Contribution, Culture

L’écriture doit sentir l’effluve misérable révoltant de nos chaumières

L’écriture doit sentir l’effluve misérable révoltant de nos chaumières

Par Khider Mesloub

Assurément, l’exercice d’écriture est politique. « L’écriture est la continuation de la politique par d’autres moyens », notait l’écrivain Philippe Sollers. 

Pour sa part, le philosophe Gilles Deleuze  a écrit que « Le but de l’écriture, c’est de porter la vie à l’état d’une puissance non personnelle ». Autrement dit, on n’écrit pour soi mais pour autrui. 

L’écriture est la seule activité où elle s’exerce pour enrichir intellectuellement l’autre, où elle s’applique à élever l’âme de son prochain : le lecteur. 

Une véritable connivence intellectuelle s’instaure entre le scripteur et son lecteur. Une authentique convergence spirituelle rassemble ces deux êtres complémentaires. Cette complicité intellectuelle se crée grâce au choix des termes employés, comme à la sélection des thèmes déployés.    

Un écrit doit être un arc-en-ciel textuel. Toutes les couleurs de la vie doivent s’imprimer dans chaque texte. Chaque texte doit se colorer de toutes les palettes stylistiques littéraires. 

Un texte doit avoir les mêmes vertus que l’acte d’amour : il doit se partager à deux, procurer la même jouissance au scripteur et au lecteur. Faute de quoi, l’écriture se réduit à un simple onanisme intellectuel, une masturbation scripturale. 

La lecture est l’apothéose de l’écriture. Le lecteur est le point d’orgue de la prose. Quand on décide de coucher sur écran un texte, l’allégresse doit se lire sur sa figure rédactionnelle stylisée. La béatitude envelopper son message. La ferveur subversive emporter l’adhésion du lecteur, enflammer sa fibre rebelle, galvaniser son esprit insurrectionnel. Le texte doit surtout s’inscrire dans notre contexte. Respirer l’air intellectuel de notre contemporanéité. Refléter l’atmosphère culturelle de la modernité. Traduire les préoccupations et afflictions de notre époque. Dévoiler les contradictions et clivages sociaux de notre temps. Exprimer la révolte des humbles. Incarner leurs espérances. Personnifier leurs souffrances. Matérialiser leurs revendications. Réverbérer leurs lumières palies par leur mise à l’ombre. Démystifier leur aliénation. 

Le texte doit sentir l’effluve misérable révoltant de nos chaumières prolétariennes, et non pas l’arôme fastueux indécent des palais bourgeois.  

Chaque phrase doit chanter l’hymne de la joie au sein d’un texte de révolte. Chaque révolte doit être portée par des phrases chantant l’hymne à la joie. 

Les révoltes du désespoir s’accomplissent souvent avec des intonations funèbres dans la bouche et des tonalités vindicatives sous leur plume. Pas étonnant qu’elles succombent vite aux instincts meurtriers sacrificateurs. Et finissent par périr faute d’enchantements humains salvateurs. 

Ces révoltes avortées ont manqué de souffle de vie. De poésie révolutionnaire. D’amour de la vie. Le langage de la mort a linceulé leurs discours. 

Leurs discours incendiaires mortuaires ont immolé leurs espérances d’émancipation, consumées à force d’être embrassées par le feu de l’action stérile politiquement dissolvante. Ces révoltes ont raté le rendez-vous avec le langage politique, l’engagement poétique. 

L’inspiration subversive libératrice ne se résigne jamais à puiser ses ressources de la vox populi, ni ne s’appuie sur les directives de la pensée dominante. L’homme révolté renouant avec sa poésie subversive n’a nul besoin de glossaire politique académique.  

Dès lors que l’hystérie collective nihiliste supplante la colère lucide politique, elle octroie aux gouvernants la légitimité d’actionner la machine répressive, d’employer la violence meurtrière. Ne transformons pas l’insurrection émancipatrice en guerre civile. Elle ne servira que les puissants. « L’ordre a toujours eu besoin de s’affirmer en fomentant le désordre ». 

Lorsque l’espoir d’un monde meilleur piétine au ras du sol, l’abomination se hisse au sommet du pouvoir qui écrase sans vergogne la société de sa gouvernance despotique. Élevons l’espoir d’un monde meilleur au sommet de la militance émancipatrice pour mieux descendre de son piédestal la gouvernance tyrannique et prévaricatrice.  

La révolte doit être une force de contestation explosive, non une farce de protestation implosive. Bakounine, anarchiste russe, a déclaré : « Le désir de la destruction est en même temps un désir créateur ». La majorité des révoltes semblent s’arrêter à mi-chemin de cette leçon de subversion. Elles se contentent de détruire (faute d’esprit de création poétique ou d’esprit politique créatif ?). 

La révolte est un récit politique porté par un discours poétique. Les surréalistes prônaient la révolution de la poésie mais aussi la poésie dans la révolution. Entre poésie et révolution : la poésie au service de la révolution ; la révolution au service de la poésie. La révolte par la poésie s’inscrit dans une démarche révolutionnaire. Faute de poésie révolutionnaire la charge subversive de la révolte est désamorcée, amortie par le pouvoir établi. La révolte salutaire doit s’écrire avec le langage de la vie, pour enfanter la langue universelle de la révolution triomphante. Portée par les poétiques révolutionnaires mots, la révolution est assurée de triompher de la société responsable de nos maux.  

La révolte doit éviter de focaliser son énergique contestation sur les gouvernants dont les têtes sont déboulonnables et interchangeables. Elle doit axer son combat contre le système capitaliste. Ce ne sont pas les scélérats politiciens et dirigeants qu’il faut éjecter, éliminer du paysage social ravagé par leurs politiques antisociales et leur gouvernance despotique, mais le système mafieux et belliqueux qui les produit, autrement dit le mode de production capitaliste qui les reproduits. Comme l’a écrit le situationniste Raoul Vaneigem, « construire un nouveau monde invite à inventer de nouveaux modes de subversion ». 

Nul doute, dans notre société mercantile développée où l’intelligence se vend et s’achète systématiquement, dans le cas du plumitif organique, la posture de l’intellectuel neutre et objectif est souvent une imposture. Avec le plumitif de service, le journaliste, l’écrivain, la culture élitaire suinte de tous leurs pores la prose bourgeoise, la pose aristocratique. L’aridité de leur style reflète la sécheresse de leur âme vénale. La sécheresse de leur âme dévoile l’avidité de leur style de vie mercantile. Ces esclaves de la plume ne se rebiffent qu’avec l’assentiment de leurs maîtres, qui leur dictent leurs mots d’ordre, leur lexique ordonné. 

Toute société divisée et hiérarchisée, coupée en deux classes antagoniques, est nécessairement idéaliste : l’élite éclairée dicte les normes et la « masse brute » doit les subir sans discussion. 

À notre époque vénale dominée par le capital, les penseurs contemporains sont contraints à la médiocrité ou au silence. Quand il adopte la première option, avec un sens courtisanesque et vil, souvent l’intellectuel organique débite servilement en public ce qu’il a ingurgité débilement dans le huis-clos de sa classe scolaire et au sein de sa catégorie sociale privilégiée. Paré d’un savoir vénal étranger à l’école de la vie, son discours exhale les relents putrides de sa caste intellectuelle, de sa classe bourgeoise pestilentielle.

Dans cette société de la division entre travail intellectuel et travail manuel, la plume de l’intellectuel organique, il l’exerce à nous déplumer de notre avidité de justice sociale, de notre aspiration à la dignité, il l’occupe à tresser des couronnes rhétoriques à ses maîtres pour perpétuer notre aliénation, justifier et légitimer notre servitude. Trempée dans l’encrier religieux ou républicain, libéral ou gauchiste, sa plume s’apparente à des prédications des religions de la résignation. Son savoir officiel, puisé dans le temple de la connaissance sanctifiée par la doxa étatique garante de la culture statique, ne risque pas d’enflammer les esprits assoiffés d’irruptions politiques, affamés de tremblements sismiques sociaux, impatients de transformations économiques, avides d’égalité sociale, amoureux impénitents de l’émancipation humaine opprimée. 

Les écrits de l’intellectuel organique ne risquent pas d’enthousiasmer la foule lettrée précarisée, d’enchanter leur imagination bridée par les pouvoirs établis, réduite au silence par les classes possédantes détentrices exclusives des instruments médiatiques et culturels.  

Aujourd’hui, à l’ère du déclin de la société capitaliste gouvernée par des ploutocrates gangrenés par la décrépitude physique et la sénescence mentale, l’intelligence radicale et l’inventivité politique siègentdans le cerveau des nouveaux prolétaires scolarisés, diplômés, épris de liberté, assoiffés de justice sociale, porteurs d’idéaux universels, de projets émancipateurs.    

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