

Ce scénario a été mis en avant par plusieurs parties, dont l’ancien conseiller de Zelenski pour les questions de communications stratégiques dans le domaine de la sécurité nationale et de l’armement[21], Oleksiy Arestovych. A moins de 20 jours de sa démission en janvier 2023, il avait fait la promotion de la « solution des deux Corées » ; en d’autres termes une partition de facto de l’épisode ukrainien.[22] Arestovytch est un blogueur, acteur, journaliste politique, officier des Services de renseignement ukrainien puis de l’armée, chroniqueur de médiats en ligne ukrainiens et une des personnalités politico-médiatiques les plus influentes d’Ukraine sur sa Chaine Youtube – Latynina.tv – qui est  suivie par 1,7 million d’internautes.[23]

Il est la seule personnalité ukrainienne ayant quitté les rouages étatiques tout en continuant à faire des déclarations parfois contraires aux versions officielles jusqu’à dire que « l’Ukraine a très peu de chances de gagner la guerre » et que ce conflit pourrait devenir « un désastre pour son pays. »[24]

Cette idée a été aussi soulevée par certains responsables ukrainiens comme le chef du Renseignement militaire ukrainien (SBU), Kyrylo Boudanov,[25] et le Secrétaire du Conseil de sécurité et de défense ukrainien ((NSDC), Oleksiy Danilov,[26] qui précisent qu’elle émane de la partie russe qui veut leur imposer une ligne de séparation au niveau du fleuve D’niepr dans sa partie Nord, symboliquement une sorte de « 38ème parallèle » qui sépare les deux Corées. Mais, pour cela, les russes doivent au moins arriver au Fleuve D’niepr et défaire les troupes ukrainiennes.

Enfin, si pour le moment aucun scénario de détente géopolitique n’est envisageable et quel que soit la solution, le scénario de la partition de l’Ukraine reste le plus en vue. En d’autres termes, un des trois derniers scénarii desquels la Russie sortira avec un gain territorial.

Ces scénarii ne sont pas exhaustifs et d’autres développement pourraient également survenir. La résolution du conflit en Ukraine dépendra certainement de l’implication des acteurs internationaux, de la dynamique des évènements sur le terrain et de la volonté des parties concernées de parvenir à un accord.

Enfin, il y a quelque chose qui bouge dans la direction d’un des scénarii. Si auparavant, l’Ukraine et ses dirigeants étaient innocentés de toutes les actions contre la Russie et ses intérêts, cette fois-ci et non pas loin, des informations relayées font état des frictions entre Zelensky et son chef d’Etat-major Valeri Zaloujni,[27] et d’une déviance de la part de Zelensky et de son équipe en ce qui concerne :

  • Le sabotage des gazoducs Nord Stream : Alors qu’au début les occidentaux ont soupçonné le service de renseignement militaire russe (GRU) ou les forces spéciales russes (Spetsnaz) d’être derrière le sabotage des gazoducs Nord Stream I et II le 26 septembre 2022,[28] d’autres récits sont venus infirmer cela. Après la mise en cause des autorités américaines par le journaliste emblématique et de référence américain, Seymour Hersh,[29] une autre version est relayée en juin 2023 accusant Kiev d’être derrière ce sabotage.[30]

Quelle que soit la partie à l’origine de ce sabotage, il est considéré par certains spécialistes comme un acte de guerre contre la Russie et l’Europe.[31]

  • Le Sabotage du Barrage hydroélectrique de Kakhovka[32]
  • Le Sabotage du pipeline d’ammoniaque russe passant par l’Ukraine[33]

Si les belligérants s’accusent mutuellement d’avoir été à l’origine des sabotages, quel crédit peut-on accorder à ces parties si l’auteur contre le Nord Stream est désigné par la presse américaine.

Outre ce qui précède, les décisions qui seront prises au sommet de l’Otan à Vilnius en juillet 2023 seront plus explicites si on se dirige vers la paix ou l’escalade. S’il y a une opposition de certains pays de l’Otan à l’adhésion de l’Ukraine, d’autres par contre, qui sont pour l’intégration de Kiev, seraient tentés pour une autre option à savoir l’envoi de troupes en Ukraine, prétextant cela par l’article 51 de la Charte des Nations-Unies.[34] Parmi ces pays, on peut trouver des pays de l’Intermarium[35] et ceux qui ont déjà entravé tout processus de règlement du conflit entre l’Ukraine et la Russie au début du conflit.

Pour conclure, je tiens à préciser, encore une autre fois, que je ne me positionne pas en tant que prorusse ou anti-ukrainien qui approuve des mensonges, mais en une personne qui rejette toute sélectivité et les deux poids, deux mesures.

 

[1] https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/ukraine-dmitri-medvedev-avertit-l-otan-qu-une-defaite-russe-peut-declencher-une-guerre-nucleaire_AN-202301190594.html

[2] https://www.aubedigitale.com/les-chefs-de-la-cia-et-des-services-de-renseignement-russes-se-rencontrent-en-turquie-pour-discuter-des-tensions-nucleaires/

[3] https://www.eurotopics.net/fr/282075/diplomatie-de-la-guerre-que-penser-de-la-proposition-de-kissinger

[4] https://www.washingtonpost.com/world/2022/05/24/henry-kissinger-ukraine-russia-territory-davos/

[5] https://www.blick.ch/fr/news/monde/pour-mieux-controler-kiev-le-reve-de-kissinger-pour-ses-100-ans-vite-lukraine-dans-lotan-id18611462.html

[6] https://www.challenges.fr/monde/le-temps-est-venu-de-negocier-la-paix-en-ukraine-dit-kissinger_839454

[7] [7] https://www.blick.ch/fr/news/monde/pour-mieux-controler-kiev-le-reve-de-kissinger-pour-ses-100-ans-vite-lukraine-dans-lotan-id18611462.html

[8] https://www.newsweek.com/joe-biden-vladimir-putin-ukraine-territory-end-war-nzz-report-1778526

[9] https://www.youtube.com/watch?v=60PGUhk85fc

[10] https://avia-pro.fr/news/za-tri-dnya-nastupleniya-vsu-poteryali-1-svoih-sil-tak-i-ne-dobivshis-uspehov

[11] https://www.youtube.com/watch?v=j0iEe0nfWAo&t=702s

[12] https://www.youtube.com/watch?v=QtmYjBL4FNk

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/Régiment_Azov

[14] https://fr.wikipedia.org/wiki/Secteur_droit

[15] https://algerie54.dz/2022/05/23/legion-et-mercenariat/

[16] https://www.aa.com.tr/fr/monde/zelensky-signe-un-d%C3%A9cret-rejetant-toute-n%C3%A9gociation-avec-poutine-/2702263

[17] https://english.almayadeen.net/articles/analysis/approaching-the-geo-strategic-countdown

[18] https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4029738-20230327-guerre-ukraine-direct-kiev-veut-reunion-urgence-conseil-securite-onu-chantage-nucleaire-russe

[19] https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4029738-20230327-guerre-ukraine-direct-kiev-veut-reunion-urgence-conseil-securite-onu-chantage-nucleaire-russe

[20] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/et-si-la-guerre-en-ukraine-finissait-comme-la-guerre-de-coree

[21] https://www.pravda.com.ua/rus/news/2020/12/1/7275526/

[22] https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/02/08/arestovytch-evoque-la-solution-des-deux-corees-par-modeste-schwartz/

[23] https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-qui-est-cet-influent-conseiller-de-volodymyr-zelensky-qui-vient-de-demissionner-62aea5d8-969f-11ed-a0e2-3c14145668d8

[24] Oleksiy Arestovytch, le conseiller démissionnaire de Zelensky qui prédit « un désastre pour son pays » – Jeune Nation (jeune-nation.com)

[25] https://www.geo.fr/geopolitique/une-partition-de-lukraine-a-la-coreenne-une-finalite-pour-la-russie-213278

[26] https://euromaidanpress.com/2023/01/08/russia-wants-to-impose-korean-scenario-of-division-on-ukraine-ukraine-nsdc-secretary-danilov/

[27] https://www.watson.ch/fr/international/ukraine/175326987-zelensky-est-en-conflit-avec-son-commandant-en-chef-zaloujny

[28] https://www.watson.ch/fr/international/guerre/919843884-nord-stream-les-russes-auraient-ils-pu-saboter-le-pipeline

[29] https://seymourhersh.substack.com/p/how-america-took-out-the-nord-stream

[30]  https://www.washingtonpost.com/national-security/2023/06/06/nord-stream-pipeline-explosion-ukraine-russia/

[31] https://cf2r.org/tribune/sabotage-de-nord-stream-un-acte-de-guerre-contre-la-russie-et-leurope-dans-linteret-de-washington-et-de-linitiative-des-trois-mers/

[32] https://www.bbc.com/afrique/monde-65834064

[33] https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-ukraine-russie-kiev-et-moscou-s-accusent-mutuellement-de-l-explosion-d-un-pipeline-d-ammoniac-dans-la-region-de-kharkiv-2259606.html

[34] https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/chapter-7

[35] https://algerie54.dz/2023/06/12/conflit-en-ukraine-et-enjeux-de-puissance-4eme-partie/

Partager cet article sur :

publicité

Dessin de la semaine

Articles similaires