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Victor Hugo, artisan intellectuel de la bourgeoisie française, partisan perpétuel du colonialisme

Par Khider Mesloub

Quoique contemporain de la conquête de l’Algérie et de l’extension incessante de l’empire colonial de la France, Victor Hugo ne consacre spécifiquement aucune œuvre, ni aucun article à la colonisation. Excepté dans ses carnets où il affiche son soutien indéfectible à l’entreprise de colonisation de l’Algérie.

En effet, comme le souligne Franck Laurent dans ouvrage intitulé Victor Hugo face à la conquête de l´Algérie : « Hugo, pair de France de 1845 à 1848, représentant du peuple de 1848 à 1851, opposant actif, tenace et prestigieux à l´Empire de Louis Bonaparte, député en 1871, sénateur de 1876 à sa mort en 1885, Hugo auteur de plus d´un millier de pages d´interventions politiques, n´a pas consacré un seul de ses discours ou de ses articles à la question algérienne ».

Victor Hugo, au cours de sa longue vie, ne prononce aucune condamnation du colonialisme. Ni contre la poursuite de la colonisation de l’Algérie, ni contre l’intervention française en Tunisie en 1881. Au contraire, à la fin de sa vie, il se livre à une déclamation apologétique du colonialisme lors d’un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage, le 18 mai 1879, en compagnie de Schoelcher. En effet, il prononce un « discours sur l’ Afrique » où il exalte sans vergogne la colonisation par les puissances européennes.

Dans des notes qu’il a transcrites dans ses carnets, à la fin des années 1830, en écrivant sous le titre «Algérie», Victor Hugo livre sa vraie pensée sur le colonialisme. Hugo ne se contente pas d’encenser et d’encourager la colonisation par ses écrits. Son épouse, Adèle, dévoile dans son « journal personnel » qui relate leurs conversations la position de son mari sur la question coloniale. Elle révèle qu’en 1842, Victor Hugo, en tant que député, plaide clairement et franchement en faveur de la colonisation de l’Algérie devant la Chambre qui tenait lieu de Parlement à l’époque de la Restauration.

« Algérie. La colonisation militaire doit couvrir et envelopper la colonisation civile comme la muraille couvre et enveloppe la cité. La colonisation militaire, c’est une muraille vivante. Quel meilleur obstacle continu qu’un camp français ? Mettez le soldat en avant du colon comme vous mettez un fer au bout d’une lance. » (…) « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomp1it, je ne chante qu’Hosanna. Vous pensez autrement que moi c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur. »

« L’armée faite féroce par l’Algérie. Le général Le Flô me disait hier soir, le 16 octobre 1852 : « Dans les prises d’assaut, dans les razzias, il n’était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d’autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d’oreilles aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des pieds et des mains pour prendre leurs anneaux. Quand un Arabe était pris, tous les soldats devant lesquels il passait pour aller au supplice lui criaient en riant : cortar cabeza !. Le frère du général Marolles, officier de cavalerie, reçut un enfant sur la pointe de son sabre, Il en a du moins la réputation dans l’armée, et s’en est mal justifié. » Atrocités du général Négrier. Colonel Pélissier : les Arabes fumés vifs. »

Dans un autre paragraphe, Victor Hugo, en humaniste et universaliste, en homme de paix, apostrophe les dirigeants européens qui se livrent des guerres « fratricides » perpétuelles sur leur continent. Et il les invite, non pas à cesser définitivement de guerroyer, mais à tourner leurs énergies belliqueuses à conquérir des pays dans tous les continents, à coloniser l’Afrique, l’Asie : « Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! […] L’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme. »

Pour preuve de sa fidélité à la bourgeoisie, il a soutenu toutes ses expéditions colonialistes. Son soutien ne s’est jamais démenti.

C’est ainsi que le 18 mai 1879, alors âgé de 77 ans, lors d’un banquet en l’honneur de l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage, Victor Hugo, à la suite de Victor Schœlcher, prononce un discours apologétique glorifiant le colonialisme. Ce dernier entame son allocution par ces mots : « La cause des Nègres que nous soutenons, et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à se reprocher, devait avoir votre sympathie ; nous vous sommes reconnaissants de l’attester par votre présence au milieu de nous. Cher Victor Hugo (…), quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier ; de cette étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénètrera jusqu’au cœur de l’Afrique, sur les routes qu’y fraient incessamment d’intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l’enfance, et leur enseigner la liberté, l’horreur de l’esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine ».

Victor Hugo félicite Schœlcher dans une rhétorique colonialiste partagée alors par l’ensemble de la population française : « Le vrai président d’une réunion comme celle-ci, un jour comme celui-ci, ce serait l’homme qui a eu l’immense honneur de prendre la parole au nom de la race humaine blanche pour dire à la race humaine noire : « Tu es libre. » Cet homme, vous le nommez tous, messieurs, c’est Schœlcher ».

Après avoir remercié Schœlcher, l’auteur des « Misérables », dans toute sa magnificence éloquente, entame son célèbre discours colonialiste : « La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre toute la barbarie. Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome l’a touchée, pour la supprimer. Le flamboiement tropical, en effet, c’est l’Afrique. Il semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil est un excès de nuit. Eh bien, cet effroi va disparaître. Comment ? Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique ; la France la tient par l’ouest et par le nord ; l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal. Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ; mais elle ne se dérobe plus ; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles ; on trouve partout des fleuves navigables ; des forêts se dressent, de vastes branchages encombrent çà et là l’horizon.  Quelle sera l’attitude de la civilisation devant cette faune et cette flore inconnues ? Au XIXe siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au XXe siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra. Des lacs sont aperçus, qui sait ? Peut-être cette mer Nagaïn dont parle la Bible. De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la nature et attendent l’homme ; on voit les points où germeront des villes ; on devine les communications ; des chaînes de montagnes se dessinent ; des cols, des passages, des détroits sont praticables ; cet univers, qui effrayait les Romains, attire les Français ».

Victor Hugo, cet élu du peuple qui se croyait appartenir au peuple élu, présenté comme l’écrivain humaniste partisan du progrès et de l’universalisme, parachève son discours par cette capitalistique ode au colonialisme : « Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? À personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité (applaudissements prolongés). Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté ! ».

Et pourtant, dès le lendemain de l’indépendance de l’Algérie, dans le cadre de la nouvelle toponymie nationale, alors que des centaines de rues à connotation coloniale sont débaptisées pour être remplacées par des plaques toponymiques symbolisant les personnalités et gloires issues du patrimoine algérien, notamment des noms de personnages, dates ou faits liés à la Révolution algérienne, plusieurs rues porteront le nom de Victor Hugo, ce fervent partisan de la colonisation de l’Algérie.

Les noms de lieux sont des éléments essentiels de la mémoire collective. En renommant les lieux, l’homme reprend possession de son espace, de son histoire. Dans le cas de l’Algérie, il marque sa rupture avec un passé colonial avilissant et traumatique.

Pis. Victor Hugo régnera souverainement non seulement sur les artères algériennes, mais intellectuellement sur l’esprit des écoliers algériens, puisqu’il est inscrit au programme scolaire de l’Éducation nationale algérienne. Et ses livres coloniseront les rayons des librairies et des bouquinistes des décennies durant, d’Alger à Oran en passant par Constantine et Tizi Ouzou.

Khider MESLOUB

 

 

 

 

 

 

 

 

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